Passe d’armes Mali- France au conseil de sécurité : Quand le ministre Abdoulaye Diop prend avantage de l’antithèse

1

Le mercredi 19 octobre 2022, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Abdoulaye Diop, s’est exprimé devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies à New York. C’était à l’occasion de l’examen par le conseil de sécurité du rapport trimestriel du Secrétaire Général de l’Onu sur la situation au Mali.

 

Dans une allocution de 25 minutes, Abdoulaye Diop a martelé les progrès enregistrés ou en cours par le gouvernement de Transition sur le plan politique notamment. On notera, entre autres : l’adoption du chronogramme électoral fixant la fin de la transition à mars 2024 ; la mise en place de l’Autorité Indépendante de la Gestion des Elections (AIGE) ; l’augmentation du nombre de sièges au Conseil National de Transition (en cours) ; la mise en œuvre intelligente de l’accord d’Alger ; l’intégration de 26 000 ex-combattants et l’organisation de la semaine nationale de réconciliation.

Jusqu’ici le ton était plutôt conciliant. L’intervention du ministre Diop atteint son point d’orgue lorsqu’il évoque la saisine par le Mali du Conseil de Sécurité des Nations unies le 15 août 2022. En effet, le Mali accuse la France d’avoir violé son espace aérien et de porter secours aux groupes terroristes.

Constatant la surdité du conseil face à cette saisine, Abdoulaye Diop déclare : « Le gouvernement [du Mali] renouvelle sa demande d’avoir une réunion spécifique du Conseil de Sécurité qui lui donnera l’occasion de présenter des preuves concrètes des actes de duplicité, d’espionnage et de déstabilisation de la France à l’encontre du Mali… »

La réplique du représentant de la France aux Nations unies ne s’est pas fait attendre. Séance tenante, Nicolas De Rivière a tenu à apporter un démenti formel aux propos du chef de la diplomatie malienne en ces termes : « La France n’a jamais violé l’espace aérien malien, je conteste formellement toute violation du cadre juridique bilatéral. » Le cadre juridique auquel fait référence le diplomate français a été dénoncé par les autorités maliennes le 2 mai 2022. Dès lors, la France avait-elle encore le droit de survoler l’espace aérien du Mali à une période postérieure à la date de dénonciation ?

N’étant pas membre du Conseil de Sécurité, le Mali ne peut certes pas convoquer une réunion qui sera consacrée à ce sujet mais le ministre Diop ne pouvait-il peut présenter les preuves doit-il dit être en possession lors de son allocution ? Si oui pourquoi ne l’a-t-il pas fait ?

L’un des défis majeurs auxquels sont confrontés les diplomates est de porter la voix de leurs pays à l’échelle internationale, d’attirer l’attention de la communauté internationale sur les préoccupations de leurs pays. Il faut dire que Diop a bien compris cela. Si en théorie rien ne l’empêchait de dévoiler les preuves de violation de l’espace aérien du Mali par la France et autres actes « d’espionnage », en pratique cela n’aurait pas l’ampleur que les autorités de transition souhaitent donner à cette affaire. Comme évoqué plus haut, il s’agit là de la réunion de l’examen par le conseil du rapport trimestriel du Secrétaire général. Qui plus est, ce qui est en jeu, ce n’est pas la condamnation, même à titre verbal, du Conseil de Sécurité à l’égard de  la France, ce pays disposant d’un droit de véto qui empêcherait toute résolution allant dans ce sens, mais l’exposition médiatique et la symbolique que pourrait porter cette réunion.

Face au démenti de la partie française, et en bon diplomate, le ministre Diop a fait usage d’un stratagème que l’on appelle prendre avantage de l’antithèse évoqué par Arthur Schopenhauer. En effet, cette technique argumentative consiste à interroger l’adversaire sur l’opposé de notre thèse. En clair, le chef de la diplomatie malienne demande à la France elle-même, étant membre permanent du Conseil de Sécurité, de convoquer une réunion qui sera exclusivement consacrée à ce sujet. Désormais la balle est dans le camp français.

Cette énième épisode prouve une fois de plus que les relations diplomatiques entre le Mali et l’ex-puissance coloniale ne sont pas prêtes à s’améliorer. Les autorités de transition continuent de jouer sur la vibre patriotique et souverainiste. Le ministre Diop a conclu son intervention en rappelant que «  le peuple malien a décidé de prendre son destin en main », avant de rappeler les trois principes qui guident désormais l’action publique au Mali. A la France de comprendre que les temps ont changé et que pour avoir des bonnes relations diplomatiques, elle doit opérer un changement de paradigme.

 

Brehima Sidibé

Doctorant en analyse de discours politiques à CY Cergy Paris Université, observateur politique

 

Commentaires via Facebook :

1 commentaire

Comments are closed.