Note de lecture : Un jour je m’en irai Sans en avoir tout dit

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A bientôt 90 ans, Jean d’Omerson se surprend prend à écrire son autobiographie, sous la forme d’un  roman paru en septembre 2013 chez Robert Laffont. Bardé de diplômes comme   un moine bénédictin, ce Normalien, licencié en Lettres et Histoire, Agrégé de philosophie, et surtout Académicien, est un auteur prolifique. Sa marque de fabrique ? Réveiller ses congénères  avec des choses sérieuses rapportées dans une finesse qui ne fait pas de concession à la légèreté. 

 

Ibrahima Maiga
Ibrahima Maiga

Le roman, il faut voir des ” sauts “, des tranches de vie autour de trois parties qui font la signification claire de ce titre. La première, comme un coup de fatalité, s’intitule ” Tout passe ” et compte vingt trois chapitres. La deuxième “ Rien ne change “, compte  vingt trois chapitres. La dernière  ” Il y a au dessus d nous quelque chose de sacré avec vingt cinq chapitre ” traduit le recours ultime qu’est Dieu.

C’est ce style qui frise la confidentialité qui fait toute la portée de ce roman écrit à la première personne du singulier dans un premier temps : “  Un jour je m’en irai “. Sans doute. Et cette résolution ferme s’accompagne d’une autre vérité : ” sans voir tout dit “. Hélas, mais n’est ce pas toute la question ontique qui a taraudé les philosophes depuis longtemps : que vaut l’homme ! Oui, qui sommes nous dans l’existence

L’éternité rejoint la finitude sous la plume de Jean d’Omersson qui croit encore que l’écrit, dans sa forme papier, sera encore un puissant moyen d’expression, malgré la révolution technologique qui consacre l’emprise de l’image, de l’audiovisuel. Pas seulement, le livre, mais le genre littéraire qu’est le roman.

Là s’arrête le constat, car le roman, pour lui n’est pas une histoire autour d’une intrigue, mais “ des histoires, quelques délires, pas de descriptions grâce à Dieu, un peu de théâtre, pourquoi pas ? et les souvenirs, épars et ramassés pêle-mêle, d’une vie qui s’achève et d’un monde évanoui. Peut être ce fatras parviendra-t-il, malgré tout, à jeter sur notre temps pris de doute comme un mince et dernier rayon ? Et même, qui sait ?à lui rendre enfin un peu de cette espérance qui lui fait tant défaut “. (P.10).

Il n’est donc pas un romancier au sens posé par d’illustres créateurs comme   Benjamin Constant, Emile Zolà, ou François Mauriac. Il ne veut pas faire la même  chose qu’eux.

Pourquoi ? Eux sont morts, alors que lui, est encore en vie. Jean d’Omerson  veut du nouveau ; le nouveau qui fonde, non pas l’espoir, mais l’espérance avec au coin du parcours une bonne dose de lucidité : ”  je suis là, et c’est tout. Je m’arrange de mon époque comme je m’arrange d’être au monde “. (P 15). Existentialiste ? Pas vraiment à la lecture de sa sentence sur Jean Paul Sartre ” qui disait n’importe quoi avec beaucoup de culot et beaucoup de talent. Le comble c’est qu’il a pu dominer son époque en se trompant sur presque tout. (P. 118-119) Camus, non plus n’a beaucoup d’indulgence, lui dont on dit que “ les premières pages de l’Etre et le Néant avaient été assemblées en dépit du bon sens et qu’elles étaient incompréhensibles. Par contre, il est tombé sous le coup de deux ” maitres “ que furent pour lui Jean Hyppolyte ( traducteur et interprète de Hégel) et Ferdinand Alquié

Le  monde, pour lui, c’est d’abord le royaume de son enfance, dans une famille unie et gaie aux origines belges, hongroises, et russes. La religion est solide dans l’histoire de cette famille, tout comme la croyance ferme que la société est régie par des normes, des règles dans la pure conception de la bourgeoisie chevillée à la généalogie.

De grands repères, dans cette vie : la crise boursière de 1929, le chômage, le communisme, le nazisme, la guerre,   l’explosion de la science et de la technique qui ont pris le pas sur la nature… Et ” Très vite, l’immensité se contracte, s’apprivoise, devient mobile et nomade, descend dans la rue, pénètre dans les foyers “, sous la forme d’une électronique pétrie de puces.  (P 26).  La frénésie des inventions et des remises rapproche davantage l’auteur de Dieu,  le dernier recours.  Son  obstination n’a d’égale que sa volonté à vouloir comprendre le pourquoi des choses. Et nous le suivons dans les dédales de la création, dans l’histoire des religions, de la multitude des dieux au Dieu unique. Pas seulement le Dieu de la Thora, d’Abraham,  de l’Ancien et du Nouveau Testament, du Coran, mais aussi celui des anciens  de l’Egypte pharaonique. La transcendance est une notion partagée.  Dieu est le seul Maître, reconnaît l’auteur. Ce Démiurge est un chantre de la délégation des pouvoirs.

Dieu a choisi l’homme pour gouverner à sa place. Mais ce délégué ne va pas tarder va se lancer dans la contestation, jusqu’à nier l’existence même de Dieu. Copernic, Kepler, Galilée écriront des œuvres d’envergure révolutionnaire, sont passés par là. Suivront, les philosophes : Voltaire, Montesquieu, Diderot, Kant, Descartes. Enfin, il y a Darwin, ce ” simple voyageur “,  qui avec une audace inouïe va bouleverser la théorie de l’univers. Dieu n’a pas créée Adam et Eve. Déroutant ? Non. “ Dieu avait jeté l’éponge “, et nous voici dans le big bang qui fait de l’homme juste un maillon d’une immense chaine.  Déroutant non ! Tout aussi comme le vacillement de la notion de la famille bourgeoise qui va prendre un sacré coup avec l’arrivée d’un enfant venu du Tibet ; Parma Kapo, un enfant adopté par sa tante.  Personnage iconoclaste, Parma  Kapo est toujours resté boudhiste, mais un bouddhiste  qui adhéra  au Parti Communiste et participa à la libération de la France, dans les rangs de la résistance. Il connaîtra De Gaule et tous les compagnons de la libération.  Parma est aussi charmant au point de ” détourner ” la petite fiancée de l’auteur ! ù Et cet enfant venu du Tibet va si bien s’intégrer dans la famille qu’il finira par prendre à l’auteur sa fiancée.   Pama, n’est pas le seul intrus dans cette famille carrée. Il y a aussi  Tamara, ” la somalienne à la beauté foudroyante ”  rentrée dans le cercle, au bras d’un neveu dandy. Détestée au départ, Tamara se battra pour arracher son insertion. Et elle sera l’enfant de la famille. Tant d’épreuves conduisent  à l’humilité, surtout quand l’âge avance et que la santé décline. Et ce sujet est un motif de déréliction pour l’auteur qui tisse un rapport entre l’intentionnalité et la temporalité.  ” La santé, écrit-il est un état qui ne présage rien de bon et la nature suffit souvent à guérir les maladies. Il arrive au rouge de sortir vingt fois de suite- mais le noir finira bien par s’imposer tôt ou tard “. Pessimiste ou réaliste ? Les deux.  ” Il y a, ajoute-t-il, une règle qui ne souffre pas d’exception : les puissants seront abaissés, les humbles seront exaltés. Rien n’échoue comme le succès. Et, au plus profond de l’abîme, l’espérance est toujours là. Car Dieu, dans sa bonté, a donné une sœur au chagrin et il l’a appelée l’espérance “. (P 140-141). Et de conjecturer sur des notions d’humeur qui font la trame de notre existence, l’allégresse, l’angoisse, le chagrin, le mal, la joie, la beauté, la vérité, ( une tâche infinie), le temps ( la clé de voûte du monde).

Il devient même très métaphysique sur les origines du monde. “ Comment savons-nous que le monde a un début et une fin ? “ (P. 201), l’infiniment petit et l’infiniment grand se bouscule entre la théorie de la relativité d’Einstein et la physique quantique de Max Plank, l’ADN en tant que découverte approfondit la connaissance de l’origine de la vie. Les hommes disparaîtront comme les dinosaures l’ont été. “ Comment finirons-nous ” ? Ces interrogations qui sont éternelles ont déjà été abordées par l’auteur dans des publications à grand succès comme “ Dieu, sa vie, son œuvre “, ” la création du monde “, ” C’est une chose étrange à la fin que le monde “..

Difficile de ne pas succomber à la phosphorescence  de ce fil de vie déroulé sur seulement 256 pages, à mi chemin entre l’histoire, la littérature,  la philosophie, la science et la religion. Une gnose qui tient tout autant d’Héraclite d’Ephèse, quand écrit-il dès l’entame, ” Tout passe “ que de Saint Thomas d’Aquin qui retrouve le chemin de seigneur après une vie d’orgies et de liberté, car la finalité c’est que ” tout se résume en Dieu “. Ce roman n’est pas une histoire autour d’une intrigue. Jean d’Omerson n’invente pas un acteur. Il l’est déjà et il ne fait que se raconter, au carrefour ” d’une vie qui s’achève et d’un monde évanoui “. Une lecture agréable.

Jean d’Omerson, 21  E TTC

Décembre 2013

Robert Laffont.

 

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