Me Mamadou Ismaïla Konaté au sujet de la révision constitutionnelle: «Il vaut mieux ne pas avoir de révision de la Constitution que d’avoir une constitution mal révisée» 

0

Le paradoxe d’une consultation référendaire réside dans le fait que le citoyen électeur dispose, en définitive, de très peu de marge de manœuvre pour exprimer son opinion, réelle et complète, face à la question qui lui est soumise. Une telle situation peut, dans une certaine mesure, constituer une tare, un manque et une véritable défaillance, même dans un contexte dit de démocratie. Par exemple, en matière de révision de texte constitutionnel, comme ce sera le cas bientôt dans notre pays, le citoyen électeur n’aura aucune autre possibilité que de répondre «OUI» ou «NON»! A l’exception sans doute des plus téméraires et irrédentistes Maliens, plus déterminés à aller au-delà du «OUI» et du «NON». Ceux-là voudront opter pour un troisième geste, le boycott total! Ce faisant, ils voudront manifester leur désapprobation en refusant de prendre part et même de répondre à la question posée, à savoir: «Etes-vous «pour» ou «contre» la révision de la Constitution de 1992 telle que proposée au référendum par Monsieur le Président de la République et votée par les Députés»?

Pour ne pas répondre à cette question, les plus déterminés décideront de faire la grève des urnes. Ceux-là auront-ils suffisamment tort ou raison? La réponse à une telle interrogation est individuelle. Il s’agit de questions et d’attitudes qui relèvent en définitive de la responsabilité de chaque citoyen électeur, mis face à son «libre arbitre» et par rapport à l’objectif que chaque individu citoyen se fixe vis à vis du destin national.

Dans un tel décor, le plus dur pour les initiateurs de la consultation référendaire malienne à venir n’est pas tant de la réussir et de voir ainsi un camp gagner contre un autre. Il est clair que dans une consultation comme celle-ci, ce sera toujours un camp qui va gagner contre un autre. Mais, dans le contexte malien de l’heure, gagner ou perdre importe peu finalement. Seule la manière de gagner ou de perdre devrait compter. Et, cette manière, en l’occurrence, sera appréciée et mesurée en tenant compte du niveau réel de participation des citoyens électeurs à cette consultation référendaire; en second, cette consultation sera aussi mesurée en tenant compte des scores qui seront réalisés par les tenants du «OUI» et ceux du «NON». Ce qui est clair, c’est que deux camps de Maliens seront bientôt opposés dans une «conflagration politique» du «pour» ou du «contre» dans le cadre de la révision «ATT-DABA» de la constitution de 1992.

La constitution «ATT-DABA» est celle-là qui a été voulue par le Président de la République Amadou Toumani Touré. Celui-ci n’a-t-il pas fait la preuve absolue de sa détermination à faire passer le texte de «sa» constitution, celle de 1992, révisée par ses soins, sous les éclairages d’une commission technique d’experts désignés, avec à sa tête, Daba Diawara, devenu depuis Ministre.

Voilà pour ce qui est des péripéties de cette révision constitutionnelle. Celles-ci sont passées pas des phases techniques jusqu’aux étapes plus politiques. Tout le long, de nombreuses personnes et personnalités, spécialistes ou non du droit et de la constitution, politiques et syndicales se sont exprimées. Toutes ont  laissé entendre des voix dissonantes de celles officielles exprimées. Des voix de discordance qui traduisent de réelles résistances contre la révision. Ces résistances ne sont pas des moindres. Il en a fallu peu, pour que dans un autre contexte et à une autre époque, on ait songé à déclencher la procédure de la seconde lecture au parlement. Tout de même, l’on ne saurait pas pendant longtemps encore, venir confondre un texte de nature constitutionnelle, donc de niveau «loi fondamentale» et celui applicable aux personnes et à la famille dit «Code des personnes et de la famille». Ne commettons aucun sacrilège! Ce dernier texte, il est vrai, est d’une portée hautement plus sociale et nettement plus sensible dans notre pays qu’un dispositif constitutionnel. Malgré tout, les incidences et les implications d’une révision constitutionnelle sont tellement nombreuses et énormes au point de pousser à une seconde lecture.

Qu’à cela ne tienne! Lorsque dans un même pays, et à propos du même texte constitutionnel, deux centrales syndicales de travailleurs: l’UNTM et  la CSTM, une fédération entière d’associations et de groupements de société civile réunie, une association de défense des droits de l’Homme, quelques partis politiques, un syndicat de magistrats, le SYLIMA, des associations de femmes et bien d’autres corporations se lèvent, pour s’exprimer et exprimer en chœur leur totale désapprobation par rapport à l’initiative même de la révision, il y a comme un malaise dans le pays. S’entêter pour ne pas voir et ne pas reconnaître un tel  malaise, aller en avant, en «enjambant» les oppositions, ne serait pas convenable. Aucune mécanique de vote ou de validation de scrutin ne saurait venir donner suffisamment raison ou tort à un camp ou à un autre dans un processus de révision du texte fondamental. Même pas la mise en œuvre d’une imparfaite mécanique de vote (51 % pour et 49 % contre). Une fin de mandat d’une durée totale de dix années devrait se préoccuper de cela.

C’est pourquoi le cri des Maliens qui se sont exprimés contre ce texte de révision constitutionnelle devra être entendu: s’il faut pour cela, envisager d’aller jusqu’à une seconde lecture du texte de révision de la constitution de 1992? La réponse est: Pourquoi pas! Si le «consensus», nécessaire à propos d’une telle question se trouve au bout. Pour la circonstance, il vaut mieux d’ailleurs ne pas avoir de révision de la constitution que d’avoir une constitution mal révisée, dans laquelle des Maliens ne se reconnaitraient pas ou très peu, voire pas du tout. Prenons garde qu’il ne soit retenu de l’histoire politique de notre jeune Etat,  qu’une constitution, celle de 1992, révisée, est celle-là qui renferme des dispositions erronées et manquant de base ou comportant des dispositions incohérentes et inconsistantes.

D’ailleurs, ce n’est pas plus le principe de la révision de la constitution de 1992 qui est en cause que la manière dont on s’est pris à réformer certains points cruciaux de la constitution. Ils sont finalement nombreux ces Maliens à dire ou à reconnaître au Président de la République son «pouvoir» de révision. Peu importe le moment où il exerce ce pouvoir, pourvu qu’il l’exerce durant son mandat. Point de suspicion lorsque le Président de la République a assigné lui- même un objectif précis de cette révision, à savoir: «Améliorer le processus démocratique… adapter l’outil à l’objet, la lettre à la pratique, pour mieux avancer dans la construction d’un système démocratique performant».
Nous sommes de ceux qui pensent que vingt années de vie politique et institutionnelle sont suffisantes dans notre pays et constituent un réel motif et une occasion suffisante de s’interroger sur le devenir de ses institutions, sur sa pratique politique, sur son système démocratique et sur son devenir en tant qu’Etat et Nation simplement. Mais en disant cela, nous pensons également qu’une révision constitutionnelle devrait également être l’occasion de réunir le plus grand nombre de maliens, comme en 1992, au-delà de leurs obédiences et de leurs clivages, pour leur donner le moyen d’exprimer leurs engagements forts pour le Mali et pour la construction nationale. Pour nous, les choix et les options des uns peuvent sans doute diverger des croyances et des convictions des autres. Mais jamais, jamais le débat de révision constitutionnelle entre les tenants de telle ou telle position par rapport à telle ou telle autre ne doit être si vif au point de disloquer et de rompre le précaire équilibre entre les citoyens d’une même nation. «Une révision constitutionnelle peut parfaitement s’effectuer dans la droite ligne de la légalité la plus pure et se révéler illégitime. La légitimité doit être prise ici dans le sens de la conscience du moment». La situation que vit notre pays n’est pas unique.
La France, «pour la première fois» de son histoire politique, a vu en 1986 la majorité parlementaire basculer. De nouvelles «tendances politiques différentes de celles qui s’étaient rassemblées lors de l’élection présidentielle» venaient de voir le jour. Nombreux étaient ces observateurs et analystes politiques qui ont laissé planer de sérieux doutes quant à la capacité des acteurs politiques à assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics.

François Mitterrand, alors Président de la République, affirmait que la réponse «La seule possible, la seule raisonnable, la seule conforme aux intérêts de la nation» était: «la Constitution, rien que la Constitution, toute la Constitution». Il poursuivait en rappelant sa conviction que la constitution en tant que «loi fondamentale» était la seule et qu’ «il n’y a pas, en la matière, d’autre source du droit». François Mitterrand devenait ainsi le premier chef de l’Etat français à vivre la «cohabitation» et à l’affronter. Dans un tel contexte, il a invité ses adversaires politiques, en des termes aussi clairs que précis, au respect de la Constitution: «Tenons-nous en à cette règle» avait-il lâché.

Au sujet de la révision de la constitution de 1992, les réponses apportées à deux ou trois questions mal posées viennent rompre l’équilibre  de la démarche de révision. Par exemple:

–    au sujet de l’amendement N°28 du projet de réforme constitutionnelle, il est proposé un article 106 ainsi rédigé: «La présente loi constitutionnelle n’emporte pas novation de république». Pour soutenir cet amendement, il est précisé que celui-ci vise à éviter toute autre interprétation de la portée exacte de la révision constitutionnelle. Celle-ci ne devrait pas être analysée en une «création» d’une «quatrième république». Si l’on peut bien comprendre et même accepter une telle motivation «politique», il nous est apparu assez difficile, au plan du droit constitutionnel, d’accepter la maladroite rédaction proposée dans la disposition formant désormais l’article 106. A y lire de près, l’utilisation du mot «novation» n’est pas sans poser de difficultés. Stricto sensu, le terme novation, bien qu’étant un concept de droit, ne semble pas très approprié en matière constitutionnelle. Au détour de quelques lectures, nous avons retrouvé ce mot de la bouche de François Mitterrand. Evoquant l’ampleur de la défaite de la gauche aux élections législatives de 1986 qui a entrainé la naissance de la première cohabitation, il a indiqué à ce sujet que «la novation qui vient de se produire requiert de part et d’autre une pratique nouvelle».

En cherchant plus en avant, l’on se rend compte que le concept de "novation" est un concept plutôt de droit civil qui vise et s’applique à des «obligations». La "novation" est l’effet qu’opère la substitution à un lien de droit qui s’éteint, la conclusion d’une relation contractuelle nouvelle. Elle a lieu soit par suite du changement de dettes entre les mêmes contractants, soit par suite du changement de créancier ou par l’effet du changement de débiteur. On applique également ce mot pour désigner la substitution de nouvelles conditions contractuelles à celles que les parties avaient précédemment arrêtées. Allons-nous introduire en droit constitutionnel un concept propre au droit civil mais impropre en droit constitutionnel, pour introduire plus qu’une confusion, une  imprécision constitutionnelle?

–    Ensuite, l’amendement N°1 propose de modifier le préambule de la constitution en se référant aux «principes et valeurs énoncés dans la Charte adoptée en 1236 à Kuru kan Fugua»; la malheureuse référence aux principes seulement «compatibles» avec la démocratie et la république vient apporter  la preuve évidente que cette Charte comporte bien d’autres principes, probablement moins «démocratiques et républicains». En cela, la référence à cette Charte dite du Mandé est gênante. Elle l’est également au regard des «disputes» qui ont cours quant à son origine, son contenu et même son époque. Ces «disputes» sont loin d’être closes. Ensuite, parlant de la Charte, l’évocation des «gens» porte sur deux textes: l’un plus long que l’autre. Cette Charte fait référence à une organisation sociale spécifique. Probablement que les Kéita étaient plus «aptes» à accéder au «trône» que n’importe quel autre Coulibaly, Touré et ne parlons pas des Samaké. Les situations de la femme et de l’esclave, loin d’être des exemples à l’époque, ne constitueront pas de nos jours de bonnes références «républicaines et démocratiques» pour nos constitutions contemporaines. En définitive, le grand mérite de nos ancêtres ne réside-t-il pas dans leur capacité à avoir su, en 1236,  définir et par «écrit» les règles essentielles de «gouvernement» et de «dévolution» du pouvoir, en même temps qu’ils ont affirmé les «principes» devant régir l’organisation et le fonctionnement social;
– Les alinéas huit et neuf de l’article 25 de la Constitution proposée à la révision indiquent que «les langues nationales et le français sont les langues d’expression officielle» dans notre pays. L’allusion et la référence sont une première. Les langues nationales sont aussi langues officielles, quelle nouvelle source de sacrée confusion! La démarche politique confond ici l’objectif majeur d’affirmer l’existence des langues nationales et leur caractère «officiel» pour leur assurer une fausse suprématie. Les langues nationales ne sont pas officielles. Elles ne peuvent d’ailleurs l’être au regard de leur nombre, de leur caractère pour la plupart non écrit et leur diversité. Une langue officielle est avant tout une langue de communication, surtout avec l’extérieur. Elle s’impose à tous les services officiels de l’Etat (organes de gouvernement, administrations, tribunaux, registres publics, documents administratifs, etc.), ainsi qu’à tous les établissements privés qui s’adressent au public. Imaginons la situation cocasse d’un «Touareg» en conflit avec un «Bobo», tous les deux devant comparaître par-devant le juge qui lui ne parle, en plus du français, que «minianka». Il lui faudra sans doute au juge des interprètes. Mais des interprètes dans chacune des langues présentes: la sienne, nationale devenue officielle, mais aussi celles des protagonistes, dont il devra entendre les dires avant de juger des faits qui lui sont soumis. Au total, trois langues nationales et officielles se feront face. Dans notre pays, on a déjà assez de mal à trouver un seul interprète dans ces circonstances-là, mais s’il en faut trois désormais voire plusieurs, les difficultés «administratives» et de bonne distribution de la mission de «service public» ne vont qu’en s’accroissant. Ce qui est dit là vaut également pour toutes les situations qui naissent devant les administrations en général. Elles n’étaient pas faciles déjà, mais avec une telle évolution linguistique constitutionnelle, elles vont se compliquer davantage. Alors, simple question: Avions-nous besoin tant d’officialiser nos si belles langues nationales pour mieux communiquer entre nous et nous appeler «Mali» voire nous sentir plus «Maliens» qu’auparavant? Non!

–    l’incongruité de l’allusion à la nationalité originellement malienne qui viendrait, dans le cadre d’une candidature à la magistrature suprême dans notre pays, chasser toute autre. Une telle démarche d’exclusion n’est pas sans reproche dans un pays comme le nôtre avec ses traditions de tolérance et ses sept frontières nationales. Il est dit que «Tout candidat aux fonctions de Président de la République doit être de nationalité malienne d’origine, jouir de ses droits civiques et politiques  et avoir renoncé à toute autre nationalité». Du coup, tous ceux qui sont nés autrement que Maliens sont désormais exclus de la magistrature suprême. Même les Maliens d’origine, à la différence de ceux de «circonstance» ou d’ «emprunt» ne doivent plus avoir aucune une autre nationalité, à moins d’y renoncer au profit de la seule malienne. Ils devront pour être candidats à la magistrature suprême, renoncer à leur nationalité de trop. Il s’ouvre alors dans notre pays un contexte de suspicion qui donne la possibilité à tous tiers de mettre en cause «l’originalité» voire «l’authenticité» de la nationalité malienne d’un candidat à la magistrature suprême de notre pays, y compris au moyen de la suspicion  et de la délation. Pas loin de chez nous, ce sont des choses comme celles-ci qui ont «fâché» le peuple et qui ont été à l’origine de conflits à forte connotation sociale et politique insupportable. De plus, lorsqu’apparaît ce type de difficultés et dans de telles circonstances, c’est toujours à un œil extérieur qu’il est demandé d’intervenir pour trancher: le juge! C’est lui qui est le plus souvent sollicité quand il ne s’agit pas de «médiateur». C’est le juge qui va dire si oui ou non le candidat est malien, d’origine, authentique ou non. Mais en plus, c’est lui qui indique que le candidat, lorsqu’il est suspecté, possède ou non une autre nationalité ou une autre que la malienne. Or, un œil extérieur, même celui du juge est toujours mal venu dans une arène politique.

– la seconde Chambre du Parlement n’incite pas plus de commentaire, si ce n’est de relever à son sujet que l’objectif qui le sous-tend bien que politique, est tout de même flou et mal agencé. Les députés qui composent la seule et unique chambre actuelle du parlement malien ne participent même pas encore au dixième du «processus législatif». Ce manque et cette défaillance s’expliquent par le fait que les députés sont très mal lotis dans ce domaine, beaucoup moins nantis que les cabinets ministériels qui regorgent de «cadres» et de «techniciens» administratifs pour assurer la préparation de la «loi». Le doublement dans ces conditions de la Chambre au niveau du Parlement va permettre simplement d’adjoindre un nombre équivalent de sénateurs aux députés actuels dans un parlement bicaméral. La conséquence sera, à n’en pas douter, le rallongement inutile du travail parlementaire et sa complication évidente avec tous les risques que comporte le système de la «navette».

–    la désignation par le seul Président de la République des trois membres du Conseil constitutionnel, y compris son Président, est une atteinte grave à la transparence nécessaire à toute institution démocratique comme la justice constitutionnelle. Il apparaît comme si le Président de la République met en place son «Président du Conseil constitutionnel» durant ces deux mandats puisque le Président de cette institution est lui même mis en place pour une durée de neuf ans.

Bien d’autres points me viennent à l’esprit que je ne pourrais pas tout évoquer dans le cadre de cette chronique. La place et le rôle de la justice dans notre pays ; l’exception d’inconstitutionnalité ; le statut pénal du Président de la République et des membres du gouvernement…Par finir, on est plutôt mal à l’aise lorsque l’on a été tenté, aux premières heures de l’annonce par le Président de la République des réformes, de dire «oui» au principe de cette réforme, dans le seul but de renforcer et de consolider la démocratie et que l’on se voit contraint de dire «non» par et pour la suite, au regard de ce que l’on tente de faire de cette réforme, quel DOMMAGE!  
Mamadou Ismaila Konaté
Avocat à la Cour

Commentaires via Facebook :