Le MaliKura que nous appelons de nos vœux, depuis le début de la crise malienne, semble de plus en plus s’éloigner au vu de la désynchronisation entre les promesses tenues et les actes réellement posés.
La sélectivité dans la lutte contre la corruption, dans la mise en œuvre des textes de loi, dans le respect des engagements pris, sont autant de critiques proférées et comparables à celles qui étaient adressées aux régimes précédents, donnant l’impression d’un immobilisme dans la continuité des 50 dernières années.
Il faut abandonner ces sentiers habituels et épuisés ; sur eux, aucun système politique ni aucune forme d’organisation, quelles qu’en soient les vertus, ne peut prospérer. Il nous faut emprunter un nouveau sentier, porteur d’espoirs.
Une conduite vertueuse des affaires
Un leader, c’est avant tout un serviteur. Il vient donner de soi, il ne vient pas prendre des autres. Il vient construire, il ne vient pas se construire. Il vient bâtir l’avenir du pays, il ne vient pas préparer son avenir. Il vient souffrir sous le fagot, il ne vient pas jouir sur les dos. À tous les segments du pouvoir, devons-nous avoir de tels leaders qui inspirent le bien.
La gestion des affaires dans une période de transition se différencie de celle d’un mandat normal, en ce sens que les objectifs visés reposent sur la création d’un socle devant supporter par la suite des éléments hétérogènes avec une finalité de rendre cet ensemble homogène.
La complexité d’une telle œuvre nécessite donc de la transparence, un calendrier clair dans un délai contraint, une adéquation des compétences aux tâches mais surtout des choix forts de sortir du périmètre de la transition tout ce qui n’est pas nécessaire ou dont la mise en œuvre ne relève pas de la compétence d’un régime transitoire.
Un leader qui inspire, qui montre la voie et qui est surtout capable de fédérer la population et l’équipe dirigeante autour de ce projet commun, est nécessaire. En l’absence d’institutions fortes comme c’est le cas au Mali, il faut un leader fort pour poser les bases de ces institutions.
Un délai raisonnable de la Transition
La CEDEAO est injuste envers le Mali ! La CEDEAO n’a pas le droit d’imposer un embargo sur le Mali ! La CEDEAO veut bâillonner le Mali au profit d’une force étrangère ! Que d’accusations faciles et inutiles à abandonner au passé.
Notre pays, depuis le 09 janvier, fait l’objet de sanctions politiques, économiques et financières de la CEDEAO. Malgré toutes les dispositions prises, les prix des denrées de première nécessité ont flambé ; comme si le ciel s’en mêlait, même les prix des produits qui en étaient exemptés ont flambé, à moins d’un mois du mois de carême.
Les transactions financières à l’extérieur sont bloquées. La dette extérieure de l’Etat se grève. Les entreprises se meurent à petit feu.
Les récentes victoires de l’armée sont atténuées par les attaques sporadiques des ennemis et leurs replis stratégiques dans l’espace opérationnel de la CEDEAO. L’insécurité n’est pas jugulée.
Les populations souffrent, la peur de l’avenir est plus forte que l’espoir. Le taux de mortalité des mois à venir le reflètera sans doute.
À la dernière négociation, bien que les lignes aient bougé, aucun accord n’a été trouvé. De cinq (5) ans à quatre (4) ans, de quatre (4) ans à trois (3) ans, de trois (3) ans à deux (2) ans, les autorités nationales ont donné raison à ceux qui pensaient qu’il fallait négocier plutôt. Notre entêtement à nous dédire et aller à des assises non inclusives et résolutoires, a fini par anéantir le peu de crédibilité qui nous restait. Le peuple ne décide plus, d’ailleurs a-t-il jamais décidé ; puisque ces différentes échéances sont proposées sans lui.
Ne nous leurrons point. La CEDEAO est en position de force. Sur ce point, elle semble avoir de son côté, la force morale. Elle ne peut comprendre qu’un pouvoir de Transition de dix-huit (18) mois, en vienne à demander l’équivalent en temps d’un mandat présidentiel ordinaire… Mais tout n’est pas perdu.
Rappelons l’évidence, que cette première période de la Transition a été selon le standard de la CEDEAO, un échec. Il conviendrait alors de demander une seconde chance d’une autre période de dix-huit (18) mois, ce qui reviendrait à remettre à zéro le compteur initial de la Transition, avec une nouvelle architecture et de nouvelles garanties. Dix-huit (18) mois de plus, c’est le maximum qu’on puisse raisonnablement demander, pour redoubler la même classe avec les mêmes matières.
Un mandat réaliste
Nous avons l’avantage de la première expérience. Une Charte de la Transition trop ambitieuse, au total huit missions consacrées, à peine une réalisée, en l’occurrence « le lancement du chantier des réformes politiques, institutionnelles, électorales et administratives ».
Pour être réaliste, il faut être conscient de ses moyens et vouloir ne pas en imposer plus qu’on ne peut supporter. Au regard des contingences nationales et la conjoncture internationale qui se dessine, il serait suffisant d’assigner à la Transition pendant les prochains dix-huit mois, les missions suivantes dont certaines sont déjà en chantier : 1-Le rétablissement de la sécurité sur l’ensemble du territoire ; 2-La création des conditions de base pour la refondation de l’Etat ; 3-L’adoption des réformes politiques et institutionnelles ; 4-L’organisation des élections présidentielle et législatives couplées, libres, crédibles et transparentes.
5-La mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, dans les engagements pris avant le 25 mars 2022 (moratoire à négocier sur l’adoption de nouvelles mesures d’application jusqu’à l’élection du futur président de la République, pour décider de sa relecture consensuelle ou son application intégrale). Ces missions doivent faire l’objet d’une bonne communication et d’une révision de la Charte de la Transition.
Une diplomatie constructive de l’escalier
Nous sommes actuellement brouillés avec nos voisins immédiats. Sur sept (7) de nos frontières, trois (3) sont de potentiels refuges pour nos ennemis car fermées à notre coopération militaire et économique, à savoir le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Niger. Sur les quinze (15) de nos proches voisins de la CEDEAO, treize (13) ont fermé leurs frontières à toutes les marchandises et transactions financières à destination de notre pays.
Quant au reste des voisins du continent, nous sommes suspendus de l’Organisation commune et faisons l’objet de moult formes de discrimination.
Nous sommes également en froid avec certains de nos partenaires stratégiques du reste du monde, notamment la France, les autres pays de l’UE et les Etats-Unis. Ces pays sont parmi les plus grands vendeurs d’armes au monde, les plus puissants économiquement et militairement. Rien ne peut combler ces vides et ces rétrécissements dans un avenir immédiat. Rien.
Trop de fronts, y compris ceux de l’intérieur, nous affaiblissent et servent nos ennemis. Même une puissance mondiale, avec de tels handicaps, ne pourra que survivre à long terme, à fortiori un pays en sous-développement. Il faut se ressaisir, dépasser son égo et mettre en avant l’intérêt national.
Ce qui fait gagner la guerre, ce n’est ni la force physique ni la masse des armes, c’est l’intelligence de s’en servir ou les réduire à l’impuissance. Savoir éviter des batailles inutiles ou gagner sans tirer une seule balle, voilà la plus belle des victoires.
Sachons raison garder, commençons par réparer nos rapports avec nos voisins de la CEDEAO. C’est la première marche de notre diplomatie constructive de l’escalier.
Faisons le compromis nécessaire, proposons dix-huit (18) mois qu’ils ne peuvent raisonnablement refuser, la moitié de ce que nous leur avons initialement proposé à Bamako, pour lever les sanctions. Ensuite, mettons les garde-fous pour ne plus être pris à défaut de nos engagements. L’UA suivra.
Du côté de l’UE, commençons par engager une désescalade avec la France. Il faut apaiser le langage officiel. Il n’est point question que les troupes françaises retournent. Mais il est nécessaire, après un changement de gouvernement, de s’asseoir et de réchauffer progressivement les relations diplomatiques, économiques et sécuritaires suivant un nouveau canevas convenu qui respecte nos intérêts. L’UE suivra, les USA aussi.
Du côté de la Russie, la coopération militaire d’Etat à Etat doit se poursuivre et se renforcer. Notre doctrine sécuritaire doit être clairement définie et connue. Sur les confrontations entre nos partenaires stratégiques, nous devons continuer de garder notre neutralité et inviter toujours à l’apaisement. Leur affrontement ne nous arrange pas, il nous dessert ; nous ne pourrons dans ce cas-ci profiter pleinement du potentiel d’aucun d’entre eux. La guerre est une grande consommatrice de ressources internes et un vrai Léviathan.
Une approche sécuritaire de stabilisation
Pendant le délai imparti, nous ne pourrons pas renforcer la sécurité partout sur le territoire. Mais nous pouvons la rétablir là où elle n’existe pas et la stabiliser là où elle demeure. Cette approche doit avoir deux (2) têtes, une qui part des régions militaires vers les villages, et une autre qui part des frontières stratégiques vers les centres villes.
Il faut mettre les populations civiles à contribution, de deux (2) manières : 1-Une vaste campagne de communication pour renforcer la confiance, en mettant en relief le rôle de l’Armée, les succès en matière de protection des civiles et les mesures de rétorsion prises par l’Armée contre des cas d’abus ;
Une mobilisation générale du peuple, en invitant aux armes les volontaires : reprendre en main les groupes d’auto-défense déjà constitués, en faire des réservistes et assumer leur encadrement militaire ; former de nouveaux et en faire des brigades de vigilance sur les terrains libérés par l’Armée.
En outre, nos moyens de guerre doivent évoluer ; il nous faut acquérir plus d’engins légers et adaptés au terrain, notamment les pinasses de guerre. L’Iran a atteint un niveau de technologie en la matière fort appréciable. Il doit être mis à contribution. Ici, on ne peut qu’effleurer, et tout ce qui précède n’est que des ébauches d’orientation.
Enfin, quand on accède au pouvoir au bout d’une lutte populaire, quelle que soit la façon dont on s’y est pris, chaque acte qu’on pose en trahison des aspirations légitimes des plus ordinaires de ceux qui ont sacrifié leur vie, nous perd irrémédiablement. Le pouvoir ne change pas l’homme, le pouvoir le révèle.
Bamako, le 23 mars 2022.
Dr. Mahamadou KONATE
Ibrahim KONE
Mohamed DIAKITE
Dr Modibo DOUMBIA