Note de lecture : Pascal Baba Coulibaly :\ Le Mali d’Alpha Oumar Konaré : Ombres et lumières d’une démocratie en gestation \" (L\''Harmattan, 2004, 201 pages)."

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Le 8 Juin 2002, pendant que les membres du gouvernement au grand complet accueillent à l’aéroport les nombreux invités du Mali à l’occasion de l’investiture du nouveau Président de la République, celui-ci et l’ancien sont engagés à la passation de service à Koulouba. Le nouvel hôte hérite d’un Palais flambant dont la peinture a été refaite, les artères recouvertes d’une fraîche couche de bitume, les parcs et jardins soigneusement taillés et tondus. Après le traditionnel tête-à- tête, ATT raccompagne Alpha à la porte du Palais. Les deux personnalités sont détendues et d’humeur joyeuse.

Après l’accolade suivie d’un impeccable salut militaire du nouveau Président, l’ancien s’engouffre dans une voiture ordinaire dont il prend le volant. Suivi d’une seule voiture d’escorte, il se rend à la résidence des Chefs d’Etat de Souleymanebougou qui est désormais son domicile. Il avait promis, à maintes reprises, à plusieurs de ses visiteurs qu’il serait le premier Président de la République du Mali à quitter Koulouba pour son domicile, au lieu de la prison comme ses prédécesseurs. Pari tenu ". Cet excellent livre ne manque ni de continuité dans l’inspiration, ni de bonheur dans l’expression et s’ordonne selon la facile musicalité de Djénéba SECK. Ces récits sont vivants et élégants, riches d’une observation sérieuse et agréablement exposée, de réflexions originales et profondes. Ils reflètent, comme les faces d’un prisme, la vaste culture, le goût artistique exquis, le sens politique aigu de son héros et l’admiration de l’auteur pour Alpha Oumar Konaré et pour une des époques les plus belles et les plus dramatiques à la fois de notre histoire politique. Quel chemin. Esprit sceptique et raffiné, d’une intelligence subtile et d’une vaste culture, " la première difficulté à laquelle le nouveau Président eut à faire face fut précisément l’impossibilité matérielle d’instaurer un pouvoir quelconque. L’état d’esprit qui traduisait le mieux la situation fut ce défi officiel lancé par un parti influent de l’opposition au régime ADEMA : " nous ne vous donnons que six mois ". Pendant deux longues années, plus d’une fois, le défi a failli aboutir. A la bourrasque, les deux premiers Gouvernements de la III eme République ne résisteront chacun que dix mois, le Président de la République, pendant ce temps, répétant avec dépit qu’il était confiné au rôle de pompier ".

On sent que l’auteur, prématurément disparu, n’écrit pas pour distraire ou pour étonner. Il se contente d’être vrai. Intelligence lucide, toute intention morale, toute notion symbolique sont rigoureusement bannies de son livre. Jamais la moindre idée vide, le moindre trait emprunté, voire la moindre phrase languissante. Il ne bafouille pas, ne cille pas, sait terriblement son métier. Son analyse ne se prive d’aucune nuance. Mais peut-on dire qu’il analyse ? Il se contente de faire voir.

En prélude, la Transition (26 Mars 1991-8 Juin 1992) dont " les responsables, avant d’être les nouveaux dirigeants du pays, avaient tous pour eux d’avoir été, à des degrés divers, des héros de la lutte contre le Général et son système… Et au sommet, ATT " Chef de l’Etat et Président du CTSP ", flanqué de Soumana SAKO dit " Zorro ", Premier Ministre emblématique pour avoir, jeune Ministre des Finances, claqué la porte avec panache ". La valeur principale de l’essai réside justement dans cette sereine vision de la réalité. " Ayant renversé le régime par la rue, le peuple entendait derrieurer à cette échelle qui, pour la première fois de son histoire, lui avait assuré reconnaissance et autorité ".  La passion pour la liberté et la démocratie est exprimée avec évidence dans le livre, mais sont synthétisées avec une simplicité excessive les causes fort complexes d’un bouleversement historique aussi profond et aussi important.

La première partie est une des plus suggestives et puissantes, fourmillant de libres expressions sur la densité de la violence et la passion des personnages. Les événements sont rapportés avec une si parfaite maîtrise dans la manière de coordonner les circonstances, que le livre ressuscite les drames vivants et palpitants des premières heures de la Présidence de Monsieur Alpha Oumar Konaré.

D’emblée, Alpha doit faire face à un "débat politique gangrené par les rancoeurs, la haine, tandis que la folle lutte pour le pouvoir se jouait sur fond de lourdes menaces que nul ne pouvait ignorer ". Rebellion au Nord du pays, déni total d’autorité à tout agent de l’Etat, toute puissance de près de 2000 associations nées en quelques mois, et qui, à la négociation, vont préférer la rue. " Nous vivons une de ces périodes étranges où, durant deux ans, il sera honteux d’être du pouvoir, alors que le fait de la considération sera d’y être notoirement opposé ".

"Face au Nord qui brûle malgré la signature, quelques mois plus tôt, d’un Pacte National de paix ; face à l’injonction des syndicats de faire appliquer, sans délai, un Pacte social qui promet de changer du tout au tout la condition des travailleurs ; face au Mémorandum de I’AEEM, véritable bible en 26 points qui pose un véritable bing bang des conditions matérielles et pédagogiques de l’école malienne ; face aux résolutions de tous les états généraux : ceux du monde rural, du commerce, des transports, de l’industrie, de l’artisanat ; face enfin aux partants volontaires à la retraite anticipée qui se disent trahis, de quelles marges de manoeuvre dispose le pouvoir ? ". " Outre que, de toute façon, le Mali est bien trop pauvre pour créer tant de bonheur en si peu de temps, les problèmes explosent à la fois, alors que nulle part, le pouvoir n’a pied "

L’ouvrage de Pascal Baba Coulibaly invite aussi aux jeux d’une aristocratie verbale qui désincarnait les mots en donnant aux petites phrases la fragile légèreté de brocards, s’aventurant en dehors du style politique dans des formes vagues et vaporeuses, mais très sulfureuses. Ainsi le " Kokadjè ", " Nous ne voulons plus de l’ancien, sauf du nouveau ", " désormais, qui casse, paie ", (lancée au " tontinards ", qui dès le lendemain, saccagèrent tout ce qui pouvait l’être) " quand le lampo tombe, il tombe ", " la révolte des hommes en bleu ", " une abeille solitaire est égarée ou folle ", " La démocratie du béton et du goudron ", etc. Souvenirs !L’extraordinaire sympathie que l’auteur témoigne à son héros fait de cet ouvrage une des plus hautes expressions de la fraternité humaine. La personnalité du Président est laissée longtemps dans l’ombre, mais au fur et à mesure nous connaissons les coins les plus mystérieux de son moi, et, pour utiliser une métaphore hardie, l’ombre pense intensément et applique ses impressions avec une extrême lucidité. C’est après plusieurs pages que se révèlent la trempe et la ténacité (termes qui ne sont pas dans le livre, mais qui en sont l’âme) " de l’enseignant, fils et époux d’enseignants, qui a trimé avec le peuple ".

Pascal Baba retrace la genèse et les soubresauts de l’ADEMA, et sur ce Chapitre, le narrateur rend très vivantes les personnalités qu’il décrit, en donnant une idée très précise des événements évoqués, et en unissant magistralement politique et intrigues, dans un art simple d’apparence, mais riche de nuances. On notera ici l’emphase avec laquelle l’auteur étale son sentiment partisan, avec la violence en moins, mais avec un cynisme à peine dissimulé et une verve qui est en avance de quelques décades sur l’esprit du temps.

Suit une brève période d’embellie, au cours de laquelle le Président remet le pays au travail, en " imposant son propre rythme à l’administration d’Etat ". Réhabilitation de Bamako, " capitale délabrée parmi toutes et qui était à l’image du Mali lui-même ", réalisations de collecteurs et d’ouvrages d’art, AGETIPE, CESCOM, réseau routier, nombreux projets d’hydraulique villageoise, nouveaux lycées publics, stratégie nationale de développement sanitaire, nouveau souffle à l’emploi, " pédagogie convergente " pour l’expression de la volonté d’affirmation de l’identité culturelle par l’utilisation des langues nationales, PRODEC, PRODEJ, PRODESS, etc. Mais les vieux démons rôdent toujours et malgré sa bonne volonté, le Président " réussit " à fédérer contre lui des formations hétéroclites aux positions éloignées, mais unies à la suite de la débâcle électorale de 1997. Dans le désordre qui s’ensuit, la rue redevient souveraine, ambitieuse et turbulente, résistant farouchement à l’autorité, retranchée derrière les mythes du 22 Septembre, du 19 Novembre et du 26 Mars. C’est alors qu’intervient le nouveau Premier Ministre, Ibrahim Boubacar aussi habile qu’énergique, avec une personnalité beaucoup plus marquée, et qui parvient, au-delà de toute haine et dans la logique républicaine, avec métier et méthode, à rétablir le calme et à contenir ce que DE GAULLE appelait en 1968 " la chienlit ". L’action du Président s’exprime à travers la composition vaste et solide du récit, par son développement plein de logique, par la recherche consciente des effets, par l’habilité avec laquelle l’auteur campe les situations, dans une perspective harmonieuse. L’aspiration constante du Président est " le bon état de la démocratie " :la condition du peuple fut améliorée, de bonnes lois furent élaborées, la culture fut largement diffusée, et en 1994 l’Administration Territoriale avait délivré près de deux cents recepissés de création de journaux. La dévaluation du franc fut gérée avec adresse.

Le Président effleure les sommets de son art par la vitalité artistique de plusieurs ouvrages, unissant dans un parfait équilibre les traits les plus visiblement néo staliniens de certains monuments, aux plus audacieuses et exquises finesses des sculptures, des parcs et paysages pittoresques, et pleins de symboles (Mausolée, Maison des Anciens, Cité des Enfants, Ouezzin, Cabral, Kontron et Sané, Sogolon, Tour de l’Afrique, etc). Nouveaux stades, monuments, routes, nouvel urbanisme dans toutes les régions du pays.

L’auteur nous fait revivre, chemin faisant, les passages où Alpha se montre visionnaire, de toute la force de son génie : " Le non à Chirac ", la CAN et le Jatigiya, les NTIC, la lutte contre la corruption, l’EID et surtout, la Décentralisation.La noblesse du système d’Alpha, son lyrisme et la passion qu’il met dans ses discours, l’enchaînement des circonstances, la vivacité d’esprit du Président, le charme du style politique (P.S.P.R., gouvernement de large ouverture, opposition dite modérée etc.) justifient pleinement la renommée dont continue à jouir, à travers le désenchantement du peuple africain, cette belle histoire d’un homme qui a su quitter le pouvoir et ses fastes, à l’abri des saccades du monde actuel, pour rester un pénétrant critique et discret acteur de l’histoire du continent.(En vente aux librairies BAH, Grand Hôtel, librairie Cauris, 13 500 FCFA).

Me Mamadou Gakou

Lawyergakou@yahoo.fr

 

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