Plaidoyer pour une vraie démocratie en Afrique

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La démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres. Winston Churchill

Dès qu’une crise politique éclate en Afrique, il y a de plus en plus une tendance dans les média et les fora de discussion en ligne qui consiste à mettre en cause le système démocratique en Afrique. La dernière en date c’est la crise post-électorale en Côte d’Ivoire qui a défrayé la chronique dans la mesure où cette crise est d’une ampleur sans précédent dans l’histoire politique contemporaine du continent.

A titre personnel, nous sommes étonné par cette mise en cause récurrente de la démocratie qui, nous le reconnaissons, n’est pas un système parfait. A notre avis, il faudrait plutôt chercher la cause des crises politiques africaines chez les hommes qui en sont responsables et non le système politique qu’ils sont censés mettre en œuvre lequel système constitue à nos yeux un bouc-émissaire facile.

C’est la raison pour laquelle nous voudrions nous inspirer de la poignée de pays africains dans lesquels la démocratie fonctionne plus ou moins bien pour montrer de manière empirique que non seulement la démocratie est possible en Afrique mais aussi c’est le renforcement des institutions démocratiques qui constitue l’une des solutions – elle n’est pas la seule, le développement économique et social favorisant également l’ancrage démocratique du continent – pour prévenir les crises politiques en Afrique. Il est à la fois significatif et paradoxal de citer des pays où la démocratie fonctionne comme des exceptions alors même que la démocratie devrait être la règle et l’absence de démocratie l’exception…

1. la démocratie fonctionne au Bénin depuis la conférence nationale du début des années 90 (voir Fabien Eboussi-Boulaga, Les conférences nationales en Afrique, une affaire à suivre, Paris, Karthala, 1992). Le président Mathieu Kérékou a été battu à l’élection présidentielle par un opposant (Nicéphore Soglo) qu’il est revenu battre avant de céder le pouvoir démocratiquement et pacifiquement. La dernière élection qui vient d’avoir lieu dans ce pays s’est bien passée dans l’ensemble malgré les contestations du résultat.

2. la démocratie fonctionne au Mali depuis l’éviction du Général-Président Moussa Traoré en 1991. Le président Alpha Konaré a fini ses deux mandats constitutionnels et s’est fait remplacer par le président Amadou Toumani Touré alias ATT qui avait mis le Mali sur le chemin de la démocratie en écartant le Général Moussa Traoré et en cédant le pouvoir aux civils. ATT terminera ses deux mandats l’année prochaine et nous espérons qu’il ne cèdera pas aux appels flagorneurs pour supprimer la limitation du nombre de mandats présidentiels afin de se maintenir au pouvoir.

3. la démocratie marche très bien au Ghana depuis le retrait de Jerry Rawlings de la vie politique. Le pays a déjà connu plusieurs alternances démocratiques et pacifiques.

4. le Niger est selon nous le pays d’Afrique qui a la plus grande expérience démocratique. En moins de vingt ans, ce pays a connu la cohabitation, c’est-à-dire un président (Mahamane Ousmane) et un premier ministre (Hama Amadou) avec son gouvernement appartenant à deux partis concurrents, issue de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République ; le Parlement a renversé un gouvernement (le commentateur de Radio France International (RFI) avait souligné à l’époque que la Constitution française prévoit la même prérogative pour le parlement français mais la dernière fois que celui-ci l’a utilisée c’était en 1957 lors de la censure du gouvernement Guy Mollet sous l’instable IVe République, c’est-à-dire au début de la seconde moitié du XXe siècle) ; le Conseil constitutionnel a censuré un président de la République qui a outrepassé ses pouvoirs constitutionnels avant que l’armée ne restaure l’ordre démocratique… Cette riche expérience démocratique a néanmoins été entrecoupée de crises politiques plus ou moins violentes survenues à la faveur du blocage politique créé par la cohabitation, lorsque feu Ibrahim Baré Mainassara a voulu se maintenir par la force et quand le président Mamadou Tanja, pourtant démocratiquement élu, a voulu se maintenir au pouvoir au mépris de la limitation constitutionnelle du nombre de mandats présidentiels.

5. La démocratie fonctionne bien en Afrique du Sud alors qu’on pouvait craindre le contraire en raison du lourd passé et passif de l’Apartheid. Les anciens ennemis vivent ensemble et harmonieusement. Le président Nelson Mandela a accepté de s’effacer volontairement, le président Thabo Mbeki a antcipé la menace d’une destitution judiciaire et s’est retiré.

6. la démocratie fonctionne tant bien que mal au Nigéria avec de longues interruptions dues aux coups d’Etat militaires. Récemment, les Nigérians sont parvenus à établir au niveau du parti majoritaire un consensus non-écrit qu’ils appellent « zoning », zonage en français, qui consiste à alterner le pouvoir entre le nord et le sud du pays. On a également vu le président Umaru Yar’Adua mourir après une longue maladie. Non seulement le pays a continué à fonctionner pendant sa dernière maladie, mais après son décès, le vice-président Jonathan Goodluck, le bien-nommé, lui a succédé logiquement et conformément à la Constitution en vigueur et celui-ci vient d’organiser l’élection présidentielle qu’il a remportée. Comme d’habitude, le résultat a fait l’objet de contestations de la part de l’opposition, ce qui a conduit à des émeutes ayant fait officiellement plus de 500 morts. Cette tragédie rappelle que les élections sont généralement périlleuses en Afrique justement faute de véritable démocratie. Quoi qu’il en soit, la gestion du pouvoir pendant la maladie de feu le président Umaru Yar’Adua et sa succession selon les critères constitutionnels ont été réalisées dans des conditions tout à fait normales qui semblent néanmoins difficiles à envisager dans d’autres pays africains. Par exemple lorsque la rumeur (heureusement que ça n’était qu’une rumeur) s’était répandue sur le décès du président de la République du Cameroun alors qu’il se trouvait en soins à Genève en Suisse, le pays ne savait plus à quel saint se vouer. Est-ce que c’est normal ? Comment un pays de 20 millions d’âmes peut-il être suspendu au souffle d’un seul homme, fût-il président de la République ? C’est quand-même extraordinaire de le souligner. Les Camerounais ne sont même pas capables de prendre des dispositions claires pour assurer la continuité des institutions républicaines et par conséquent la stabilité du pays. Il convient alors d’accélérer la mise en œuvre des réformes politiques déjà adoptées, à savoir la mise en place du Sénat – dont le président est le successeur constitutionnel du président de la République – et du Conseil Constitutionnel qui ont été créés par une loi de 1996 pour combler le vide institutionnel ainsi que la mise en œuvre de la décentralisation politique et administrative entérinée par le législateur afin d’assurer la sécurité institutionnelle et partant la stabilité du pays. Après, quand une crise politique éclatera du fait de ces carences institutionnelles – que des hommes et femmes avisés n’hésiteront pas à exploiter –, on accusera encore injustement la démocratie…

7. la démocratie fonctionne en Tanzanie depuis le retrait volontaire de feu le mwalimu (professeur en swahili) Julius Nyerere en 1985. Ce dernier a été succédé après 24 ans passés au pouvoir par Ali Hassan Mwinyi qui a accéléré l’ouverture et la libéralisation progressive du pays lesquelles ont conduit à d’autres alternances démocratiques.

8. la démocratie marche bien au Botswana, au Mozambique (depuis la mort de Samora Machel survenue dans un accident d’avion en Afrique du sud en 1986) et en Zambie depuis le départ de Kenneth Kaunda auquel Frederic Chiluba a succédé. Lorsque ce dernier a voulu modifier la Constitution zambienne pour se maintenir au pouvoir, c’est son propre parti qui lui a dit non avant d’empêcher son initiative. Après Frederic Chiluba, c’est le président Olosegun Obasanjo qui devait subir le même revers lorsque le parlement nigérian avait rejeté son projet de suppression de la limitation du nombre de mandats présidentiels afin de solliciter un troisième suffrage consécutif des Nigérians. Ce genre d’avanie démocratique qui a été infligée à notre connaissance à trois chefs d’Etat africains (Zambie, Nigéria et Niger chronologiquement) par strict respect de la Constitution est malheureusement inimaginable dans la plupart des pays africains où les chefs d’Etat sont généralement atteints par ce que les anglophones appellent le « sit-tight disease » (syndrome de la présidence à vie). C’est ainsi que la limitation du nombre de mandats présidentiels a été supprimée notamment au Cameroun, en Tunisie, en Algérie, au Togo, au Tchad, au Gabon, en Ouganda au Burkina Faso qui l’a réintroduite mais qui envisage de la supprimer à nouveau, ce qui justifie entre autres l’expression de la colère populaire en cours au pays des hommes intègres. Il n’échappera pas au lecteur qu’à l’exception notable de l’Ouganda où des émeutes viennent d’éclater dans tout le pays pour protester contre la cherté de la vie et indirectement contre la présidence à vie du président Yoweri Museveni au pouvoir depuis 1986, il s’agit des pays francophones ou en tout cas des ex-colonies françaises, l’Algérie et la Tunisie étant d’abord arabophones et accessoirement francophones. Il convient d’ajouter à tous ces pays, d’autres comme l’émirat pétrolier de Guinée Equatoriale qui n’ont jamais commis l’imprudence de prévoir dans leur Constitution une limitation du nombre de mandats présidentiels (sur la question, voir Augustin Loada, la limitation du nombre de mandats présidentiels en Afrique francophone, Revue électronique Afrilex n° 03/2003 pp. 139-174).

Un autre obstacle à la démocratie en Afrique est la transmission familiale du pouvoir. En effet, la transmission du pouvoir par filiation directe s’est faite d’abord en République Démocratique du Congo (RDC) où Joseph Kabila a succédé à son père Laurent-Désiré Kabila en 2001, ensuite au Togo où Faure Gnassingbé a remplacé son père Gnassingbé Eyadéma en 2005, enfin au Gabon où Ali Bongo a succédé en 2009 à son père Omar Bongo alors doyen des chefs d’Etat africains avec à son crédit 41 ans passés au pouvoir. Il paraît que le Sénégal s’apprête à suivre le même chemin avec l’hyper-ministre Karim Wade qui se préparerait à succéder à son père Abdoulaye Wade. Ces successions dynastiques constituent une grave régression démocratique. On notera également que ces dérives monarchiques sont légion exclusivement dans des pays d’Afrique francophone…

Pour revenir à la Côte d’Ivoire, quels que soient les reproches que l’on peut faire à Laurent Gbagbo, nous pensons que celui-ci a contribué à l’avènement de la démocratie dans son pays grâce à son opposition constante à feu le président Félix Houphouët Boigny au moment où il était difficile de s’opposer à ce dernier. Le problème c’est qu’une fois arrivé au pouvoir, Laurent Gbagbo n’a pas cherché à rassembler et réconcilier les Ivoiriens, il a continué à utiliser les méthodes syndicales et d’opposition auxquelles il était plus habitué. Même la dernière élection qu’il a timidement accepté d’organiser s’est bien déroulée jusqu’au 2e tour lorsqu’il a décidé soudainement de ne pas accepter les règles du jeu. Cependant, nous sommes convaincu que rien ne sera plus comme avant en Côte d’Ivoire à laquelle nous exprimons naturellement tous nos vœux de rétablissement et de succès.

Cela ne signifie pas pour autant que tout soit au mieux dans le meilleur des mondes pour les pays cités plus haut où la démocratie fonctionne plus ou moins convenablement. Il y a certainement des choses à améliorer y compris dans le domaine des institutions et de la démocratie qu’il faudra toujours renforcer dans la mesure où il n’y a pas de démocratie (régime politique) sans démocratisation (création d’un espace public démocratique) ni sans démocrates (acteurs politiques). On ne peut pas non plus exclure qu’il y ait des crises politiques dans ces pays, à notre avis elles résulteront moins du système politique en place que des hommes qui en sont issus.

Dès lors, on peut légitimement se poser les questions suivantes :

– Pourquoi la démocratie fonctionne dans les pays africains sus-évoqués ?

– Qu’est-ce que ces pays ont et que les autres n’ont pas ?

– Pourquoi la démocratie fonctionne en Afrique de l’ouest, en Afrique australe et dans une moindre mesure en Afrique de l’est ?

– Pourquoi la démocratie ne fonctionne dans aucun pays d’Afrique centrale où le système politique est totalement verrouillé ni en Afrique du nord où les choses sont en train de changer grâce à une buchette d’allumette et un bidon d’essence qui ont eu un impact dans tout le monde arabe, voire au-delà ?

– Pourquoi la démocratie fonctionne mieux dans les pays d’Afrique anglophone que dans ceux de l’Afrique francophone ou ceux de l’Afrique d’expression portugaise qui, il est bien vrai, sont moins nombreux ?

– Que faut-il faire pour que ça marche ?

– Comment transformer l’aspiration démocratique des peuples africains en une véritable réalisation démocratique ?

– Quel rôle doivent jouer les intellectuels africains dans la démocratisation de leurs pays respectifs ainsi que dans l’enracinement démocratique du continent ?

– Pourquoi les élections donnent souvent lieu à des violences en Afrique ? Quelles sont les leçons à tirer des violences post-électorales sur le continent et comment les prévenir ?

– Pourquoi l’Afrique est le seul continent où les coups d’Etat et les interventions militaires extérieures sont encore des moyens de réaliser l’alternance politique ?

Si on effectue des recherches et trouve des réponses à ces questions, à notre avis, on avancera beaucoup sur le ou les système (s) politique (s) mieux adapté (s) au continent africain. Il s’agit alors de procéder à une évaluation lucide de la situation politique du continent qui doit s’accompagner d’un changement radical des comportements politiques afin de faire des Africains des citoyens actifs et responsables, pétris de valeurs démocratiques et républicaines.

Il résulte de ce qui précède que le problème ce n’est pas la démocratie. En effet, le conflit post-électoral en Côte d’Ivoire qui s’est conclu par l’effondrement brutal du régime de Laurent Gbagbo qui était pourtant porteur d’un espoir démocratique ainsi que les récentes expériences révolutionnaires en Tunisie et en Egypte résultent non pas de la démocratie mais au contraire d’un déficit démocratique. Ces crises illustrent surtout la faillite du leadership en Afrique.

Quel que soit le système politique que l’on mettra en place, qu’on l’appelle démocratie, gérontocratie, « juvénilocratie », gynécocratie (elle est née sur notre continent au Libéria et pourvu qu’elle soit contagieuse), chefferie constitutionnelle, conseil national exécutif, c’est-à-dire un exécutif collégial, régime parlementaire ou présidentiel, régime mixte, démocratie directe ou semi-directe, et si besoin, après avoir opéré tous les ajustements nécessaires pour l’adapter à nos réalités africaines, l’essentiel est que le système repose sur le choix du peuple et pourvu que cela ne résulte pas à la mise en place d’une oligarchie qui monopolise le pouvoir pour se servir, asservir et par conséquent desservir le peuple. On aboutirait alors à une vraie démocratie et non pas à une fiction démocratique (le peuple vote en ayant les mains derrière le dos et les yeux fermés) ou à un vernis démocratique (c’est le peuple qui vote mais c’est le pouvoir qui élit), encore moins à une démocratie formelle (élections au suffrage universel, régime représentatif, séparation des pouvoirs, liberté de la presse… etc.) ni à une démocratie de façade (faux partis, faux pluralisme, c’est-à-dire multipartisme unique, parti unique pluriel ou pluralisme contrôlé ; régime sans partis, fausse opposition, c’est-à-dire une plateforme pour la transhumance politique ; opposition inféconde, fausses élections, faux démocrates, faux intellectuels – intellectuels organiques ou intellectuels de cour …etc.), comme c’est malheureusement le cas dans la plupart des pays africains où la démocratie reste encore une utopie.

Une contribution de Mr Mohamadou GAMDJI, Avocat (Cameroun)
le 1er mai 2011

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