Mali : un Conseil d’État transitionnel comme solution de sortie de crises

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Le droit constitutionnel paraît désormais, en Afrique noire francophone, comme l’un des champs juridiques si traités qu’il est bien difficile de faire œuvre innovante, notamment sur la question de la transition politique conduisant à la stabilité constitutionnelle et sécuritaire. Écrire cependant sur ce sujet en temps de crise, comme c’est actuellement le cas au Mali, permet de proposer des idées originales.

La difficile reconstruction de l’État par la révision constitutionnelle

Le dialogue politique inclusif est un moyen de l’accord politique de gouvernance (APG) ; la révision constitutionnelle en est sa finalité. L’article 7 de l’APG souligne en effet que « [l]es parties signataires (…) conviennent d’examiner toutes les propositions de réformes majeures lors du dialogue politique national inclusif avec notamment l’adoption d’un projet de loi portant révision de la Constitution du 25 février 1992 ». Or, la présente contribution tend à démontrer la fragilité du dialogue politique inclusif et de la révision constitutionnelle pour régler les crises au Mali ; nous pensons que la solution est ailleurs : si la révision de la Constitution est de plus en plus utilisée comme « moyen politico-juridique » pour répondre aux nouvelles exigences de la gestion d’un État, au regard de l’instrumentalisation des Constitutions en Afrique noire francophone, nous plaidons pour un recours à un pouvoir constituant populaire. Cela étant dit, la Constitution est un acte vivant, elle doit être révisable et changeable par le peuple ou par ses représentants.

Le débat autour d’un projet de loi portant révision constitutionnelle permet souvent de comprendre la représentation que se font les juristes et les politiques de la Constitution elle-même. Nous partageons l’idée que la Constitution malienne doit être révisée, puisqu’elle est vivante ; elle peut donc être modifiée par le peuple ou ses représentants. Pour ce qui est de savoir quand, la question ne doit pas faire l’objet d’un débat, car le peuple souverain peut changer ou réviser sa Constitution à n’importe quel moment.

En effet, la Constitution malienne du 25 février 1992 énonce en son article 26 que « la souveraineté nationale appartient au peuple tout entier qui l’exerce par ses représentants ou par voie de référendum ». Cette affirmation est empruntée à la théorie de la souveraineté populaire qui veut que le véritable titulaire du pouvoir constituant, c’est le peuple. Par conséquent, d’après l’article 118 de la Constitution, l’Assemblée nationale n’est qu’un pouvoir constituant limité, car le pouvoir de révision appartient réellement au peuple malien dont l’approbation par référendum est un acte souverain.

Par ailleurs, en Afrique noire francophone, étant donné que la révision est subjective, une question se pose d’emblée : en pratique, où situer la frontière entre la simple révision et la mise en place d’une nouvelle Constitution ? Ainsi, peut-on parler d’un pouvoir constituant originaire dans le mécanisme de révision constitutionnelle ? Or, la transformation du pouvoir de révision en un pouvoir constituant originaire est problématique, car le principe de l’unicité conceptuelle constitue une limite au respect de l’État de droit. Autrement dit, on ne peut pas soutenir que le pouvoir de révision constitutionnelle pourrait conduire à « l’écriture d’une nouvelle Constitution » au regard du respect des exigences de l’État de droit. Cette confusion entre pouvoir de révision et pouvoir constituant originaire permet de mieux comprendre pourquoi les Présidents successifs, sous la Troisième République, ont eu autant de mal à conduire à son terme une procédure de révision de la Constitution.

Notre conviction est que si ces révisions ont avorté, c’est d’une part à cause de leur nature, décidée par les présidents de la République et, d’autre part, en raison d’une confusion créée par l’importance plus ou moins grande des changements suggérés : tantôt ils ont conduit à réviser la Constitution, tantôt à la réécrire. Disons-le ici, la révision constitutionnelle comme solution de sortie de crises ne peut pas se présenter comme une compétition entre le pouvoir en place et l’opposition. D’ailleurs, la révision ne se fait pas sur le fondement de la longévité de la Constitution, comme d’aucuns l’affirment : elle s’impose au regard des circonstances. On ne peut finalement nier que la révision consiste dans la modification de la Constitution en vigueur et qu’elle ne peut pas avoir recours au pouvoir constituant dérivé.

Mais l’échec des révisions constitutionnelles envisagées sous la Troisième République repose aussi sur le fait que les hommes politiques veulent profiter de la situation pour faire passer des amendements étrangers aux problèmes constitutionnels du moment. C’est pourquoi nous estimons que l’instauration d’un Conseil d’État transitionnel serait décisive dans tout processus de consolidation des acquis démocratiques, car elle permettrait le temps de la redéfinition des règles du jeu démocratique et de la construction de moyens juridiques durables face aux circonstances inconstitutionnelles.

Le choix d’une reconstruction de l’État par l’instauration d’un Conseil d’État transitionnel 

Si nous employons l’expression « Conseil d’État transitionnel », c’est dans le cadre d’une période plus ou moins longue – une phase intermédiaire – au cours de laquelle s’effectue un changement de régime politique conduisant à l’instauration d’un autre régime supposé durable. Le Conseil d’État transitionnel assurerait donc l’intérim entre le régime actuel malien et un autre. C’est pourquoi la reconstruction d’un ordre constitutionnel adapté à une crise multidimensionnelle telle que la connaît le Mali nécessite d’instaurer un Conseil d’État transitionnel. Ainsi, la concrétisation d’une telle hypothèse adapterait la Constitution de la Troisième République à la crise.

De surcroît, face au risque d’incertitude de l’aboutissement d’un projet de révision de la Constitution et à l’exigence d’une paix durable attachée à tout ordre constitutionnel, nous partageons l’idée selon laquelle la transition juridique peut concerner le passage d’une République à une autre. Nous pensons donc qu’il serait opportun de mettre en place une Constitution transitoire au Mali permettant de préparer l’avènement d’une Quatrième République. En définitive, le débat sur l’avenir de la démocratie malienne repose désormais sur une alternative : de petites révisions constitutionnelles successives ou l’instauration d’un Conseil d’État transitionnel conduisant à une quatrième République. Rien, en effet, ne s’oppose théoriquement à la mise en place de cette dernière proposition pour reconstruire l’État malien.

En tout cas, aujourd’hui comme demain, méfions-nous des idées viciées par la démagogie et qui font, d’une simple révision constitutionnelle, une solution pour sortir le Mali de ses si nombreuses crises. La formation d’un organe politico-constituant transitionnel peut sembler une idée utopique au Mali au regard de la situation politique actuelle. Pourtant, le caractère pluridimensionnel de la crise malienne affaiblit considérablement la proposition d’une révision constitutionnelle pour reconstruire l’État. En outre, nous pensons que l’exercice constitutionnel inclusif des pouvoirs du chef de l’État par un Conseil d’État transitionnel permettrait de mettre fin à la transition politico-constitutionnelle dans la mesure où le Mali passerait de la Troisième à la Quatrième République. Cette institution donnerait alors l’impulsion à un renouvellement du droit constitutionnel malien. Le choix d’une refondation de l’État par l’instauration d’un Conseil d’État transitionnel gêne donc ceux qui pensent que la révision constitutionnelle pourrait nous conduire à une solution de sortie de crises au Mali. Comme nous pensons que toute modification de la Constitution touchant à la souveraineté ne peut être effectuée par l’Assemblée nationale, et vu l’incapacité de la révision constitutionnelle au regard du caractère pluridimensionnel de la crise, il paraît opportun d’instaurer un Conseil d’État transitionnel composé des anciens chefs de l’État et du Président actuel comme garant de la continuité de l’État. Cet exercice collectif exclusif des pouvoirs du chef de l’État dans un « Conseil d’État transitionnel » constituerait assurément un moyen plausible de restauration de l’intégrité territoriale. De plus, il serait important d’associer les anciens Premiers ministres, ministres de la Défense et des Affaires étrangères comme conseillers au Conseil d’État transitionnel. Évidemment, il faudrait leur adjoindre aussi le peuple – la société civile et des universitaires – afin de trouver une solution durable et efficace à la crise multidimensionnelle qui frappe le Mali depuis 2012.

Balla Cissé, docteur en droit public de l’université Sorbonne-Cité.

Chargé d’enseignement à l’université Sorbonne-Cité.

Consultant en matière électorale.

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