Le président Donald Trump s’apprête à déployer l’armée américaine le long de la frontière sud de son pays pour intercepter et refouler les migrants clandestins venant du Mexique. Particulièrement visée par cette initiative est une caravane anti-corruption partie d’Amérique Centrale, avec à son bord plus d’un millier de ressortissants, principalement du Honduras, fuyant la corruption et le crime organisé dans leurs pays. Cette caravane est la traduction en fait concret du ras le bol général et de l’impuissance ressentis par les populations de cette partie du monde face à la corruption qui gangrène leurs pays.
Ce sentiment est largement partagé par les populations du reste du monde, en particulier les populations africaines. Dans le cas spécifique du Mali, la frustration et l’exaspération des populations face au fléau de la corruption se manifestent de plus en plus par l’émergence de mouvements comme le CDR (Collectif de défense de la République) du jeune activiste Mohamed Youssouf Bathily, connu sous le nom de Rasbath.
Ce mouvement, sans doute le plus populaire de tous les mouvements anti-corruption dans notre pays, surfe sur la vague de frustration, d’exaspération, et même d’indignation suscitée par l’échec de toutes les politiques mises en œuvre pour combattre la corruption dans notre pays au cours des cinquante dernières années.
Aucune des lois adoptées, aucun des organes créés n’ont permis de réduire, encore moins d’éradiquer le phénomène de la corruption dans notre pays. Ces échecs répétés ont créé chez le citoyen lambda le sentiment diffus que les pouvoirs publics manquent de volonté, de détermination et de patriotisme dans leurs efforts de lutte contre la corruption, et expliquent en grande partie la popularité de mouvements comme le CDR.
Parallèlement à ce sentiment de frustration répandu subsiste la réalité de nos comportements de tous les jours, qui alimentent et attisent la corruption dans notre pays. Le problème chez nous au Mali plus qu’ailleurs est que la corruption n’est pas l’apanage exclusif des différents régimes qui se succèdent au pouvoir. Nos populations, dans leur écrasante majorité pour ne pas dire leur totalité, sont tout aussi corrompues que les régimes qu’elles décrient tant, comme on a pu le voir avec le fiasco de la loi sur l’enrichissement illicite.
Cette loi, sans être parfaite, offrait une opportunité réelle à notre pays de réduire de manière significative la corruption dans notre administration publique, ce qui aurait eu des répercussions positives sur tous les secteurs de notre économie. Malheureusement, la loi sur l’enrichissement illicite, qui aurait obligé les employés du secteur public à déclarer leurs biens aux fins de comparaison avec leurs revenus légitimes, n’a pas pu résister aux assauts répétés des élus de l’Assemblée Nationale et des syndicats des travailleurs entre autres.
Contrairement à ce qu’on aurait pu attendre d’une population réellement frustrée, exaspérée et indignée par le phénomène de la corruption, les coups de boutoir des élus et des syndicats qui ont finalement eu raison de la loi sur l’enrichissement illicite, n’ont suscité aucune mobilisation de la société civile et des partis politiques.
Si la population et les organisations de la société civile telles que le CDR, dont le principal cheval de bataille est justement la lutte contre la corruption, et les partis politiques qui dénoncent régulièrement la corruption du régime en place, s’étaient mobilisés comme ils avaient su le faire contre la réforme constitutionnelle au sein de la plateforme ‘an tè a bana’, la loi sur l’enrichissement illicite serait en vigueur aujourd’hui et l’Office Central de Lutte contre l’Enrichissement Illicite serait effectif dans notre pays.
Cet oxymore de frustration jusqu’à l’indignation devant le phénomène de la corruption et de réticence voire d’hostilité franche envers toutes initiatives visant à combattre vigoureusement le phénomène révèle une chose: la corruption ne peut plus être combattue chez nous par les moyens classiques comme le passage de lois toujours plus strictes, la création d’organes, car au cœur de tous ces systèmes se trouve l’homme.
Tenter de combattre la corruption avec ces moyens classiques reviendrait à dépendre de notre confiance en l’intégrité morale et au patriotisme de ceux qui ont la charge des affaires publiques. Or, si tout le monde dénonce et critique systématiquement la corruption dans notre pays, personne n’est vraiment pressé de voir la fin du système en place, chacun en profitant ou étant convaincu qu’il peut en profiter. Dans un tel contexte, lutter contre la corruption nécessite l’adoption d’une nouvelle approche radicalement différente de ces approches classiques, une approche qui ne dépend ni de l’intégrité morale ni du patriotisme de l’homme, mais qui fait une utilisation intelligente de la technologie disponible dans le monde moderne.
Une vidéo a circulé récemment sur Facebook, qui a suscité l’indignation des internautes africains. Dans cette vidéo, on voit un homme, présenté comme le fils du président tchadien Idriss Deby, jeter en l’air des liasses d’argent comme si c’était du papier simple, sur lesquelles se ruaient avec voracité les invités d’une cérémonie.
Cette image illustre parfaitement la disponibilité facile et incontrôlée de l’argent liquide, la surabondance et la prédominance du cash qui a créé dans notre société les mauvaises habitudes qui alimentent la corruption dans nos pays africains. En effet, une faiblesse majeure de notre système économique est sa dépendance presqu’exclusive de l’argent liquide, un facteur essentiel dans la propagation et même la généralisation du phénomène de la corruption dans nos pays.
A titre d’exemple, devant l’échec de tous ses efforts pour obtenir des vendeurs détaillants la tenue d’une comptabilité en règle pour le calcul de l’impôt et des taxes à payer, le service des impôts a dû se résoudre à l’application d’un impôt dit synthétique, basé sur une simple estimation des ventes de ces commerçants, qui brassent pourtant des milliards de nos francs par an.
Cet échec du service des impôts à obtenir une comptabilité en règle des vendeurs détaillants est dû au fait que la presque totalité des transactions dans le domaine du commerce de détail se fait en cash, les autres moyens de paiement étant une exception. Lutter contre ce phénomène, qui n’encourage pas le secteur dynamique de la vente de détail à se structurer pour sortir résolument de l’informel et jouer pleinement son rôle dans notre économie, mais y alimente la corruption est possible, à condition d’investir massivement dans la technologie de la monétique.
En effet, ce phénomène serait révolu si toutes les transactions se faisaient par voie électronique et non par cash dans notre pays. Il suffit pour cela de remplacer le cash de l’acheteur par une carte bancaire, et d’installer des terminaux de paiement électronique (TPE) au niveau de tous les points de vente dans le pays. La première étape consiste à remplacer le cash des citoyens par une carte magnétique bancaire.
A ce niveau, tous les avoirs du citoyen seront placés dans un compte dans la banque de son choix. La banque choisie remettra au citoyen devenu client une carte magnétique, qui lui permettra de faire tous ses achats, mais n’autorisera aucun retrait de cash ni de virement dans le compte d’un tiers, comme les cartes de crédit classiques. Dans un pays au taux d’analphabétisme aussi élevé que le nôtre, la carte magnétique doit pouvoir être utilisée avec un code ou l’empreinte digitale du détenteur.
Dans une deuxième phase qui sera mise en œuvre parallèlement à la première, tous les points de vente de biens et service sans exception dans le pays, des plus petits aux plus grands, seront équipés de terminaux de paiement électronique. Ce système fluidifiera les transactions à tous les niveaux (le vendeur n’aura plus à chercher la monnaie pour l’acheteur) et surtout, rendra impossible tout échange d’argent entre deux ou plusieurs personnes, une condition sine qua non de toute transaction illégale (il sera cependant possible pour une personne d’émettre sur son compte une carte au nom des membres de sa famille directe avec l’ouverture qu’il sera libre de déterminer, un processus qui sera strictement contrôlé).
Ainsi, le secteur dynamique de la vente de détail sortira de l’informel pour devenir formel à son propre avantage. Les employés de commerce n’auront plus la possibilité de voler le cash de leurs employeurs. Les vendeurs ambulants, qui influent négativement sur le chiffre d’affaire des vendeurs légalement établis, ne seront plus qu’un souvenir. Le voleur n’aura plus d’intérêt à voler ou à braquer un point de vente, car il n’y trouverait aucun cash et s’il s’aventurait à voler des produits, il ne pourrait les revendre, le receleur potentiel n’ayant aucun moyen de les lui payer. Le trafiquant de drogue ou d’autres produits illicites n’aura aucun moyen de se faire payer par ses clients.
L’usager d’un service public n’aura aucun moyen de payer un fonctionnaire corrompu car ce dernier n’aura pas à sa disposition un terminal de paiement électronique personnalisé, ni de lui faire un virement. Il pourra par contre lui acheter quelque chose, mais sans grande valeur. En effet, le contrôleur du service public employant ce fonctionnaire pourra vérifier si la nouvelle voiture ou la nouvelle maison ou les nouveaux biens de valeur qu’il a acquis ont été payés avec sa propre carte ou non, et ouvrir une enquête le cas échéant. Les agents de circulation seront plus motivés à faire leur travail, qui consiste à verbaliser les coupables d’infraction au code de la route au lieu de les harceler aux fins d’arnaque et de racket. L’argent de l’amende ira dans les comptes du trésor public et non dans la poche de l’agent de circulation.
Les commissions occultes susceptibles d’entacher les processus de passation de marché disparaîtront, tous les paiements se faisant par voie électronique. L’entreprise sélectionnée n’aura aucun moyen de payer l’agent corrompu, aucune transaction monétaire étant possible entre les deux parties. Le comptable d’une organisation n’aura aucune raison de prendre en otage l’argent du fournisseur, qui ne pourra de toute façon pas lui rétrocéder le dessous de table voulu sur cet argent. L’argent public détourné et planqué dans des comptes secrets à l’étranger ne pourra plus être utilisé dans notre pays, et notre gouvernement pourrait facilement travailler avec les autorités des pays concernés pour traquer les coupables s’il leur arrivait de s’exiler. Cela pourrait motiver les indélicats à rapatrier les fonds détournés contre la clémence de la justice.
La fraude bancaire qui consiste à monter de faux dossiers de prêt pour utiliser l’argent du prêt une fois accordé à d’autres fins, qui a un impact si négatif sur notre économie, ne sera plus payante. En effet, les bénéficiaires de prêt bancaire n’auront plus accès au cash, mais recevront des cartes magnétiques qui leur permettront d’acheter les biens, intrants et services nécessaires à la réalisation de leurs projets, mais pas de retirer ou de virer l’argent du prêt dans le compte d’un tiers. Les biens et produits et/ou services qu’ils fourniront seront payés par voie électronique, et la banque aura le droit de prélever directement sur le compte des payeurs récalcitrants l’argent qui lui est dû.
Cette technologie est déjà utilisée dans tous les pays du monde, y compris le nôtre, sur des échelles variées. En effet, si elle est à l’état embryonnaire dans notre pays, dans les pays dits développés, son utilisation est assez répandue. Dans certains pays comme les Etats Unis, toutes les transactions, même les plus petites, se font désormais avec la carte de crédit ou bancaire. L’application de cette technologie à la lutte contre la corruption dans notre pays n’aura donc aucun impact négatif sur nos échanges commerciaux avec les autres pays.
Par contre, un tel système nous permettra de choisir ce que nous importons et à quel coût, ce qui protègera notre industrie naissante et réduira substantiellement le coût des produits importés et donc, de la vie. Parallèlement à la réduction du coût de la vie, l’augmentation substantielle des revenus de l’Etat et des entreprises grâce à l’utilisation intelligente de la monétique permettra d’envisager une revalorisation des salaires afin de rendre cette mini révolution supportable par les populations.
A terme, l’application intelligente de cette technologie débarrassera notre pays du vol, de la corruption et de tous les crimes d’argent, toute transaction monétaire cessant d’être possible entre le corrupteur et le corrompu et pour les criminels. Mais le changement le plus positif se ressentira dans la nouvelle attitude et le nouveau comportement de nos cadres qui, une fois débarrassés de la compétition malsaine pour l’accumulation illicite de l’argent sale de l’aide au développement, pourront s’atteler à l’œuvre de construction nationale. C’est pour cette raison que je suis de ceux qui pensent que la future monnaie de la Cédéao doit être électronique.
Un tel projet nécessitera un investissement initial massif coûteux dans la technologie de la monétique, mais rentable à long terme. En effet, la vulgarisation de la monétique débarrassera nos pays de l’obligation de remplacer régulièrement l’argent en papier, qui s’use après un certain temps, un processus coûteux à chaque fois; de tous les crimes d’argent, et du casse-tête permanent de la gestion de l’argent liquide. Nos Etats pourront dès lors concentrer tous leurs efforts sur les questions de développement réel.
En fait, le seul obstacle à un Mali et plus généralement à un monde sans cash est l’instinct primaire de l’homme et son effroi devant la perspective d’un monde débarrassé de la corruption et du crime. Au lieu d’envoyer des soldats à sa frontière sud avec des armes pour harceler des gens ordinaires désireux d’avoir une vie meilleure, loin de la corruption et du crime, M. Trump serait mieux inspiré d’aider les pays de ces paisibles citoyens du monde à vulgariser l’application de la technologie de la monétique à la lutte contre la corruption.
Le changement dans la gestion des affaires publiques qui en résulterait fixerait définitivement toutes les caravanes de demandeurs d’asile qu’il espère refouler à la frontière sud de son pays chez elles.
Kandioura