L’épicentre principal de ces mouvements tectoniques vient du Moyen orient, de l’Irak plus précisément, et de cet État Islamique (EI, anciennement EIIL) qui se dresse et fait trembler le monde entier. Les secousses de ce séisme se propagent jusqu’à nous avec ce Califat que D’aech veut imposer et régir. Si l’avenir global de cette entreprise reste encore incertain, la puissance américaine devra sortir de sa nouvelle veine isolationniste sous peu sous peine de contagion fatale voire d’une menace d’éviction durable des occidentaux de cette région du monde. En attendant, l’EI, très en verve, se fait fort de damer le pion d’Al Qaida partout où cela est possible, engageant les deux hérauts du djihad dans ce qu’il faut bien appeler une lutte à mort.
Tout cela se traduit par la distribution de rôles de satrapes dans tout l’empire islamiste, et donc chez nous au Sahel. Et là, tout le monde se positionne et attend la meilleure offre.
Ainsi a-t-on vu des revirements que l’on croyait impensables, quoique si l’on y regarde de plus près, les motivations profondes des protagonistes ressortent clairement et telle une évidence.
Et c’est ainsi que s’affrontent les deux personnalités les plus controversées de la région, nos ennemis les plus vils, ces deux hommes qui sont passés si près de dissoudre l’état malien début 2013, j’ai nommé Mokhtar Belmokhtar et Iyad Ag Ghaly.
Le vieux Iyad, de son repaire dans la montagne (comme Ben Laden avant lui), a enregistré pendant le ramadan une vidéo qui vient d’être mise en ligne sur internet. Que dit-il ? Les armées malienne et française sont l’ennemi d’Ansar Eddine qui poursuit la lutte par des opérations suicide et des tirs de roquettes. Il n’a pas renoncé à instaurer « la loi islamique » au Mali et à en chasser « l’ennemi croisé ». Il envoie ses salutations aux djihadistes du monde entier, du Niger aux Philippines, en passant par la Somalie et l’Irak. Mais surtout, il annonce que les combats des djihadistes vont déboucher sur l’émergence d’un califat islamique planétaire!
Au-delà de cette mise en scène vidéo, Iyad serait pourtant isolé et en perte de vitesse, après il est vrai des décennies à piloter les diverses révoltes touarègues qui ont dû l‘éreinter quelque peu. Pour preuve, il ne semble même plus intéresser Serval. Et son « fidèle » adjoint Cheikh Ag Aoussa, qui attend son heure depuis si longtemps, est maintenant en passe d’atteindre la primauté tant espérée sur toute une frange de la communauté touarègue. Chef militaire incontesté, c’est lui le leader véritable du HCUA. Et c’est lui désormais le « parrain » des multiples trafics gérés par les Ifoghas, cette tribu rétrograde et obscurantiste qui génère des revenus mafieux spectaculaires sous couvert de dévotion pieuse.
Et pourtant, tel un phénix, son virage salafiste soudain mais spectaculaire en témoigne, le vieux Iyad revient en cour par la grâce des soubresauts géopolitiques que j’ai mentionnés. Annoncé dépassé, mis gentiment sur la touche par ses anciens adjoints, voilà que son « lustre » passé, on pense notamment à ses quelques « exploits » militaires à la tête d’Ansar Eddine et bien sûr à son fumeux coup de force un soir de juin 1990, le remet en selle. AQMI, pariant sur sa « gloire » pourtant passablement fanée, lui proposerait de prendre les reines de la région Sud du Sahel. La dernière chance pour Iyad ? Sûrement, mais la jeune garde qui pensait enfin avoir les coudées franches et accéder pleinement aux affaires pour en retirer tranquillement les profits l’entend-t-elle de cette oreille ? Pas forcément. Le transfert n’est donc pas encore finalisé et on s’agite en coulisse. Quoiqu’il en soit, Iyad fait de la résistance.
Belmokhtar lui, reste fidèle à ses principes moraux : son ambition personnelle, son appât du gain et son intérêt personnel sans limite pour la prévarication. Thuriféraire du narco-djihadisme, celui qui a si bien réussi à faire de sa religion le paravent idéologique de ses rêves mafieux, fait monter les enchères depuis son refuge Libyen.
Alors qu’on l’a vu récemment prendre fait et cause pour AQMI, tout dans sa biographie incite à se méfier de ses positionnements de reptile, et à ne pas prendre pour argent comptant ses allégeances d’un jour. On le sait tous, Belmokhtar a un prix. Pas besoin d’agent, il se débrouille très bien tout seul, merci. De fait, il est en pole position pour récupérer le titre d’émir du Califat dans la région. Il se vendra au plus offrant, a priori celui qui a le vent en poupe aujourd’hui.
Si cette tendance semble s’imprimer durablement, rien n’exclut pourtant que comme aux échecs, les deux djihadistes en chef finissent par roquer. Iyad n’a-t-il pas récemment appelé de ses vœux la réalisation du grand Califat ? Mais sous quelle bannière ?
Est-ce un ultime appel du pied, un moyen de faire monter encore les enchères ? Qui sait avec des diables de cette engeance ?
La rumeur prétend que lors des récents combats de Tabankort, le fils de Belmokhtar était au côté des Arabes du Tilemsi, étiquetés MUJAO et Al-Moulatamine, face au « fils spirituel » d’Iyad, Abdelkrim le Touareg, d’AQMI, venu soutenir ses frères du MNLA et du HCUA !
Une relève de pseudo-émirs déjà en compétition pour un maillot rouge, rouge sang, comme le carton qu’on leur souhaite.
Ce texte, une introduction simple, ludique mais claire à la question, que j’ai voulu léger avec cette analogie avec mon sport favori, porte en lui certaines questions fondamentales relatives à notre avenir et énonce en creux les menaces futures qui pèsent sur nous tous. Cette question reviendra sur le tapis, avec par exemple des analyses plus fouillées sur le positionnement des différents groupes rebelles, des ambitions plus ou moins claires de certains leaders et de leurs clans. En attendant, il n’y a pourtant pas de quoi à sourire de cette sinistre redistribution des rôles de nos pires ennemis.
Paul-Louis KONE