Mali : Quelles perspectives ?

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«Le Mali est un et indivisible». De l’occupation des ¾ de notre territoire national par des bandes de djihadistes et de narcotrafiquants  à nos jours, s’il y a une formule qui a fait et continue à faire florès dans divers médias nationaux, dans les forums et autres ateliers, c’est bien celle-là.
En effet, il ne se passe pas un jour où cette expression ne se retrouve dans la presse écrite ou parlée; il ne se déroule aucune réunion,  aucune marche où une banderole ne clame pas ce slogan. On dirait que cette expression est  devenue une thérapie de choc pour un peuple malien groggy par la désintégration comme un château de cartes de sa nation qu’il considérait solide comme un roc. A en croire que la répétition à l’envi de cette expression  annihilerait le mal, c’est-à-dire l’idée de  partition du pays.
Certes, la plupart des Maliens savaient que le pays traversait une mauvaise passe, mais, même les plus pessimistes d’entre eux, n’avaient pas prévu ce scénario catastrophe, à savoir la désagrégation des fondements de notre nation en quelques jours.
Pour la première fois, une partie des fils du pays exigeaient un territoire, un drapeau, un hymne…, brefs, tous les attributs d’un Etat! Et pour appuyer leur revendication, ils pactisaient avec le diable et passaient à l’action armée pour occuper les ¾ du territoire national en moins de 10 jours ! Et, pour compliquer la donne, dans ce qui restait du territoire national libre, politiciens, militaires en débandade,  jeunes et vieux, hommes et femmes et même des hommes de Dieu, s’entredéchiraient et offraient au monde entier un spectacle gratuit, d’une bouffonnerie qui n’avait rien à envier à celle de Molière ou de notre Guimba National. On se demandait si vraiment tout ce monde qui s’agitait pour le pouvoir- et quel pouvoir- avait quelque peu la notion de la nation malienne a fortiori la notion de « Mali un et indivisible ».
Heureusement que, la solidarité africaine et internationale aidant, notre territoire est en passe d’être totalement libéré et les échéances électorales fixées pour juillet 2013. Alors, que faire ? Quelles perspectives pour notre pays ? Comment pourrions-nous rebondir ?
Nous sommes de ceux-là qui voient «le verre à moitié plein» au lieu «du verre à moitié vide». C’est dire que nous croyons en la capacité du peuple malien à se ressaisir, à se redresser et à rebondir. Le coup reçu, bien que traumatisant, n’a pas été létal pour notre nation: les grandes nations peuvent subir des mues mais ne meurent jamais. Un proverbe yiddish dit: «Il faut descendre très bas pour avoir la force de remonter». Je crois qu’au Mali nous avons les atouts et la force de remonter. En effet, à travers des siècles, les peuples qui occupent cet espace appelé Mali ont développé des paradigmes conduisant à la résilience de leurs relations sociales, malgré les vicissitudes de leur histoire commune et souvent mouvementée.
Pour que notre remontée, soit un succès, pour que «le Mali soit un et indivisible», il faut réussir: d’abord «le vivre ensemble» et particulièrement entre les populations vivant dans les ex-zones occupées; ensuite les élections à venir; puis la traque et le jugement des présumés coupables de crimes contre l’humanité sur tout le territoire national pendant la période 2012 / 2013; enfin la conduite de l’après transition.
S’agissant «du vivre ensemble»,  le gouvernement a annoncé la création du Commission nationale de dialogue et de réconciliation (Cndr). Nous ne connaissons ni la structure, ni les termes de référence  de cette commission, mais toujours est-il qu’il faudrait qu’en plus de cette commission, encourager les initiatives citoyennes qui agissent dans ce sens. Le gouvernement devrait appuyer et aider les organisations de la société civile qui, par leurs actions favorisent déjà les rencontres intercommunautaires, qui rendent visite aux réfugiés et aux déplacés, etc.
Il serait souhaitable que la Cndr organise les états généraux des forces vives et des représentants légitimes des populations du Nord  dont les recommandations codifieront les règles «du vivre ensemble» et auxquelles tous les résidents du nord seront astreints.
Par ailleurs, en ce qui concerne les négociations ou le dialogue qui serait le terme le plus approprié à notre sens, il y a une convergence nationale sur l’idée qu’il ne faudrait pas tomber dans le travers des négociations antérieures qui ont consisté à négocier avec les citoyens qui ont pris les armes contre leur propre pays, mais plutôt avec les  représentants légitimes des communautés.
Quant aux élections à venir, nous savons qu’il n’y a pas dix mille projets de société pour le Mali. Il faudrait donc que la classe politique soit assez raisonnable et responsable afin de se regrouper sur l’essentiel. La crédibilité de la classe politique malienne sera inversement proportionnelle au nombre de candidats à la présidentielle et/ou au nombre de regroupements politiques. Chaque candidat à la présidentielle doit savoir, par une déclaration claire – non amphigourique – donner des réponses précises sur les problèmes cruciaux qui assaillent la nation: réconciliation, reconstruction, écoles et universités, santé, communications, infrastructures, armée nationale, etc. Pour une fois, il se serait souhaitable que les Maliens votent pour un projet de société et non pour un billet de mille francs, un paquet de thé, de sucre ou quelques pagnes ou T-shirts dont la durée de vie ne dépasse pas celle d’une campagne électorale.
Les périodes électorales et postélectorales étant généralement très sensibles, le rôle de la presse est capital dans la préservation de la paix sociale, c’est pourquoi, le gouvernement devrait envisager un appui spécial à la presse pour ces périodes. N’est-ce pas, le 3ème président des Etats Unis (de 1801 à 1809) Thomas Jefferson qui  a  dit: « Lorsque la presse est libre et chaque homme capable de lire, tout est en ordre». Dans notre contexte, la presse n’est pas seulement écrite mais elle est aussi audio et audiovisuelle. C’est pourquoi, bien que la majorité de nos concitoyens ne sachent pas lire, le handicap de l’illettrisme peut être surmonté par les autres modes de communication. Aussi, en paraphrasant cet homme d’Etat, nous dirons: «Lorsque la presse est libre et responsable et chaque homme capable de lire et/ou d’écouter, tout est en ordre». Faisons en sorte que la presse soit libre et responsable.
Pour garantir la crédibilité des consultations, les partis ou regroupements politiques devraient dès maintenant, en amont, se concerter avec le Département et les organismes chargés des élections. Le suivi du processus électoral du début à la fin doit être un devoir pour chaque parti ou regroupement de partis  afin d’éviter sinon amoindrir les récurrentes accusations de fraudes. Il faudrait que chacun des postulants respecte les résultats sortis des urnes; il y va de la survie de la nation.
La traque et le jugement des présumés coupables des crimes commis au cours de cette période 2012/2013 sur tout le territoire national, sont indispensables. Du point de vue symbolique, ce sera une rupture marquée avec les pratiques antérieures. De plus, ce sera la fin de l’impunité et le début de l’état de droit.
Enfin, l’après transition qui sera sanctionné par le renouvellement des institutions de la 3ème République, sera surtout une période de la consolidation de la paix, de la réconciliation et de la reconstruction nationale ainsi que le renforcement de la décentralisation. Cette période sera aussi l’occasion de  la révision de la constitution de février 1992 dont les insuffisances ont été saillantes à la faveur de la crise de 2012.
Après avoir donné au monde entier une image négative de notre pays et de nous-mêmes, nous avons le devoir de relever le défi de refondation de notre nation et de lui redonner son image d’une nation de paix, d’accueil, de tolérance, de rencontres, d’échanges, de convivialité, et d’hospitalité, image dont elle n’aurait  jamais dû se départir.
Que Dieu bénisse le Mali !
Bamako, le 26  février 2013
Hamidou ONGOÏBA
 Professeur à la retraite
B.P E 1045 Bamako

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1 commentaire

  1. Pourquoi la traque et le jugement des coupables des crimes contre l’humanité, commis au Mali, juste pour la période 2012/2013. La situation que nous connaissons aujourd’hui est la conséquence de tous les massacres et exactions commises par les Autorités maliennes à l’encontre des populations du nord, notamment les touaregs, depuis plus d’un demi siècle. Le terrorisme s’est installé depuis plus de dix ans, avec la bénédiction du Pouvoir malien. Il ne saurait y avoir un nouveau Mali, dans l’ignorance des faits, la Justice internationale doit jouer le rôle qui lui revient, avec l’appui des sensibilités sincères de ce pays. Un Mali avec un autonomie du Nord n’est pas à écarté, car pourquoi ne pas laisser la possibilité aux populations du Nord de s’auto-gérer ou de se prendre en charge, étant donné que le résultat du pouvoir de Bamako, concernant la gestion du Nord, depuis un demi siècle, est un résultat de terreur.

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