Comme toute élection normale, il est souhaitable que les scrutins de 2018 se tiennent dans le strict respect des principes fondamentaux d’une élection démocratique, à savoir la liberté du vote (un choix sans pression ni menace), la sincérité du scrutin (neutralité et impartialité dans l’organisation des élections) et le calme et la sérénité (sans violences).
Une élection démocratique peut être altérée par la fraude électorale qui inclut tous les processus ayant pour objet d’influencer le résultat d’une élection, de manière à garantir ou favoriser un résultat voulu. La fraude électorale, surtout lorsqu’elle est massive, résulte généralement des excès de deux tentations qui sont d’une part la tentation d’user de tous les moyens pour conserver le pouvoir et d’autre part celle d’acquérir le pouvoir par tous les moyens. C’est dire donc qu’au moins théoriquement la fraude peut être le fait du parti au pouvoir ou de l’opposition. En d’autres termes, la fraude n’a pas un camp spécifique même s’il paraît naïf de ne pas avoir présent à l’esprit que d‘expérience prouvée à suffisance, le parti qui organise le scrutin est beaucoup plus enclin que l’opposition à se servir de la fraude pour gagner l’élection.
Les actes de fraude peuvent être commis individuellement ou collectivement par les électeurs, les candidats ou les autorités administratives et agents impliqués dans l’organisation des élections. Sur le plan séquentiel, la fraude peut se situer durant les opérations de préparation du vote, le jour même du scrutin et après le vote et avant la proclamation des résultats du scrutin. Au plan de ses conséquences, la fraude électorale porte atteinte à la transparence du vote et se trouve sanctionnée à ce titre à travers la mise en cause des résultats de l’élection. Par ailleurs, la fraude constitue un trouble à l’ordre public en ce sens qu’elle met en péril les valeurs démocratiques qui doivent caractériser toute opération électorale : d’où sa répression pénale. D’où les deux niveaux de sanctions qui frappent la fraude électorale. Le premier niveau de sanction relève du juge de l’élection qui se préoccupe de l’impact de la fraude sur les résultats de l’élection plutôt que de la fraude elle-même : La fraude électorale expose la liste ou le candidat en cause à des pertes de voix lorsqu’elle est établie par le juge. Dans le cas où la fraude est de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin, le juge de l’élection la sanctionne par l’annulation et ou la réformation des résultats.
Le deuxième niveau de sanction de la fraude qui nous intéresse dans cette contribution est d’ordre pénal : les actes de fraudes entraînent pour leurs auteurs des conséquences pénales : c’est l’objet de la répression pénale. C’est pourquoi la loi électorale prévoit un dispositif répressif spécifique contre la fraude électorale constitué d’une part des infractions et des peines afférentes et d’autre part de la procédure à suivre pour engager les poursuites.
I. Les cas de fraudes et les peines encourues
A. Les cas de fraude spécifiquement prévus et les peines applicables
1. La fraude sur les listes électorales
– Se faire inscrire sur une liste électorale sous de faux noms ou sous de fausses qualités ;
– Dissimuler ou tenter de dissimuler une incapacité prévue par la loi ;
– Se faire inscrire sur deux ou plusieurs listes ;
– User de déclarations frauduleuses ou de faux certificats
Les auteurs et leurs complices coupables de ces actes sont punis de :
– 1 mois à 1 an de prison ;
– 25.000 F d’amende ;
– Déchéance éventuelle des droits civiques pendant un minimum de 2 ans.
2. La fraude lors du vote
a. Le fait pour un déchu du droit de vote de participer au scrutin
Les déchus du droit de vote (condamnation judiciaire, faillite non suivie de réhabilitation) ne peuvent voter. En votant, ils encourent :
– 11 jours à 3 mois de prison ;
– 10.000 F d’amende ;
– Déchéance éventuelle des droits civiques pendant un minimum de 2 ans.
b. Le fait de voter par le truchement d’une inscription frauduleuse ou multiple ou en prenant faussement les noms et les qualités d’un autre électeur
Celui qui se rend coupable de tels actes encourt :
– 6 mois à 2 ans de prison ;
– 25.000 à 250.000 F d’amende ;
– Déchéance éventuelle des droits civiques pendant un minimum de 2 ans.
3. LA FRAUDE LORS DU TRAITEMENT DES RESULTATS
a. La fraude visant les agents des bureaux de vote
Ces cas de fraude concernent les agents des bureaux de vote chargés de recevoir, de dépouiller ou compter les bulletins de vote. Ils consistent à procéder à des soustractions, des ajouts ou des altérations de bulletins de vote
La peine encourue est de :
– 1 à 5 ans de prison ;
– 60.000 à 600.000 F d’amende ;
– Déchéance éventuelle des droits civiques pendant un minimum de 2 ans.
b. La fraude sur les documents et matériels électoraux
Ces cas de fraude concernent l’enlèvement d’urnes contenant des suffrages émis non encore dépouillés et l’enlèvement des procès-verbaux ou de tous documents constatant les résultats du scrutin dans le but de fausser ces résultats ou de rendre impossible leur proclamation.
Les peines encourues sont les suivantes :
– enlèvement perpétré seul et sans violence :
– 1 à 5 ans de prison ;
– Amende de 120.000 à 600.000 francs ;
– Déchéance éventuelle des droits civiques pendant un minimum de 2 ans.
– enlèvement perpétré en réunion et avec violence : 5 à 10 ans de travaux forcés.
B. Les clauses générales sanctionnant tous cas de fraude
Ces clauses sont applicables en dehors des cas spécifiquement prévus par les lois, ordonnances et décrets :
1. Toute infraction commise dans une commission de contrôle des listes électorales, dans un bureau de vote ou dans un bureau administratif, avant, pendant ou après le scrutin ;
2. Toute inobservation des lois, ordonnances et décrets ou toute manœuvre ou acte frauduleux tendant à :
– Changer ou tenter de changer les résultats du scrutin ;
– Violer ou tenter de violer le secret de vote ;
– Porter atteinte ou tenter de porter atteinte à la sincérité du vote.
Les peines encourues sont les suivantes :
– Réclusion de 5 à 10 ans.
– Amende de 120.000 à 600.000 francs
– Possibilité pour le juge de prononcer la déchéance des droits civiques pendant une durée minimum de deux ans.
C. Les agents publics plus sévèrement sanctionnés
Le fonctionnaire, agent ou préposé du Gouvernement ou d’une administration publique ou chargé d’un ministère de service public, coupable d’actes de fraude pourra voir sa peine portée au double.
II. La procédure à suivre pour engager les poursuites
La loi électorale s’étend peu sur la procédure applicable au contentieux de la fraude électorale.
En dehors de règles de procédure spécifiquement prévues en la matière, c’est le droit commun qui s’applique. Ainsi s’appliquent les dispositions générales du Code pénal et du Code de procédure pénale. L’action publique et l’action civile se prescrivent par six mois, à partir du jour de la proclamation du résultat des élections. Puisqu’il s’agit d’infractions pénales, le Procureur de la République peut déclencher les poursuites soit directement, soit à la suite d’une plainte. L’électeur ayant subi un préjudice peut même se constituer partie civile.
Dr Brahima FOMBA
Université des Sciences Juridiques
et Politiques de Bamako (USJP)