Mme Moune Phan, analyste politique, sur l’avant-projet de constitution ; «Il est temps de respecter l’indépendance du pouvoir judiciaire»

2

De passage à Bamako, Mme Moune Phan, géopolitique et stratégie, a accordé une entrevue  à votre rédaction sur  l’avant-projet de Constitution du Mali. L’opportunité,   les avancées  et les incommodités du présent document sont évoquées dans cette interview. Lisez-plutôt !    

La Preuve : Qu’est-ce que vous pensez de l’avènement d’une 4ème République et quel en est l’intérêt ?

Moune Phan : la Constitution de 1992 qui a été calquée sur celle de la France a montré ses limites.

Le monde change et notre nation a évolué. Il est important que nous ayons une constitution qui prenne en compte nos réalités et les besoins de notre société.

Il y a lieu qu’on aille vers une 4ème République pour poser la base d’une démocratie sincère, car nous sommes plutôt dans une démocratie de façade.

Quelles peuvent être vos critiques et vos suggestions vis-à-vis de ce document ?

En analysant ce texte, j’ai trouvé certains avantages et désavantages, des innovations.

Au niveau des innovations, il y a la création du Haut conseil de la Nation qui sera la deuxième chambre parlementaire. S’y ajoute le fait que tout le monde soit justiciable de droit commun.  Car, avant, l’immunité parlementaire faisait en sorte qu’on ne pouvait pas toucher aux députés.

Dans le cadre de leur fonction parlementaire, cette immunité fut supprimée. Si les députés commettent une infraction en dehors de la plénière, ils seront poursuivis devant les juridictions de droit commun.

Dorénavant avec cet avant-projet, même le Président, les ministres et autres seront  sujets de droit commun. Je trouve que ceci est une bonne chose car cela permettra de lutter contre  l’injustice.

Autre innovation, il y a le fait de donner de la valeur aux autorités traditionnelles (imams, chefs de quartier ou de village) qui pourront désormais régler à l’amiable les différends de la population, avant que cette dernière ne saisisse la justice. Ce domaine sera encadré par la loi.

De ce fait, le dernier recours sera donc la justice.

Toutefois, il faudra préciser les infractions qui peuvent être soumises à ces autorités.

Selon vous, y a-t-il des incongruités dans cet avant-projet?

Il y a des dispositions qui sont des lois de procédures (c’est-à-dire des lois ordinaires), et elles ne doivent pas apparaître dans une constitution.

Il y a aussi le respect de la séparation des pouvoirs. La constitution même s’engage dans le préambule de faire une lutte convenable contre la corruption. Or, on ne peut pas lutter convenablement contre la corruption sans le respect du principe de séparation des pouvoirs.

On doit reconnaître les prérogatives du pouvoir judiciaire tel qu’on les reconnaît pour le pouvoir exécutif. Et là j’interpelle le Président de la Transition et le ministre de la Justice sur le fait qu’il est temps de respecter l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Il ne faudrait pas qu’on mette dans les textes le mot « pouvoir » et qu’on ne lui accorde pas les avantages du pouvoir.

C’est une autorité judiciaire et non un pouvoir judiciaire pour la simple raison qu’il y a une immixtion d’un certain pouvoir dans les prérogatives d’un autre pouvoir. Le Président de la République qui représente l’exécutif ne doit pas s’immiscer dans le pouvoir judiciaire, le ministre de la Justice aussi ne doit pas pouvoir donner d’ordre aux procureurs de la République. Il peut faire des dénonciations au même titre que les justiciables, mais c’est aux procureurs de la République de décider de la suite à donner parce qu’ils ont l’opportunité de poursuite. Sinon, en faisant ce que fait le ministre de la Justice, l’exécutif risque d’abattre ses opposants. Au fait, c’est tout simplement l’instrumentalisation de la Justice avec l’immixtion de l’exécutif dans le domaine du pouvoir judiciaire.

J’interpelle ici les gendarmes et les policiers. Par rapport aux unités d’enquêtes, il faut scinder les choses. Il faut que les procureurs puissent noter les forces qui sont sous leur responsabilité, sinon ces forces risquent de toujours prêter allégeance à l’exécutif.

Concernant les budgets, je vais m’appesantir sur ce sujet car nous constatons que le CNT vote son propre budget, le pouvoir exécutif aussi vote son propre budget qui est ensuite adopté par le CNT. Et le pouvoir judiciaire dans tout ça ? Il doit aussi avoir une autonomie financière au même titre que les deux autres pouvoirs.  Il est temps d’accorder aussi une autonomie financière au pouvoir judiciaire pour une indépendance et une lutte convenable contre la corruption.

Quels sont les articles dans cette mouture qui vous a laissé sur votre faim, qu’est-ce qui peut être amendé afin qu’ils répondent aux aspirations du peuple malien ?

Dans un premier temps, je parlerais des articles 1, 6, 9 et 31 qui parlent de la langue. Mais aussi des article 35, 39 et 46 qui posent ici une discrimination d’opinion politique et d’origine.

L’article 1  est violé dans le texte et dans le corps, notamment avec la notion de « discrimination ».

Si cette disposition dit que « tous les Maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs », l’article 46 dit  la viole en stipulant que « tout candidat aux fonctions de Président de la République doit être de nationalité malienne d’origine et ne posséder aucune autre nationalité à la date du dépôt de la candidature. »

L’article 6 n’a pas sa place dans l’avant-projet de Constitution, mais plutôt dans le Code de procédure pénale.

Si on se réfère à  cet article qui dispose que « nul ne peut être détenu dans un établissement pénitentiaire que sur mandat délivré par un magistrat indépendant », on se rend compte que le Parquet n’est pas indépendant. Parce que l’exécutif s’ingère dans les affaires judiciaires ; ce qui est déplorable

Je constate que cet avant-projet va en contradiction du Code de procédure pénale dont l’atelier de validation a eu lieu récemment. Car dans cette procédure, on octroie toujours la possibilité aux procureurs de décerner des mandats, mais dans l’avant-projet on leur retire ce pouvoir. Il y a donc contradiction.

L’article 9 aussi n’a pas lieu d’être ici car il est pris en compte par le Code des personnes de la famille.

S’agissant de l’article 31  se référant aux Assises Nationales de Refondation (ANR), je propose d’officialiser deux langues : le bamanankan et le français.

La preuve en est que vous allez constater dans les juridictions qu’il n’y a pas d’interprètes, mais le juge permet à ce que les parties s’expriment en bamanankan.

Dès à présent, on doit promouvoir cette langue au niveau de l’éducation, puis le temps que ça prendra pour qu’à un moment donné si nous nous sentions prêts, nous pourrions réviser la Constitution sur ce plan en annulant le français. Mais pour l’instant, nous ne pouvons rien faire car tout va se bloquer. Attention, je ne dis pas qu’il faut annuler la langue française, j’exprime ici juste une analyse et les possibilités sans donner mon opinion personnelle sur cet article. Même si on n’a pas l’habitude d’écrire le bamanankan, il serait peut-être temps de vulgariser cet aspect au niveau de l’éducation, et après si on se sent prêt, on pourra songer à réviser à ce moment-là.

Il ne faut pas penser que si nous votons une constitution elle est figée, non. Nous pouvons l’adapter selon l’évolution de la société. Avec le temps nous pouvons abandonner le français. Il faut tout simplement couper la poire en deux pour ne pas faire des frustrés. Certes cela prendra du temps, mais il faudra juste encadrer les administrations.

A un moment donné, ce seront les Maliens eux-mêmes qui demanderont à réviser la Constitution car prêts pour bannir le français. Mais est-ce la solution au final ? Est-ce une bonne idée ? Ne sommes-nous pas en train de nous laisser guider par nos émotions et manquer de jugeote quant au bon sens des choses ? Que dire alors de la langue peule, songhaï, tamashek, etc… ? Cela ne va-t-il pas créer une frustration entre ethnies ? Seul le temps nous le dira.

L’article 39  prête à confusion. Car, il précise que « seuls les partis politiques concourent à l’expression du suffrage ». Ce qui veut dire qu’une personne indépendante ne peut concourir, donc fini les candidatures indépendantes.

L’article  46 constitue un obstacle aux Maliens de la diaspora et une discrimination à l’origine et l’opinion politique ; c’est exclure directement les Maliens de la diaspora. Or, nous savons tous qu’ils peuvent développer le pays en fonction de leur valeur ajoutée.

Je vais prendre un exemple, Cheick Modibo Diarra, grand astrophysicien, ancien Premier ministre du Mali, malien et également citoyen américain et qui est une fierté, je ne vais pas rappeler sa biographie ici, j’invite tous à aller le regarder sur l’internet.

S’il décide de se présenter parce qu’il a des ambitions pour ce pays, il ne pourra pas le faire et cela  est bien dommage. Il sera dans l’obligation de renoncer à sa nationalité américaine. Que dire de ce jeune homme né au Mali, grandi au Mali et qui part en France pour terminer ses études et quelques années plus tard il obtient la nationalité française aussi, puis décide de rentrer au Mali pour briguer la magistrature suprême ? Et que dire de cette jeune femme née en France, ayant la double nationalité, connaissant parfaitement les réalités socio-économiques et politiques du Mali, décide de rentrer au pays afin de briguer la magistrature suprême ? Je pense qu’ici il faut soit la suppression de cette disposition, soit de la souplesse.

Réalisée par Abdrahamane Baba Kouyaté

Commentaires via Facebook :

2 COMMENTAIRES

  1. Concernant la binationalité pour les candidats à la présidence, ces binationaux peuvent contribuer assez efficacement au développement du sans mettre en danger avec une PUISSANCE étrangère dont ils détiendraient la nationalité.
    Cheickh Modibo Diarra ou Elon Musk ne devraient pas avoir de visée présidentielle. Ils devraient avoir et ont MIEUX à faire.
    Cheickh Modibo Diarra, étatsunien, a été difficile à le faire démissionné de son poste. Dont acte!

  2. TOUJOURS CETTE CONFUSION ET LA TENTATIVE D’USURPATION DE STATUT.
    Le POUVOIR est conféré par le peuple, à ce titre, il ne peut y avoir de POUVOIR Judiciaire; il ne peut y avoir qu’une AUTORITE JUDICIAIRE et l’autorité de la chose jugée. Nos juges ne sont pas élus par le peuple.

Comments are closed.