Opinion juridique sur le cas des anciens ministres arrêtés : la loi est dure, mais c’est la loi

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Comment rendre simple ce qui parait compliqué et complexe dans la procédure judiciaire qui frappe les anciens ministres mis sous mandat de dépôt, en attendant leur jugement ? Comment éclairer le fondement de cette procédure assez spéciale sans prendre part à ces plaidoiries de parties opposées sur l’instrumentalisation ou pas de la justice ?

Vous l’aurez compris, notre approche est double : apprécier les faits et exposer nos conclusions de manière pédagogique. De nature, quand le droit est bien perçu, il découle du bon sens et s’énonce clairement.

Arrestation des anciens ministres : ce qui pose problème

De la perception générale dans le monde politique et quelque peu judiciaire, les anciens ministres bénéficient d’un privilège de juridiction pour les actes délictuels ou criminels commis lorsqu’ils étaient ministres. Ce privilège fait que seule la Haute Cour de justice est compétente pour les juger, et l’Assemblée nationale pour enclencher la procédure par le vote de la mise en accusation qui lève toute immunité (article 95 de la Constitution de 1992)[1]. Hors, actuellement ni la Haute Cour de justice ni l’Assemblée nationale n’existe. La première étant liée à la seconde (article 96 de la Constitution de 1992), la seconde ayant été dissoute le 18 août 2020. Alors de quel droit, la Cour suprême interpelle ces anciens ministres et les met en détention provisoire avant un éventuel procès ? Et ce, devant quelle cour ou tribunal ? Donc, c’est une entorse à la loi fondamentale, une arrestation politique, une instrumentalisation de la justice, concluent-ils.

Cette accusation de l’accusation est-elle fondée ?

Arrestation des anciens ministres : ce qui la justifie

La Constitution de 1992 n’est pas parfaite. Le 18 août 2020, nous en avons eu l’illustration la plus manifeste : une Assemblée nationale dissoute, un gouvernement et un président de la République démissionnaires, et tout cela, successivement. Rien dans la Constitution n’avait anticipé un tel vide institutionnel (4 institutions en même temps)[2] ; du même coup, le Mali était face à un vide constitutionnel. Que faire ?

« La nécessité faisant loi », un Acte fondamental[3] est secrété dans la plus grande discrétion pour combler ce vide, en attendant d’en délibérer lors des concertations nationales des 10, 11 et 12 septembre 2020. Dans la foulée, une Charte de la Transition est adoptée pour compléter et supplanter en cas de contradiction la Constitution de 1992, au lieu de la suspendre comme le recommandait le bon sens[4]. La Charte (article 3) créé trois organes de la Transition pour remplacer le président de la République, le gouvernement et l’Assemblée nationale, à savoir : le président de Transition, le gouvernement de Transition et le Conseil National de Transition. Elle a donc oublié la Haute Cour de justice. A dessein ou pas ?

Il en est résulté que le vide constitutionnel relatif à la Haute Cour de justice demeure. Ainsi, faisons-nous encore face à l’interruption du fonctionnement régulier des institutions qui fonde le président de Transition (article 50 de la Constitution de 1992) à prendre les mesures exceptionnelles qui s’imposent pour assurer la continuité de l’Etat dans toute sa plénitude. En application de cette prérogative, une ordonnance présidentielle prise en conseil des ministres pourrait déférer les prérogatives constitutionnelles de la Haute Cour de justice à la Cour Suprême en attendant le retour à un ordre constitutionnel normal. Cette voie n’a pas été choisie, tout comme celle qui consisterait à réviser la Charte (article 21) pour instituer une Haute Instance de justice en remplacement de la Haute Cour de justice le temps de la Transition.

Dans cette affaire, le vide constitutionnel relatif à la Haute Cour de justice est comblé par l’article 206 de la loi organique[5] n°2016-046 du 23 septembre 2016 relative à la Cour Suprême, qui stipule :

« En matière criminelle…la Chambre criminelle de la Cour Suprême peut dessaisir toute juridiction d’instruction ou de jugement et renvoyer la connaissance de l’affaire à une autre juridiction de même ordre, soit si la juridiction normalement compétente ne peut être légalement composée ou si le recours de la justice se trouve autrement interrompu, soit pour cause de suspicion légitime ou de sûreté publique. »

En l’espèce, le recours de la justice, principe cardinal, se trouve autrement interrompu par l’absence d’une juridiction spéciale de jugement, en l’occurrence la Haute Cour de justice, pour cause de sûreté publique. Le principe de rendre justice ne doit pas être anéanti par cette absence ; la Cour Suprême, juridiction spéciale de justice de rang institutionnel[6] au même titre que la Haute Cour de justice, peut s’en attribuer les prérogatives en attendant le rétablissement du recours normal.

Cette disposition de la loi organique de la CS ne contredit pas la Constitution de 1992, car celle-ci ne prévoit rien en cas d’absence de la HCJ au sens de son article 96. En ce sens, la loi organique la complète.

Quant au fond de l’affaire, à savoir si les crimes reprochés aux anciens ministres rentrent sous la couverture de l’exercice de leur fonction, fera l’objet d’une autre opinion. Qu’est-ce qu’une fonction ? Qu’est-ce que c’est que l’exercer ?

En attendant, les lecteurs peuvent méditer cet exemple : Le directeur d’une boulangerie vole une cargaison de pains au profit de sa belle-famille. Ce vol relève-t-il de sa fonction de directeur ?

Dr Mahamadou KONATE

Publiciste-Universitaire

[1] – Cet article parle expressément de « ministres » et non d’anciens ministres. Ancien ministre n’est pas une fonction. C’est les politiques qui adorent ce titre même bien après leurs fonctions.

[2] – L’Assemblée nationale, la Haute Cour de justice, le gouvernement et le président de la République.

[3] – Votre serviteur y était opposé à cause de ses nombreuses imperfections et aberrations juridiques, et avait proposé au CNSP un Acte fondamental modificatif, le 30 août 2020.

[4] – Votre serviteur est de même opposé à cette dualité constitutionnelle juridiquement indigestible. Mais son opposition ne peut faire obstacle à leur normativité, puisqu’acceptée par la majorité des maliens.

[5] – De nature en droit constitutionnel, une loi organique complète la Constitution.

[6] – Il existe trois juridictions spéciales de rang institutionnel au Mali : la Cour constitutionnelle, la Cour Suprême et la Haute Cour de justice. Leur spécialité vient du fait que la Constitution leur octroie un objet de litige exclusif.

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