Mouvement National de l'Azawad : Est-ce le début du recommencement ?

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J’ai appris, comme beaucoup de Maliens, la création du Mouvement National de l’Azawad, (MNA) qui suscite déjà interrogations et appréhensions. Pourquoi tant d’interrogations autour d’un événement qui aurait dû se passer dans la sérénité. En effet, combien d’associations et mouvements politiques ont vu le jour sans qu’on ne s’en meuve ? Certainement que les fondateurs du MNA verront d’un mauvais œil tout le tollé fait autour d’un événement qu’ils considèrent comme un fruit de la démocratie. Après tout pourront-ils se dire, chaque Malien n’a-t-il pas le droit de défendre ses intérêts matériels et moraux dans une organisation de son choix ?

Depuis mon pays d’adoption, Haïti, le Malien et ressortissant du nord que je suis,  réfléchit et se pose aussi des questions.  Je ne pourrais et ne saurais de ce fait, rester à l’écart du débat. C’est pourquoi je m’en voudrais si je ne partage pas ma position personnelle sur ce qu’il convient d’appeler l’acte fondateur du Mouvement. Assumant toujours mes opinions, à visage découvert et partisan de la guerre des idées, j’ai toujours comme credo : " je ne suis pas d’accord avec vous, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire "

Que dit la déclaration fondatrice du Mouvement national de l’Azawad qui fait les choux gras de la presse nationale et qui annonce déjà un débat houleux passionné et passionnel ? Toute chose qui s’explique car il s’agit bien d’un débat sur l’identité nationale. Tout d’abord sur la forme, la déclaration fondatrice ne fait nulle part mention du mot " jeunes " ou "jeunesse" alors même que c’est le congrès national de la jeunesse du Nord convoqué à cet effet qui a mis en place le Mouvement national de l’Azawad.

Une première bizarrerie qui pourrait amener à douter de la crédibilité des organisateurs et de leurs vraies intentions.  Je me permets d’insister sur ce point car j’ai été informé de l’organisation du congrès de la jeunesse du Nord. J’étais, vous vous en doutez, très content en tant que ressortissant du Nord d’apprendre que les jeunes s’organisent pour le développement du Nord. Mais grande a été ma surprise quand j’ai pris connaissance du contenu de la déclaration qui ne parle plus de la jeunesse du Nord dans sa globalité mais des fils de l’Azawad. "Nous les fils du peuple de l’Azawad, réunis dans la ville historique de Tombouctou du 31 octobre au 1er  novembre 2010, avons exposé en totalité les défis auxquels fait face depuis plus de 50 ans l’Azawad "     

  Il est, certes, normal, légitime et même légal que les jeunes de l’azawad s’organisent pour booster le développement dans leur zone, mais il est impossible pour tous ceux qui ont vécu dans leurs chairs et leurs âmes les terribles périodes de la rébellion des années 1990, d’applaudir des deux mains la création du Mouvement National de l’Azawad.  De ce fait, le MNA fait peur et ce n’est point de la paranoïa, rappelle terriblement la création des mouvements et autres milices d’autodéfense des années sombres de la rébellion.

Le MNA fait peur, j’aimerais me tromper, de par ses objectifs contenus dans la déclaration fondatrice, je cite "… la marginalisation et l’exclusion dont il est victime, l’état de siège et l’encouragement de déplacement et la violation des terres sacrée par des individus étrangers, tout cela dans le silence total et le soutien de certaines personnes qui mènent une "politique anti-azawadi…" 

Je ne marcherai pas sur des œufs pour exprimer toute mon inquiétude face à un tel discours digne des temps de l’ère coloniale. Sans faire l’avocat du diable, ni me substituer à qui de droit, nous devons avoir le courage et l’honnêteté intellectuelle de reconnaitre que depuis, 1991, des efforts immenses sont faits par les autorités pour réduire le fossé entre le Nord et les autres régions.

Cela prendra du temps quand bien même les actions de développement du Nord continuent. Je reconnais que la disparité entre les régions du Mali, la précarité de la vie au Nord sont une réalité. Mais ceci ne peut expliquer les raisons qui ont motivé les initiateurs du MNA à parler de marginalisation et d’exclusion.

Il faut être amnésique ou atteint de cécité intellectuelle pour parler d’exclusion des "azawadi " dans le Mali de l’après 26 mars. Nous avons hérité de nos illustres devanciers une diversité culturelle à travers le brassage ethnique qui constitue une richesse inestimable de notre pays. Le Mali d’hier et d’aujourd’hui, comme je l’écris très souvent dans mes contributions, est un pays de brassage ethnique Chaque bamananke a son petit touarègue. Chaque touarègue a son petit bamananke  et j’en passe. 

Le MNA fait peur et j’aimerais me tromper, quand il écrit dans la déclaration fondatrice, je cite "…Nous déclarons aujourd’hui la naissance d’un Mouvement National de l’Azawad " MNA " qui est une organisation politique de l’Azawad qui défend et valorise la politique pacifique pour atteindre les objectifs légitimes pour recouvrer tous les droits historiques spoliés du peuple de l’Azawad ".                        

 Quels sont les droits historiques spoliés dont il est question? Encore un discours qui ne rassure pas le citoyen lambda qui a vecu les années rébellion, un discours qui rappelle, au mot près, les objectifs qui ont motivé le déclenchement de la rébellion. Le MNA fait peur et j’aimerai me tromper, quand "…il  lance un appel à tous les fils de l’Azawad sans regarder leur appartenance sociale et géographique pour rejoindre ce mouvement tout en mettant en exergue l’importance de l’unification des rangs et la parole  ainsi que la position politique…" .  Que faut-il comprendre par cet appel ? Les organisateurs auxquels on peut accorder le bénéfice de la jeunesse, donc de l’erreur, sont-ils conscients qu’ils viennent de créer un mouvement basé exclusivement sur l’appartenance ethnique ? En excluant ainsi les autres couches ethniques du Mali, ils posent un acte aux motivations obscures et inavouées. J’aimerais tant me tromper sur leurs motivations mais avec le regard du citoyen et ressortissant du Nord je me pose aussi  des questions qui n’ont pas encore de réponses et cela m’inquiète davantage quand le Mouvement national de l’Azawad " déclare qu’il adopte la voie de l’action politique et légale pour recouvrir tous les droits.. ". Même en leur accordant encore le bénéfice de la jeunesse, donc de l’innocence, les initiateurs du MNA ne peuvent pas ne pas mesurer toute l’ampleur de cette position : la voie de l’action politique pour recouvrer tous les droits est en soi une déclaration de création de parti politique indépendantiste. Une chose n’est pas sa légitimité, si c’est ce qui est sous-entendu,  mais bien sa légalité au vu de notre loi-mère qui interdit tout parti à base ethnique, régionaliste ou religieux. Cet aspect est du ressort de l’autorité de l’Etat à la place de laquelle je ne saurais me substituer. Une autorité de l’Etat qui sera mise à rude épreuve pour faire respecter la loi et les droits de chaque citoyen quand le MNA est déjà sur le pied de guerre en fustigeant l’Etat de terroriste, je cite: " …Condamne le terrorisme sous toutes ses formes, soit celui de l’Etat ou celui des individus avec sa détermination à mettre l’accent sur la nécessité de faire la distinction entre le terrorisme et la résistance légitime du peuple pacifiste de l’Azawad " ça y est, le MNA lâche morceau : l’Etat est averti, il n’est pas question de les considérer comme des terroristes c’est bien l’Etat qui est le terroriste. Eux s’autoproclament gardiens de la résistance légitime du peuple azawi. Les gardiens autoproclamés assureront la sentinelle s’il le faut contre le terrorisme d’Etat. 

Enfin, le MNA comme tout mouvement indépendantiste, "...invite l’Etat du Mali à la reconnaissance totale des droits historiques du peuple de l’Azawad et la réponse adéquate à résoudre le problème de l’Azawad de façon pacifique et définitive.. ".  Point besoin d’être un "soma politique" pour ne pas voir dans cette déclaration une intention divisionniste, disons une provocation consciente et calculée. La suite des événements nous édifiera. 

La conclusion de l’acte fondateur du MNA est encore plus explicite quant l’intention delibérée de ses fondateurs de vouloir la partition du territoire, "… Le Mouvement National de l’Azawad "MNA" tend la main de la fraternité, de l’amitié et de la coopération à tous les pays frères et amis qu’il accueille et aspire à des relations de coopération efficace avec tous les pays et les peuples du monde, ainsi que tous les organismes internationaux, gouvernementaux et non gouvernementaux".   En effet, comment comprendre qu’un mouvement politique fut-il de l’Azawad pousse l’outrecuidance jusqu’à demander la coopération avec d’autres pays ? Une fois de plus, nul besoin d’être dans le secret du MNA pour comprendre la portée et la valeur d’une telle déclaration. J’aimerais tellement croire au contraire, croire que tout cela n’est que simple provocation de la part de jeunes en mal d’inspiration ou en quête de popularité, hélas nous n’avons pas affaire à une politique fiction.

Qui mieux qu’un ressortissant du Nord comme moi, ayant vécu les événements douloureux de la rébellion des années 1990, aimerait tant se tromper sur toute la ligne que la naissance du MNA n’est pas le calme qui précède la tempête. Que la naissance du Mouvement n’est pas le début du recommencement pour me permettre de continuer à croire à notre légende commune "Surgo nda Gabibo " qui voudrait que songhaï et touarègue soient, depuis les temps immémoriaux, unis par des liens de sang et qui nous rappelle le pacte ou le souhait de vivre ensemble en harmonie.

Yachim Yacouba MAIGA

Port-Au Prince

 

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