Opinion: Feuille de route du gouvernement pour une sortie de crise : Les pourparlers inclusifs aux calendes grecques ?

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Cheick Oumar Diarrah, ministre malien de la Réconciliation nationale et du Developpement des régions du nord.

La réalisation de toutes les activités préparatoires signifierait que les négociations formelles ne démarreraient pas avant octobre 2014, même si « l’équipe chargée de la négociation est déjà constituée » et que « sa composition sera rendue publique en temps opportun. » Cela est d’autant plus vrai que « les foras locaux et régionaux sur toute l’étendue du territoire » devraient se poursuivre jusqu’en octobre 2014 où devrait avoir lieu la « synthèse nationale des foras locaux et régionaux». Alors, cela pose réellement la question d’échéance pour le démarrage effectif des négociations, se préoccupe l’auteur de cette contribution, Abdourhamane Dicko, intitulé : Analyse des « Eléments de la feuille de route de sortie de crise » du Gouvernement de la République du Mali. Les questions de calendrier, la détermination des sites de cantonnement n’échappent pas à son analyse. Il s’étonne que le Gouvernement ne mentionne nulle part parmi les éléments de cette feuille de route la « promotion et la protection des droits de l’Homme au Mali » et « la justice et la réconciliation. »

 

Analyse des « Eléments de la feuille de route de sortie de crise » du Gouvernement de la République du Mali

 

 

Ce document de 4 pages datant du 3 février 2014 était destiné à Monsieur Gérard-Araud, co-président de la délégation du Conseil de Sécurité en visite au Mali. Censé constituer les éléments de feuille de route du gouvernement pour une sortie de crise, cette feuille pourrait renvoyer la réconciliation inter-maliens, « la paix définitive et durable » aux calendes grecques et compromettre dangereusement la reconstruction du pays malgré toutes les bonnes volontés, nationales et internationales.

 

 

L’élaboration d’une feuille de route de sortie de crise est certes à saluer car elle évite le pilotage à vue et réconforte les partenaires, mais celle du Gouvernement semble incomplète et non exempte de questionnements. Le document comprend une introduction et huit parties allant du calendrier des actions conjointes avec la MINUSMA au redéploiement de l’administration et des services sociaux de base. Cela ne signifie, souhaitons-le, que la mise en œuvre de la feuille de route sera effectivement mise en œuvre en respect de cette structuration.

 

 

Le calendrier des actions conjointes Gouvernement-MINUSMA préparatoires aux pourparlers inclusifs de paix ouvre la feuille de route gouvernementale.

Cette partie comprend des activités réalisées ou à réaliser et des dates connues ou à déterminer. L’on constate que plusieurs activités ont été réalisées sans que les citoyens puissent en être informés. A titre d’illustration, il aurait été mieux d’informer les citoyens des leçons apprises des accords précédents afin de permettre à d’autres acteurs de compléter les analyses faites car la question des accords précédents a été largement discutée depuis le déclenchement de la crise sécuritaire. Que d’acteurs les ont déjà analysés comme le COREN, la Coalition pour le Mali, les regroupements de partis politiques et alliés (ADPS), le COLEN. Toutes ces analyses pourraient être utiles, mais il se peut aussi qu’elles aient été prises en compte dans les documents d’analyse de l’atelier. Cela est d’autant plus souhaité que les participants à ces ateliers ne sont pas connus du grand public. Aussi, la question de cantonnement et de DDR intéresse-t-elle les Maliens dans leur ensemble, et les populations des régions du Nord en particulier car il faudrait bien éviter de penser que les parties aux négociations voire pourparlers soient assez représentatives des populations du Nord. Or, ce sont ces populations qui doivent vivre le processus au quotidien.

 

 

Le processus de cantonnement va-t-il être cautionné par les représentants légitimes des populations que sont les collectivités locales (mairies, conseil de cercle et conseil régional) et les autorités traditionnelles, notamment les chefferies. Cela est d’autant plus important que même si la terre appartient à l’Etat, son occupation et son exploitation sont faites par les populations. Les sites de cantonnement nuisent-ils par exemple au pâturage ? Le Mali ne devrait pas commettre des erreurs d’identification des sites et de cantonnement des « potentiels » combattants sans une large consultation de la base.

 

 

La feuille de route mentionne également des « discussions exploratoires sous l’égide de l’Algérie ». Elle rend compte des premiers efforts déjà entrepris par la partie algérienne pour rapprocher les positions des groupes armés. Trois groupes (HCUA, MAA et FPR) ont déjà « adopté une attitude positive pour le démarrage des discussions avec le Gouvernement ». La tenue des discussions en Algérie est un signal fort des autorités maliennes en faveur du changement de lieu et de leader dans la médiation. Les autres pourraient rougir les yeux, mais il en sera ainsi. Cela n’est pas grave et est même salutaire pour un pays comme le Mali qui veut bien garder les cartes de la médiation en main. Cependant, les discussions sont exclusives car elles n’intègrent pas tous les autres mouvements, notamment ceux se réclamant des sédentaires, en l’occurrence la plateforme regroupant Ganda-koy, Ganda-izo et autres. Cela est d’autant plus légitime que le FPR n’aurait nullement participé aux combats.

 

 

Il ressort de la feuille de route que le MNLA n’a pas encore signé la « plateforme déjà agréé par les trois autres mouvements » (sic), d’où la prévision d’une seconde phase de « discussions exploratoires ».

 

 

L’un des points les plus litigieux, à notre avis, est celui consacré à « l’association des représentants des Communautés du Nord ». Ce point traduit l’intention du Gouvernement et de ses partenaires de créer des Maliens de première et de seconde zone au processus des pourparlers de paix. D’abord, la notion de « forces vives des trois régions du Nord » est floue et exclusive de l’ensemble de la nation malienne. Quels sont les critères définis pour les forces vives ? Qui sont-elles ? Ainsi, l’information et l’association à la recherche d’une sortie de crise durable ne sauraient concerner seulement les régions du Nord. En raison de la non-effectivité du retour des déplacés et des réfugiés, la question de représentativité se pose à nouveau. Le Gouvernement envisage de dévoiler sa stratégie de sortie lors de ce forum des forces vives et « mobiliser (…) en vue de parvenir à un accord de paix inclusif. Cela ne serait-il pas une manière de mettre la charrue avant les bœufs car l’on ne saurait exclure plus de la moitié des forces vives du pays et prétendre à un accord inclusif. Le gouvernement du Mali prévoit parmi les éléments de la feuille de route que « durant les négociations, les représentants des communautés du Nord seront présents sur le site des pourparlers. Ils seront informés, en temps réel, selon les formes à déterminer de l’évolution des discussions avec les mouvements armés. »

 

 

A travers cette approche le Gouvernement confirme, en sus de la catégorisation des forces vives, la primauté des groupes armés sur les autres communautés. Il fait d’eux les représentants légitimes des communautés du Nord ignorant toutes les critiques faites aux groupes armés par les mêmes communautés du Nord.

 

 

Aussi, regrouper les représentants des communautés sur les sites des pourparlers est une insulte auxdites communautés qui se voient coiffer au poteau par des bandits armés. Du coup, l’arme deviendrait, aux yeux de plusieurs citoyens du Nord et même d’autres contrées du pays, plus importante que la citoyenneté, le patriotisme et la loyauté. Il s’agit, ni plus ni moins que d’une prime à la rébellion. Mais cette prime est de loin la plus importante de toutes les précédentes faites aux groupes armés car les pourparlers se dérouleront sous le nez et la barbe des communautés avec des bandits qui les ont pillées, détruites, humiliées et violées. Il est nécessaire d’aller à la paix, au renforcement de la cohésion sociale, mais cela devrait se faire dans le respect de l’honneur et de la dignité.

 

 

Le Gouvernement et ses partenaires devraient constamment garder à l’esprit que les pourparlers se font au nom de l’ensemble des Maliens qui ont tous sans exclusive, droit au chapitre. L’ancien premier ministre du Mali, Ag Hamani ne disait-il pas qu’« Aucun chef de Fraction ni de tribu ne milite dans la rébellion. » Alors pourquoi donner plus de légitimité aux groupes armés qu’aux chefs de tribu, de fraction ou de village ? « L’inclusivité » exige que toutes les parties aient droit au chapitre dans les mêmes conditions de droit, d’égalité et d’équité.

 

 

C’est seulement à ces conditions que les « pourparlers de paix » pourraient démarrer et connaitre une certaine réussite d’aboutir à un accord inclusif et global. D’ailleurs, la réalisation de toutes les activités préparatoires signifierait que les négociations formelles ne démarreraient pas avant octobre 2014 même si « l’équipe chargée de la négociation est déjà constituée » et que « sa composition sera rendue publique en temps opportun. » Cela est d’autant plus vrai que « les foras locaux et régionaux sur toute l’étendue du territoire » devraient se poursuivre jusqu’en octobre 2014 où devrait avoir lieu la « synthèse nationale des foras locaux et régionaux. » Alors, cela pose réellement la question d’échéance pour le démarrage effectif des négociations, mais surtout de leur contenu ainsi que de la réelle implication de la société civile. Les négociations devraient-elles avoir lieu pendant que les foras se poursuivaient ? Si oui, à quelle fin ? Quelle importance est accordée aux résultats de ces foras s’ils ne pouvaient pas alimenter les négociations ?

 

 

En raison des enjeux et des défis liés à la crise sécuritaire et des perspectives durables de son règlement, la sélection des négociateurs et du contenu des négociations devrait se faire suivant un processus connu et partagé de tous les Maliens.

 

 

Concernant les thèmes des discussions, ils ont trait à des « aspects militaires et sécuritaires », à la « réinsertion socio-économique et sociale », à « l’intégration dans le processus politique et prise en compte des spécificités culturelles » et au « retour et réinsertion des populations déplacées et réfugiés (éléments de réconciliation nationale). » Ces thèmes renvoient pour l’essentiel à l’Accord du 18 juin 2013 dit de Ouaga qui prévoit à son chapitre 3, article 20 :

 

 

« A l’issue des élections présidentielles et 60 jours après sa mise en place, le nouveau Gouvernement, en collaboration avec la Commission dialogue et réconciliation entamera, avec l’accompagnement de la communauté internationale, des pourparlers de paix avec toutes les communautés du nord, les signataires ainsi que les groupes armés ayant adhéré au présent accord en vue d’aboutir à l’établissement d’une paix globale et définitive.

 

Ce dialogue inclusif portera entre autres sur les questions suivantes :

–          l’organisation administrative et institutionnelle du Mali, en particulier les régions du Nord du Mali désignés par certains sous le terme Azawad ;

–          la stratégie de développement intégré des collectivités territoriales du Mali ;

–          la gestion des ressources et richesses nationales ;

–          la réorganisation des forces de défense et de sécurité ainsi que le programme de désarmement, de démobilisation et de réinsertion socioéconomique (DDR) des groupes armés du Nord Mali ;

–          l’amélioration de la gouvernance administrative, économique et politique ;

–          le retour des réfugiés et des personnes déplacées et leur réinsertion ;

–          la promotion et la protection des droits de l’Homme au Mali ;

–          la justice et la réconciliation »…

 

Par rapport à la réinsertion économique et sociale, il est question de mise en place de projets à résultats rapides, d’identification des programmes de formation, de définition des mécanismes transparents de gestion des projets, de présentation des aspects du PADRN attractifs pour les mouvements armés du Nord et de reprise des projets de développement arrêtés du fait de l’insécurité. La réinsertion doit se faire pour l’ensemble des Maliens, avec une certaine discrimination positive en faveur des jeunes des régions du Nord, et non des mouvements armés du Nord. …

 

 

Dans ce cadre, les projets arrêtés du fait de l’insécurité doivent être prioritairement la poursuite et l’accélération de la construction du barrage de Taoussa, la construction des voies de désenclavement des régions du nord, l’identification des meilleures opportunités pour l’élevage et ses sous-produits de manière à permettre un rapide transfert de mode de vie des communautés à la base.

 

 

Il faudra surtout concevoir et mettre en œuvre des réels programmes de développement pour l’ensemble du pays…

 

Dans le cadre du retour et réinsertion des populations déplacées et réfugiés (éléments de réconciliation nationale), il est prévu seulement d’accélérer le retour des volontaires. Nous osons espérer que le manque d’éléments dans cette sous-rubrique ne traduit pas un certain manque de volonté ni de proposition pour le retour et la réinsertion des déplacés et réfugiés. Il est évident pour tous que ce retour est fortement tributaire du retour et de la qualité de l’administration dans ces régions. Il est aussi tributaire du comportement des forces de défense et de sécurité comme des populations locales restées sur place. …

Mais il est quand même étonnant que le Gouvernement ne mentionne nulle part parmi les éléments de cette feuille de route la « promotion et la protection des droits de l’Homme au Mali » et « la justice et la réconciliation. » cela est d’autant plus important à relever ces deux points car ils constituent le fondement de la construction du « revivre ensemble ». Tant que les droits fondamentaux ne sont pas préservés, il sera difficile de garantir la cohésion sociale et entamer le processus démocratique et de développement.

 

 

Un élément de la feuille de route est aussi relatif au programme de travail de la Commission, Vérité, Justice et Réconciliation. Cette commission est indispensable dans la reconstruction nationale mais son travail doit être fait avec beaucoup de professionnalisme. Les hommes et les femmes appelés à servir la Nation au sein de cette commission doivent être au-dessus de tout soupçon en termes de moralité, de compétence, de patriotisme et de loyauté. Ils doivent tous avoir apporté la preuve de ces qualités.

 

La mise en place de la commission a pris du retard en raison de la sensibilité de la mission de la commission mais surtout des procédures parlementaires. Mais à ce niveau aussi, le travail doit être fait non pas pour faire plaisir au Prince du Jour, mais conformément aux attentes des Maliens. …

 

Abdourhamane Dicko, mars 2014, Bamako, Mali

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1 commentaire

  1. Ce Ministre(COD). non moins ex-ambassadeur du Mali USA(1996…) a hérité d’une mission très difficile voire impossible à réaliser compte tenu des données sur le terrain: insécurité, diplomatie éclatée et polarisée, etc.

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