Après une mauvaise année 2013, du fait de la guerre, les affaires des trafiquants de drogue arabes, touaregs et autres ont bien repris. Outre le haschich, ils ont fait transiter plusieurs dizaines de tonnes de cocaïne pure entre Sahel et Sahara. Cette nébuleuse de la poudre blanche réunit autorités dévoyées et authentiques criminels : sécurocrates, politiciens et chefs communautaires corrompus ; djihadistes « repentis », hommes de main du MNLA et terroristes d’AQMI ou d’Al Mourabitoune. L’intérêt seul anime ces élites du crime, motivant selon les cas solidarités ou rivalités.
Un cas récent illustre notre propos. Des notabilités de Gao réclament avec passion la libération du narco-djihadiste Yoro ? Leur message est relayé jusqu’à Bamako ? La pieuvre agit.
Ceux qui tirent les ficelles en coulisse ne prennent pas même la précaution de se cacher. Nous les connaissons, admirons leurs vastes demeures, nous contentons de murmurer leurs noms. Un exemple parmi plusieurs : il est riche, incontournable dans son fief du Tilemsi, maître d’une armée privée et trône dans un palais à Gao. Les FAMA, les militaires de Serval et de la Minusma paraissent le respecter, comme Belmokhtar et AQMI avant eux. Côté pile, Hanoun Ould Ali, puissant chef communautaire, gendre d’un ancien ministre d’ATT, est une « autorité » et mène une vie de grand seigneur. Côté face, Hanoun apparaît en chef djihadiste intérimaire, mais surtout en parrain présumé d’un massif trafic de stupéfiants, notamment via Tin Essako. Depuis janvier 2013 le MNLA, autre acteur majeur de la drogue, lui a coupé la route d’In Khalil et « volé » cette pépite à la communauté arabe. Jusqu’en 2013 les associés d’Hanoun étaient ses amis Baba Ould Cheikh, emprisonné depuis plus d’un an, ou Sultan Ould Badi, terroriste toujours actif. Hanoun pour sa part est jusqu’à présent toujours « passé entre les gouttes », de même que les trafiquants dont-il demeure le plus proche, « l’honorable » Mohamed Ould Mataly, député de Bourem, et les gendres de celui-ci, Rougy et Cherif Ould Taher.
Pour contourner la loi islamique, qui interdit de toucher, consommer, transporter de la drogue ou en faire l’objet d’un commerce, ces « hommes d’affaires » prétendent agir en banquiers ou loueurs de véhicules… Dans les faits, ils participent réellement à son commerce et outragent impunément Dieu pour de l’argent.
Politiquement, Hanoun, comme ses associés intimes, est séparatiste quand cela est bon pour ses affaires, loyaliste quand cela l’arrange. A quoi bon l’indépendance quand on a le pouvoir à Bamako comme à Gao ! Tiennent-il toujours Koulouba par la barbichette, comme sous ATT ? Pilotent-t-ils toujours nos grands dirigeants civils et militaires ? Quid du général Gamou et de ses officiers supérieurs ? Un chameau partagé au printemps 2013 aurait scellé une affaire conclue…sur le dos du Mali. Une de plus. L’été précédent, du temps où ils participaient de fait à l’administration de Gao par le MUJAO, Hanoun et Rougy avaient été à Alger négocier avec leurs grands partenaires sécurocrates locaux sur le dossier des « diplomates » algériens pris en otages à Gao par… leurs amis du MUJAO.
Autre cas emblématique de narcotrafiquants : les terroristes d’Al Mourabitoune justement, issus d’AQMI et du MUJAO. Ceux-ci s’intéressent à la drogue dure pour la raison suivante : prélevée comme un impôt aux trafiquants en échange de la sécurité des convois, elle sert à acheter des armes venant de Libye. Sur le territoire malien, ils la vendent à une population pauvre et désœuvrée mais elle devient gratuite pour les nouvelles recrues islamistes, très fidèles.
Le djihadiste Abou Qaqa, l’ancien chef du MUJAO dans la région d’Ansongo, Ménaka et Douentza, est devenu un homme incontournable du trafic de stupéfiants au sein du mouvement islamiste Al Mourabitoune. Il a su exploiter les amitiés de l’ancien leader Abou Bakr Al Misri avec les barons de la drogue arabes de Gao et Bamako, où tout se négocie. Abou Qaqa se repose sur les membres du MUJAO installés dans le nord-est du Mali pour acheminer la drogue à destination de la Libye, en longeant les frontières algériennes et nigériennes.
Malgré l’effort des institutions nationales pour lutter contre la porosité des frontières, les djihadistes-trafiquants arrivent à passer à travers les mailles du filet. Ils transportent les ballots, très souvent sous l’emprise de stupéfiants, à en croire les témoignages d’agents des forces de sécurité qui en ont arrêtés quelques-uns. Des femmes sont également contraintes à servir de « mules » : un atout non négligeable pour éviter les fouilles.
L’association des trafiquants et des djihadistes ne s’arrête pas là. Les barons de la drogue arabes écoulent leur argent liquide dans des stations services, construites les unes à côté des autres… Les sociétés de location de voitures et de transport routier ne sont pas non plus étrangères à ces combines, au Mali comme au Niger. Al Mourabitoune a su y placer ses hommes. Toutes ces entreprises prospères disposent d’une licence commerciale, ce qui permet d’ouvrir des comptes dans les banques réputées de la région. Détenant des bureaux dans les pays voisins, le fractionnement des dépôts d’argent permet de réduire les soupçons de blanchiment.
Pour contourner la loi islamique, ces criminels prétendent assurer uniquement le contrôle et la sécurisation des convois au Sahel. Dans les faits, ils participent réellement au commerce de la drogue. Non seulement les narco-djihadistes empoisonnent les Maliens et les Nigériens en négociant des ventes sur le chemin de la Libye, mais ce sont eux-mêmes de fervents consommateurs.
Kassim Arouna