Les pourparlers de paix au Mali ont repris ce 1er septembre, à Alger. Le contenu de la feuille de route, préalable à ce dialogue, signée en juillet dernier, désillusionne ceux, parmi les Touaregs, qui avaient espéré un dénouement favorable à leur cause partagée avec les mouvements de l’Azawad.
Les groupes armés du Nord-Mali, qui s’adressent spécifiquement aux Touaregs, à savoir le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA), le Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad et la Coalition du Peuple pour l’Azawad, n’ont cependant pas la caution des populations Touarègues dans leur globalité, lesquelles n’adhèrent pas systématiquement aux options politiques de ces organisations.
C’est évident quand on observe l’attitude des vieilles chefferies traditionnelles ; et la fragmentation et la recomposition des entités tribales et de leurs élites complexifient considérablement le jeu des acteurs présents sur le terrain, depuis l’avènement du conflit malien, en janvier 2012.
Si les alliances militaires se font et se défont suivant le positionnement, parfois circonstanciel, des forces présentes sur le terrain, l’attitude politique des chefferies est quant à elle inhérente aux positionnements des confédérations tribales, seules entités souveraines dans l’espace touareg.
Certains analystes ou « spécialistes » voudraient bien parler « d’homogénéité » ou « d’unité touarègue», même parfois superficielle. Mais les réalités historiques et sociopolitiques régionales invalident cette vision idéaliste et partiellement erronée des rapports qui animent les populations touarègues dans leur complexité.
Les dynamiques et positionnements des différents acteurs touaregs, qu’ils soient issus des groupes armés ou des organisations représentatives de la société civile, dès 2012, trahissent tout à fait les clivages qui ont toujours traversé le monde touareg.
Ainsi, les deux plus anciennes confédérations touarègues, attachées chacune à son «ettebel » (tambour symbolisant la souveraineté politique et la suprématie militaire), à savoir les Imouchar et les Kel Ansar, se sont bien gardées d’adopter une position politique favorable aux groupes armés qui avaient déclenché la guerre.
Pour les chefferies qui participent à ces deux confédérations, le soulèvement armé est advenu dans un contexte chaotique incitant à la prudence : la guerre en Lybie, l’implantation des djihadistes au Nord-Mali et le développement des trafics illicites dans cette région. Alors qu’un retour à la normale et la reconstruction du pays (aussi fragile fût-elle), qui faisaient suite à la rébellion des années 90, étaient en cours depuis une quinzaine d’années, il était alors inopportun, voire contre-productif, de voir ressurgir une rébellion se réclamant de la défense des seuls intérêts touaregs.
Inversement, la réserve affichée de ces chefferies coutumières poussa certaines factions tribales (non issues des lignées aristocratiques des confédérations citées), vassales ou anciennes alliées, à se ranger du côté des groupes armés, pour retrouver, en quelque sorte, « leur autonomie », voire « une indépendance », peut-être aussi à « promouvoir » des individus, en s’inscrivant dans un projet « indépendantiste », avec des perspectives plus vastes, qui concernaient tout le Nord-Mali, « l’Azawad ».
Et c’est bien de ce thème, « l’indépendance de l’Azawad », que les différents groupes armés avaient fait leur cheval de bataille. Pendant un certain temps, du moins…
La grande désillusion commença dès les premiers contacts qui allaient aboutir à la signature de l’Accord d’Ouagadougou, en juin 2013, quand les groupes rebelles reconnurent ouvertement le principe de « l’intégrité territoriale de l’État malien ». Les leaders de la rébellion renonçaient ainsi, de facto, à la promesse qu’ils avaient faite à leurs militants.
Toutes revendications « d’indépendance » ou de « fédéralisme », systématiquement brandies encore quelques semaines auparavant, étaient désormais exclues des négociations.
Mais la déception des militants indépendantistes atteignit son comble au lendemain de la publication de la feuille de route des négociations, à Alger, le 24 juillet 2014 : signée entre les leaders des groupes armés de l’Azawad et le gouvernement central de Bamako, sous médiation algérienne, la feuille de route, qui balise très clairement les thèmes des discussions qui ont repris le 1er septembre dernier, enterre définitivement toute revendication « indépendantiste », « fédéraliste » ou « autonomiste ». Ces trois options constituaient pourtant la justification et le principal argument des groupes armés, vis-à-vis des populations touarègues du Nord-Mali qui leur prêtaient l’oreille. Des populations qui payent aujourd’hui le lourd tribut de la guerre : les conséquences dramatiques pour les Touaregs surviennent dès les premières heures du conflit, en 2012, avec les affres de l’occupation djihadiste, puis avec la reconquête du territoire par l’armée malienne et la « revanche » sur les populations du Nord assimilées aux rebelles, à la faveur du déclenchement de l’opération française « Serval », à partir de janvier 2013.
Pourtant, dans leurs communications et leur rhétorique, les revendications auxquelles les groupes armés renoncent (indépendance, fédéralisme ou autonomie) étaient « non négociables ». Car elles justifiaient les sacrifices acceptés ou subis par les populations du Nord-Mali. Le MNLA, en particulier, a renoncé très facilement à ses exigences premières, au fur et à mesure que s’intensifiaient ses contacts avec Bamako.
À la veille de la reprise des pourparlers d’Alger, les revirements dans les discours laissaient entendre « qu’une réintégration massive des groupes armés dans les différents corps de l’État malien, le développement pour les régions du nord et un partage des responsabilités et de la gouvernance » feraient, finalement, amplement l’affaire de ceux qui avaient ouvert le feu et attirés tant de projecteurs sur le Nord-Mali, donnant de ces régions touarègues, jadis exemples de paix et de sérénité, l’image négative de dangereux bastions terroristes.
Après deux ans et demi de conflit, voilà donc le « gâchis », aux yeux de la majorité des Touaregs, au nom desquels la rébellion a été menée, comme l’affirmaient naguère les groupes armés du nord.
La jeunesse touarègue, cette frange de la population connectée aux réseaux sociaux, parfois manipulée et instrumentalisée, à des fins de figuration sympathisante vis-à-vis des groupes armés, est désormais révoltée par la tournure que les négociations ont prise à Alger : au lendemain de la sortie de la feuille de route, ces jeunes se sont sentis « trahis », « vendus » « leurrés »… comme on a pu le lire sur leurs pages Facebook et autres Twitter.
Tandis que, pour ces jeunes, la suite des négociations ne présagent rien que de honteux, pour les plus anciens et nombre de chefs tribaux, c’est, plus pragmatiquement, l’inquiétude qui s’installe, face au « grand chaos généré par le conflit et à la perspective du résultat des pourparlers, qui se dessinent sans aucune avancée significative pour le nord » s’inquiètent. Ces derniers y voient « une tromperie assassine » de la part des leaders des groupes armés.
« Un recul de trente ans pour nos régions », se sont exclamés d’autres représentants touaregs, qui estiment que la rébellion de 2012 est devenue « un non sens » et qu’elle n’aurait jamais dû voir le jour. « Ce résultat était prévisible : nous ne nous attendions à rien de la part des groupes armés, adeptes des rebellions comme fond de commerce, dans l’intérêt de quelques individus, comme nous ne nous attendions pas à grand-chose, non plus, de la part de l’État malien, qui, depuis cinquante ans, n’a rien entrepris de significatif pour nous. », analysent, de leur côté, des responsables politiques locaux, fins connaisseurs des réalités régionales, et sceptiques, quant à eux, depuis le début du conflit, en 2012.
Mais, au-delà de la désillusion des militants touaregs qui avaient placé leurs espoirs dans les groupes armés, le danger du processus « inclusif » qui reprend à Alger, c’est l’exclusion ou la très faible implication dans les négociations des acteurs civils, pourtant issus des représentations touarègues les plus légitimes.
D’une part, en effet, le gouvernement de Bamako brandit l’argument, pour contrecarrer les revendications des groupes armés, selon lequel « ils ne représentent pas tous les Touaregs » ; d’autre part, Bamako fait tout pour éloigner des pourparlers les représentants de la société civile touarègue.
Il ressort clairement de cette politique que Bamako, non seulement, veut affaiblir –voire diviser davantage encore- la représentation touarègue à Alger, mais aussi éviter de débattre des problèmes de fond de l’Azawad avec des acteurs crédibles et représentatifs des populations du Nord-Mali.
Les premiers accords de paix, qui avaient été entérinés en 1991, avaient été négociés et signés à huis clos, à l’époque déjà entre le gouvernement malien et les chefs des seuls groupes armés. Ils n’ont jamais été suivis d’effets significatifs sur le terrain.
C’est ce même schéma que le gouvernement malien tente de reproduire aujourd’hui à Alger, avec l’assentiment des groupes armés, alors qu’il est pourtant évident que le dialogue doit être ouvert aux représentants de la société civile, particulièrement aux chefs coutumiers touaregs, qui sont les garants des bases sociales et populaires des régions du Nord-Mali.
Si le processus d’Alger ne rectifie pas sa course, les « accords de paix » qui en concluront probablement les négociations ne feront que renvoyer le Mali à ses vieux démons.
“Le Courrier du Maghreb et de l’Orient”