Oumar Sory Ly : In mémoriam

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Dans cette vaste maison incroyablement hospitalière de Korofina (aucune cloison à l’entrée), où la vertu et la pudeur côtoient la simplicité et l’intelligence, ma jeune amie Bébéni, « ta sœur jumelle », selon Tante Mama SOUCKO, m’a fait découvrir une salle de bibliothèque familiale, dans laquelle la lecture et l’étude précoces des ouvrages des grands penseurs de l’humanité ont nourri notre adolescence.

Je promenais avec une vague crainte mon regard sur les murs du salon couverts de grands portraits du Président Modibo KEÏTA et la lueur de gaîeté que j’avais dans les yeux en arrivant ici disparaissait d’un coup : on était après le 19 Novembre 1968. Quel courage, quelle fidélité : on n’arrivait pas à croire qu’une telle hardiesse existait encore au Mali.

En 1974 à Toulouse, j’ai eu peur lors de son arrestation pour cet homme courtois et bienveillant, dont le visage est l’expression symbolique qui désigne le sentiment vif et douloureux de cette génération d’hommes et de femmes que la défaite n’a pu vaincre ; pris par l’histoire, ces bâtisseurs d’avenir veulent à la fois la faire par devoir et y échapper par modestie, avec ses passions, ses ambitions, sa générosité, ses rêves, ses illusions et ses espoirs. Créer les mains nues des structures pour des créations nouvelles.

Tous les amis et condisciples (de tous pays et de toute couleur) de leurs enfants peuvent le confirmer : à leur égard, il n’est  jamais froid, indifférent, mais attentif et attentionné. Un silence ambigu cependant, plein de respect et de distance pour le bavardage emphatique de ceux qui conçoivent la politique comme l’expression de leurs petites histoires. Et quand sa conversation rejoint leur propos, elle constitue un magnifique antidote contre tout engourdissement de la pensée.

C’etait un homme qui savait (se) faire une opinion : ses yeux perçants évoquaient bien plus des horizons illimités que les pages de bréviaires dogmatiques et autoritaires.

Enclin à un doux scepticisme qui le protégeait aussi bien contre un excès d’illusions sur la nature humaine que contre un excès de doute à son égard, les rides s’effaçaient dans la jeunesse de son sourire de grand père quand défilaient ses souvenirs pleins de visions lointaines.

Il était difficile de ne pas aimer cette voix généreuse, paternelle, un peu chantante, de ce grand Peulh – Toucouleur au visage serein qui parlait si ouvertement du Mali en ne parlant jamais de lui-même. Les thèmes comme ceux du patriotisme, de l’engagement et de la résistance qui sont au centre de sa vie politique, le firent entreprendre très tôt une grande pérégrination, connaître des gens et des pays, poser les jalons de notre économie, visiter des lieux saints, des contrées anciennes, évoquer le passé, et, en définitive, vivre heureux avec la foi et la raison.
Idéaliste fervent aux prises avec la réalité brutale de la vie politique de notre pays, il a composé une image exemplaire de modération et de modestie qui lui survivra : vitalité, conscience, fierté, simplicité, telles furent les qualités qui l’accompagnèrent chez ses ancêtres et qui font de lui le symbole de toute une époque. Car s’il y eût jamais un homme à qui les événements donnèrent raison, un homme « qui n’était pas de la race des dupes », ce fut bien Papa Oumar Sory LY, qui savait flairer le fourvoiement, comme s’il n’eût vécu que pour çà.

Il n’a voulu rattraper aucun dernier train ni s’incorporer à aucune opportunité.

Souhaitons à Mama SOUCKO de toujours conserver le Graal destiné à leurs enfants et petits fils et qui n’est autre que le très rare équilibre avec soi-même.
Papy

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