Plaidoyer pour un idéal de société au Mali

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Dr Makan Diallo

Le môme sur qui les valeurs de respect, de dignité n’ont aucune prise, et qui défie son patriarche sans état d’âme. L’élève qui n’a aucun égard pour son professeur et à la limite le considère comme un empêcheur de tourner en rond. Le policier qui n’hésite pas à prendre son bakchich en total irrespect de sa tenue. Le magistrat pour qui la corruption est banale, et abuse de son statut de «super homme » pour ternir au quotidien l’image de la justice. L’homme politique pour qui l’intérêt personnel doit primer sur l’intérêt général, et qui voit en l’électeur le pigeon qu’il faut plumer à satiété pour parvenir à ses fins. Le fonctionnaire de l’Etat, qui n’a que faire de la notion de service public et n’hésite pas, plutôt de servir l’Etat, à se servir lui-même. Le vieux qui oublie son statut de sage foulant au pied les principes sacrés liés au droit d’ainesse dans nos sociétés et fait preuve de bassesse dans son comportement de tous les jours. Le religieux qui ne fait plus la différence entre son sacerdoce et les plaisirs malsains de la vie. Le père de famille qui est incapable de jouer son rôle d’éducateur, et n’a aucun souci quant au devenir de son enfant. Le couple pour qui la vie à deux se résume à des considérations matérialistes faites de trahison, d’égoïsme, de manque de respect et d’infidélité. L’indigent qui par sa position sociale est relégué au rang de citoyen de seconde zone sans espoir de lendemains meilleurs, et souffre le martyre dans l’indifférence totale. Le nouveau riche qui par son arrogance, son sens de la démesure et de l’excès oublie les fondements de notre société faits de tolérance, de solidarité et d’humilité, et ne se gêne pas, bien au contraire à étaler son penchant pour le luxe ostentatoire. Loin d’être une fiction, ces cas sus-cités sont le reflet dans toute sa banalité de la société malienne d’aujourd’hui, et la liste n’est malheureusement pas exhaustive. La décrépitude sociale au Mali a atteint le seuil du tolérable.

Aujourd’hui, l’effritement moral de notre société inquiète. De la cellule de base qu’est la famille, à la collectivité, il n’est pas difficile de constater que le malien s’éloigne de plus en plus des valeurs sociétales qui jadis faisaient sa gloriole. Si hier, les comportements et agissements du Malien étaient guidés par l’observation de ce qui constituait sa fierté d’homme dans toute sa dimension, force est de constater que de nos jours, la mue psycho sociologique de celui-ci a plutôt glissé vers un précipice qui à s’y méprendre risquerait de l’engloutir pour de bon.

L’homme, cet être pensant doué d’intelligence et de raison a de tout temps cherché à mieux comprendre et appréhender les phénomènes sociaux qui l’entourent pour une meilleure appropriation de son environnement et une meilleure amélioration de l’existant.

L’heure de la métanoïa, ce travail d’auto critique et de retour sur soi a sonné. La situation actuelle par son acuité interpelle tout malien soucieux du devenir du Mali, et l’on s’interroge fort à propos sur les raisons de cette décadence qui met le pays face à ses propres contradictions.

Comment comprendre que le Mali, jadis grand pays où les valeurs de justice, de dignité, d’honnêteté, d’égalité, d’équité, de bravoure, de solidarité constituaient la trame de sa société, un pays où les hommes rivalisaient par leur capacité à poser des actes de haute portée, des actes qui magnifient l’individu, et déterminent sa place au sein de l’espace communautaire, comment et par quel malheur un tel pays ou du moins ses fils se retrouvent aujourd’hui à se comporter de façon indigne, éhontée en contradiction totale des références morales traditionnelles qui ont toujours fait sa fierté?

La situation actuelle en terme de destructuration et de perversion de l’homme malien, au-delà de l’évolution inhérente à toute société humaine, trouve en partie son explication dans la perception pour le moins biaisée de ce qui constitue réellement la trame de l’éducation et les responsabilités qui pèsent sur les différentes entités appelées à jouer leur rôle, ou à se relayer. La Famille, et l’Etat sont au début et à la fin de la formation morale de l’individu. Une quelconque défaillance de leur part se ressentira forcement sur le devenir de la communauté toute entière, une entité qui constitue justement la somme des individus qui la composent.

Le processus de formation de la personnalité et d’éducation d’un individu commence prima facie au sein de la cellule familiale. Dis-moi qui sont tes parents, et je te dirais quelle éducation tu as reçue ! Cette formule traduit en partie la corrélation existant entre parents et enfant dans l’éducation de celui-ci. La responsabilité de l’éducation d’un enfant incombe en premier ressort aux parents. Ces derniers doivent pour pouvoir transmettre un certain nombre de valeurs à l’enfant, être exemplaires, consciencieux, et responsables : Exemplarité dans les actes du quotidien, conscience vertueuse dans le devoir d’éduquer, et d’assurer le devenir de l’enfant, et enfin responsabilité en tant que guide éclairé de l’enfant dans le sentier tortueux de la vie. Si ces vertus font défaut chez les parents, il y a fort à parier que la progéniture subira les conséquences d’une telle carence, et malheureusement aujourd’hui c’est à cette situation peu enviable à laquelle nous assistons.

Il ne faut pas se voiler la face, le déficit de l’éducation des enfants tire sa source dans bien des cas dans le comportement des parents. L’enfant est devenu cette chose laissée à elle-même. Les parents ont démissionné, ou ne présentent plus l’image policée d’une référence morale, digne, et exemplaire.

Si hier les rôles étaient bien définis et chacun, parents et enfant ne se dérobaient point, depuis maintenant plusieurs années l’éducation de l’enfant au sein de la famille laisse à désirer. Il faut se dire la vérité les parents sont les premiers responsables de cette dérive. Quelque soit sa position sociale, un parent a des responsabilités vis-à-vis de son enfant. L’apport parental doit être matériel et moral à la fois. C’est un devoir pour les parents, et un droit pour les enfants. Aucune excuse ne saurait justifier cette fuite de responsabilité des parents, et vouloir attribuer le déficit de l’éducation à cette problématique somme toute accessoire est tout simplement ridicule. On peut être pauvre et digne, et bien transmettre des valeurs à son enfant.

Il appartient aux parents d’inculquer les bonnes manières à l’enfant, de dire ce qui est bien ou mauvais pour lui, de guider ses pas dans la vie. Ils ont le devoir suprême de transmettre les valeurs et principes éducatifs liés à la justice, à l’ égalité, à l’équité, au respect, à la droiture, à l’ honnêteté, au travail, à l’ ambition, au courage, à l’ humilité, à la solidarité, à la dignité, à l’amour, à la fraternité, à la probité, à la générosité, à la modestie, à l’altruisme, au partage etc. La pédagogie, et la communication, indispensables pour une éducation saine, doivent sous-tendre toute cette approche. C’est un combat psychopédagogique dénoué de tout faux fuyant, de tout artifice entre l’enfant et le parent. La spiritualité permet aussi à l’enfant d’adopter des comportements faits d’honnêteté et de sagesse; les valeurs religieuses allant de paire avec les préceptes moraux.

Il est vrai que la société malienne d’hier n’a rien à voir avec celle d’aujourd’hui, il est vrai que la conjoncture est telle que l’on a le sentiment que c’est le « sauve qui peut », le chacun pour soi, personne n’est responsable de personne, et dans cette atmosphère délétère, l’innocent qu’est l’enfant est la victime désignée. Cet état de fait nous interpelle tous, et encore un retour aux sources ne saurait être en soi une mauvaise chose. Comme dans le temps, l’éducation de l’enfant doit être l’affaire de tous, les parents doivent avoir présent à l’esprit que l’enfant est un bien inestimable dans le bon sens du terme, et qui mérite l’implication de tous pour son éducation dans l’intérêt supérieur de la communauté. Justement le mot est lâché : communauté, et c’est là qu’intervient le rôle de l’Etat à travers ses institutions scolaires et éducatives. Le constat d’échec à ce niveau aussi est patent.

L’école, qui devait normalement jouer le rôle de relais et /ou de substitution brille par sa léthargie, et son incapacité à assurer un meilleur encadrement socio-éducatif. Les crises scolaires récurrentes auxquelles nous assistons impuissants, sont révélatrices de l’abâtardissement de l’éducation au Mali. Il y a une confusion de rôle dans l’ordonnancement du système éducatif malien. De la base au sommet, aucun acteur du système n’assume et ne s’assume. L’éducation scolaire qui peut être aussi un complément pour l’enfant dans la quête d’une citoyenneté exemplaire pêche par la qualité de la formation et surtout de ceux chargés de transmettre le savoir. Il faut repenser l’éducation en mettant l’accent sur l’adaptation des programmes d’enseignement et la formation des enseignants. La recherche scientifique, permettant de mener des réflexions et d’apporter des solutions sur les différentes problématiques liées à l’existence, au développement tout court doit être valorisée à un niveau supérieur. L’éducation de base, véritable soubassement de l’apprentissage du savoir et de l’acquisition des valeurs doit avoir une place de choix dans la stratégie de reforme du système en entier. Loin d’être superfétatoire, les structures éducatives de l’Etat doivent cultiver au tant que faire se peut l’esprit patriotique, l’esprit républicain, les principes de conduite citoyenne chez l’apprenant, bref tout ce qui pourrait façonner le malien de demain. A ce effet, l’enseignement de la Morale, de l’instruction civique, deux disciplines auxquels, le Malien a le plus besoin aujourd’hui doit être renforcé et cela jusqu’au niveau supérieur afin de mieux asseoir définitivement cette culture de citoyen, digne, honnête respectueux des valeurs, principes et normes de la société.

L’identité du malien nouveau apparait en filigrane à travers cette description pour le moins flatteur, et encore une fois nous avons les ressources nécessaires pour changer positivement l’image du Malien. Faisons un travail d’introspection, prenons conscience de l’état de pourrissement généralisé de la société actuelle, agissons en conséquence pour la renaissance du Malien, et cela en droite ligne de la pensée de FRANTZ Fanon qui disait que « Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir ». A méditer !

une contribution de Makan DIALLO

Docteur en Droit Privé, Avocat au barreau de Paris

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1 commentaire

  1. Oui parfaitement d’accord avec vous Mr Diallo. Ajoutons encore le cas de l’éducation au Mali. C’est à dire l’école où il n’y a pas d’administration scolaire, car toutes les questions d’école chez nous se règlent jusqu’au niveau du ministre, au lieu que la gestion de l’école soit fortement basée sur les organisations de parents d’élèves, les directeurs d’établissements, les proviseurs, les recteurs.

    Il s’agit de fustiger aussi l’école malienne où l’Etat laisse des adolescents se réunir (sous le prétexte d’AG de l’AEM) sans assistance, ni accord de l’administration scolaire ou universitaire. Merci

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