Au moment où les jeunes de la cité des Askia piqués dans leur orgueil légendaire se sont vus contraints, les mains nues, de sonner spontanément la révolte, face à des groupes armés, le Mali peine à sortir de l’impasse du fait d’entreprises scabreuses mues par des calculs sordides et cyniques de nombre des acteurs nationaux. Tous soutiennent en commun que l’ultime urgence est au Nord Mali, et beaucoup s’activent non pour la paix et la stabilité, mais plutôt pour entretenir un flou institutionnel qui ferait qu’aucune action crédible ne soit possible tant qu’il ne s’empare pas du pouvoir.
Là, les populations des régions septentrionales ont finalement pu se convaincre que leur lot véritable depuis le 17 janvier 2012 n’est rien d’autre qu’un double mépris. Cette double méprise s’est traduite par une série de replis tactiques dictés depuis Bamako, et se manifeste encore par le folklore continu qu’offrent les acteurs « nationaux » de Bamako (encore) qui démontrent chaque jour, ô combien ils savent patiner sur l’épineuse question du Nord depuis le 22 mars 2012. Leurs actes contribuent de plus en plus à nous éloigner certainement de la paix et à nous faire perdre sûrement du temps. Un temps très précieux qui devrait surtout servir à la reconquête des régions de Gao, Tombouctou et Kidal avant que l’hivernage ne s’installe.
Après tout, l’on est en droit de poser la question de savoir si le Mali tout entier se réduit à Bamako ? Tout comme, il est à se demander si les faits et gestes de certaines populations du District de Bamako et de Kati suffisent pour juger confusément tout le peuple malien ? Le peuple malien n’a donné procuration à aucune frange pour agir méchamment contre une autre. Quelle malédiction pour ce Mali qui reste depuis 1960 entre rébellion et putsch ?
Rébellion déclenchée en 1963, puis le 29 juin 1990, le 26 mai 2006, le 17 janvier 2012 !!!
Putsch le 19 novembre 1968, le 26 mars 1991, le 22 mars 2012 !!!
Que reste-t-il alors de l’Etat du Mali, entre ces rebellions au Nord et des putschs au Sud ? Allons-nous rester encore dans ce circuit itératif «Rébellion – putsch » qui à chaque fois fragilise le pays? Comment comprendre l’envoi à Gao d’émissaires du « médiateur de la Cedeao » ou d’émissaires quelconques auprès des groupes rebelles sans que nous soyons préparés à recevoir de telles requêtes ? C’est une des preuves que ce pays est réellement fragilisé.
En ces moments fatidiques, je voudrais raviver la mémoire collective à la lumière des motifs invoqués par les groupes rebelles pour agresser le peuple de l’Issa Ber : les visées sécessionnistes et l’application de la Charia.
Dans cette veine, il nous a paru important de rappeler trois faits majeurs :
i) L’histoire des « populations riveraines de l’Issa Ber (grand fleuve) » débuta au troisième siècle avec le développement d’une vingtaine de maîtrises foncières entre Walado et Bentia.
ii) Le peuple de l’Issa Ber comptait déjà en 1950 une population estimée à près de 652 500 personnes (sonintché et alliés auparavant estimés à 550 000 en 1930). Les démographes et statisticiens peuvent appliquer à ces cas de référence les modèles de leurs choix pour analyser la tendance de ce peuplement humain de 1950 à 2012.
iii) Il est possible d’affirmer que l’islam est présent dans cet espace (Gao, Tombouctou, Kidal) depuis le 11ème siècle, dès lors qu’il est connu de la plupart des historiens chercheurs que le 15ème souverain de la dynastie des Za (ou Dia) embrassa la religion musulmane à Gao, en l’an 1010 (autrement dit, il y a plus de 1000 ans).
Ces trois éléments peuvent servir de filtre pour passer en revue les motifs et revendications qui sont supposés expliquer l’agression barbare perpétrée par les groupes rebelles et leurs alliés à l’encontre des villes de Gao, Tombouctou et Kidal.
- Concernant les visées sécessionnistes
Pour comprendre le bien-fondé même de la revendication d’indépendance, la nature des visées sécessionnistes, aussi grotesque qu’elle puisse l’être pose forcément le problème des rapports antérieurs avec ces espaces, avec ces territoires en termes de peuplement, d’appropriation et de gestion des ressources. A priori, il ne s’agit même pas de son acceptation pour l’instant, mais de la seule idée de revendiquer ces régions à fortiori de les regrouper sous une quelconque appellation nouvelle de cet espace.
De nombreux référents historiques existent pour réfuter toutes possibilités qui puissent fonder voire permettre une telle prétention. Car cet espace est celui que nous avions hérité de l’empire Songhoï. Y vivent depuis la nuit des temps, Songhoïs et alliés, peulhs, malinkés, des maures, dans une parfaite cohabitation avec certains groupes touaregs et entretenant souvent des rapports difficiles voire conflictuels avec d’autres groupes touaregs.
Des villes de Gao, Tombouctou, Kidal, on en parle par parabole ces temps-ci, mais point comme c’avait été le cas, pendant une très longue période de l’Histoire qui aura duré près de mille trois cent vingt ans (1320), de l’an 690 aux années 2000.
Dans cet espace temporel, se sont succédé sans discontinuer 32 princes de la dynastie des Dia, 19 princes Sonni et 12 princes Askia de l’empire Songhoï (illustres parmi les illustres dont Dia Kossaye, Si Assabaï, Soni Ali Ber, Askia Mohamed, Askia Daoud). Soni Ali Ber régna pendant 27 ans et 4 mois, Askia Mohamed 51 ans durant, Askia Daoud 35 ans. Dans le Gourma, Askia Marakan régna pendant 18 ans à Gossi et Askia Albarka 22 ans durant…avant que leurs descendants ne créent Wami et plus tard Hombori… Les grands centres de l’empire étaient des villes riveraines de l’Issa Ber (De Djenné à Niamey).
En réalité, l’histoire du peuple de l’Issa Ber remonte au début du troisième siècle, avec la rencontre à Walado, de deux grands maîtres d’eau dans le lac Débo, Faran Nabo (originaire de Koukia) et Fondo Konta (originaire du Mandé). Faran Nabo a séjourné à Ibadan, Gao Farandjirey, Saraféré, Farayeni (Walado). Fondo Konta a séjourné à Kangaba, Ségou, Diafarabé, Dia, Togorocoumbo, Koumbé et à Walado. A partir de cette rencontre, débutât une amitié historique renforcée par un pacte amical et matrimonial qui permit d’asseoir le fondement des premières maîtrises foncières.
De Bendougou à Teghazza, d’Ayérou à Dakar, De Katsena à Agadez s’étendait l’influence et la toute puissance de la capitale de l’empire de « GAO ». Il y régnait la paix et la prospérité. Ce qui conduisit le sultan du Maroc (El Déhebi) à demander à l’Askia Issiaka, l’exploitation des mines de sel de Teghazza contre dix mille pièces d’or. Au refus de l’Askia Issiaka d’accéder à cette requête, le sultan provoqua la bataille de Tondibi et débuta l’invasion marocaine. Suite à cette bataille de Tondibi le 12 mars 1591, commença l’ère des pachas qui dura 59 ans essentiellement à Tombouctou, suivie d’un temps de désordre qui a précédé la période coloniale qui aura duré 66 ans (1894 – 1960).
Donc, il importe de retenir le rayonnement international de trois grandes dynasties ayant suffisamment marqué l’histoire ouest africaine, bien avant 1789. Ce sont :
- La dynastie des Dia : 690 – 1335 (15 Za à Koukia avant 690, et 17 à Gao)
- La dynastie des Sonni : 1335 – 1493 (19 Si)
- La dynastie des Askia : 1493 – 1591 (12 Askia)
Ainsi, 63 chefs songhoï se sont succédé sur une longue période qui pourrait être de l’an 290 à 1591, avant l’invasion marocaine, puis française.
Alors, vint la période d’indépendance du Mali marquée 52 ans durant par des fortunes diverses, entre rébellions et coups d’état (voir plus haut). Le pouvoir individualisé qui a incarné la « démocratie tropicalisée » a conduit le pays dans un gouffre terrible. Iyad et ses hommes ont mis 22 ans (1990 – 2012) pour réussir leur coup : « pénétrer les villes de Gao, Tombouctou et Kidal, puis les occuper) en usant de la ruse, de la cupidité de certaines autorités maliennes et du cynisme dans les négociations de paix (1990, 1991, 2006). Là, encore l’imbroglio est total avec l’amalgame savamment entretenu par cette distanciation.
Le Mali est devenu depuis 2006, un vaste et gigantesque ring à ciel ouvert où se retrouvent les extrémistes de tout acabit. Il revenait à l’Etat malien d’exercer son autorité sur tous les groupes rebelles et islamistes afin de préserver toute son intégrité. Mais en vain… (…)
Face à ces deux catégories de revendication, il faut agir contre l’oubli, contre le silence du mépris et contre l’abandon
Somme toute, 55 jours après la chute fatale des villes du Nord, il faudrait bien que les décideurs maliens choisissent de faire quelque chose pour conforter non la toute puissance publique, mais juste le bon service en direction du septentrion où des Maliens sont délaissés à leur triste sort. L’action des jeunes gaois exprime la colère qui s’empare de tout homme épris de liberté auquel un autre voudrait en imposer. C’est une colère empreinte de révolte et non de violence. Cependant, méfions-nous des commentaires insidieux, car le pire est à venir si rien n’était fait d’ici là. Comprenons le sens profond de cette colère non violente comme le signe de l’étouffement et du désespoir que nul ne saurait instrumentaliser.
Et ce geste est également une invitation à l’adresse de ceux qui prétendent œuvrer pour sortir le pays de l’impasse actuelle, invitation à se ressaisir et agir dans un esprit de sursaut national permettant de retrouver une meilleure coordination des initiatives diverses. Il nous faudrait nécessairement retrouver cette unité d’action pour faire valoir nos arguments historiques dans les choix que le Mali devra opérer par rapport à la crise au Nord Mali.
Aujourd’hui, nous devrions être dans une posture qui permette de fixer les conditions nécessaires à toutes les actions devant conduire à la résolution véritable de la crise au nord Mali. Le retour à la paix puis à la sécurité ne peut être imposé de l’extérieur, car la responsabilité première incombe à l’Etat malien et aux acteurs nationaux qui se sentent concernés en connaissance de cause. Aucune négociation ne fera sans cette majorité appelée « les riverains du fleuve Issa Ber », héritiers de l’empire songhoï et de la gestion spatiotemporelle d’une prestigieuse histoire multimillénaire.
Pour ces raisons, le peuple malien devra s’insurger contre la médiation de la Cedeao dans les négociations avec les groupes rebelles du Nord Mali. Franchement, nous devrions récuser Blaise Compaoré pour sa partialité grotesque et sa grande complicité avec les groupes rebelles prouvée depuis 1992. Il ne lui sied pas de prendre des initiatives dans la prise en charge des revendications islamistes et identitaires.
C’est pourtant simple à comprendre ce que nous disons. Nous n’avions jamais franchi le périmètre de l’Islam modéré tel que le coran et la sunna le permettent. Nous n’avions jamais développé des facultés à vivre du repli identitaire ou de rentes liées au rapt d’être humain (fut-il des occidentaux) et nous n’en avions aucune envie.
Nous n’avions jamais demandé « de statut particulier », et non plus nous n’avions pas souhaité « vivre sans effort suffisant pour mériter d’exister et d’être respecté. Non, nous n’en avions aucune envie également.
Comprenez qu’il est tout aussi aisé et possible de franchir ces Rubiconds. Oui, nous pourrions les franchir un à un si l’on nous y oblige. Nous ferions nôtre, cette devise de CHE GUEVARA : « D’où que vienne la mort, elle est la bienvenue. L’essentiel c’est lorsque vous tomberez qu’une main se tende pour tenir le flambeau de la lutte jusqu’à la victoire totale ».
Et la victoire finale, c’est que nul ne pourra s’accaparer de nos terres ou s’approprier nos habitations, nos villes et villages, que nul ne s’imposera à nos populations que par et dans le respect mutuel et selon des principes de liberté et de justice.
Nous avions fait montre d’une grande exemplarité entre 1994 et 96 pour emprunter la voie communautaire en quête de paix et éviter le pire. Cette fois-ci, l’extérieur (certains média français, le Ministère français de la Coopération sous Sarkozy – Juppé) s’est chargé d’amplifier la propagande des rebelles, les motifs d’opposition Nord/Sud tout au long du premier trimestre 2012… Aujourd’hui, le doute destructeur est en train de s’installer partout…
Nous avions tout accepté de l’Etat du Mali pour contenir ces rebellions incessantes de toutes formes. Nous vivons, (les peuples de l’Issa Ber), en ces moments – là une très grande solitude et une méprise intolérable. Alors, pour tous et chacun : ça suffit !!! Soyons clairvoyants, et ayons la faculté de refuser les mensonges et l’hypocrisie.
Nous acceptons les divergences voire les désaccords. Nous refusons d’appliquer la loi du Talion, parce que nous savons d’où nous venons, et nous savons qui nous sommes !!! Nous avions accepté avec humilité, une vie républicaine au Mali jusqu’au 31 mars 2012. Ne rêvez pas que cela puisse être encore la seule attitude possible, sans la considération due à chaque citoyen et sans l’égalité entre les citoyens par le civisme et les compétences avérées.
De 1960 à 2012,nous avions respecté l’Etat du Mali bien qu’il soit facile de relever tous les manquements qui ont permis à d’autres de bâtir l’empire de la cupidité avec son coralliaire de mauvaise gouvernance, d’injustice et de perversion. C’est tout cela qui aura permis de faire le lit à toutes ces révoltes incontrôlées et à ce climat chaotique.
Bamako, le 25 mai 2012
M. Abdoulaye Idrissa MAÏGA
Ingénieur, Analyste de Projets
Citoyen de la Cité des Askia
Daoudabougou, Bamako.
Tel : 76 36 12 32
Le titre et le surtitre sont de la rédaction
ce n’est plus une affaire de songhay de peuls de dogon…mais une affaire de tous les maliens…
Merci mon frére Maiga pour ton sens d´histoire que Dieu nous aide á sauver notre heritage.
De toutes les façons BLAISE est complice de cette tragédie que nous subissons depuis plus de 2 mois maintenant,si non comment comprendre qu’un hélicoptère de son armée traverse toute la 6è région pour se déposer jusqu’à TOMBOUCTOU sans le concours des maliens et ensuite retourner au Burkina sans dommage en pleine crise tandis que nos soit disant autorités se discute des places à BAMAKO,je demande aux ressortissants de l’ancienne 6è région c’est à dire GAO,TOMBOUCTOU,KIDAL de se donner la main pour combattre ces ennemis et les bouter hors de nos portes le temps qu’il faudra,nous résisterons.
Pour toute organisation de resistance, il ne faudra pas oublier d’inclure les populations de Bandiagara, Bankass, Douentza et Koro qui ne doivent pas rester en marge vu les liens consanguins qui existent depuis plus de 8 siecles. Et de toutes facons, si nous ne participons pas a la solution, le drame nous marchera sur la tete…
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