Mali : préparer l’émergence

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Faire du Mali un pays émergent au cours des prochaines années, c’est la promesse faite par la plupart des candidats à l’élection présidentielle de 2013 face à la situation qui prévalait alors. Le Président actuel avait particulièrement marqué les esprits sur le thème de l’émergence par la restauration de l’autorité de l’Etat et la lutte contre la corruption. Un quart de siècle après la révolution de mars 1991, la quête de justice, de transparence et de démocratie n’avait jamais été aussi forte qu’à la fin du mandat d’ATT en 2012. A présent, comment réhabiliter la démocratie et promouvoir la transparence dans la conduite des affaires publiques, le tout sur le socle d’une justice performante et crédible ?

Réhabiliter la démocratie et recréer

la confiance dans le système judiciaire

La révolution de mars 1991 a apporté des bouleversements importants au sein de la société malienne. Elle a contribué à produire un citoyen très vindicatif lorsqu’il s’agit de ses droits mais beaucoup moins prêt à faire face à ses obligations civiques. Lancée pour réclamer la liberté et la transparence, elle a plutôt ouvert la voie au laisser-aller et à l’anarchie. En outre, la corruption n’a jamais autant prospéré qu’au cours des vingt dernières années. Conformément à un schéma politique qui semblait bien établi, le prince pouvait se jouer de tous, partenaires comme adversaires pour faire la passe à qui il veut en fin de mandat. Du pouvoir, le peuple n’aura connu que les effets pervers car, qu’est-ce que la démocratie sans la liberté de choisir par le vote? Il a fallu que la soldatesque rue sans ménagement sur les hauteurs de Koulouba en mars 2012 pour gripper la machine infernale, transformant du coup la dernière tentative en une passe à l’adversaire, au grand dam des héritiers putatifs à qui il ne restait que leurs yeux pour pleurer et le cœur pour détester !

Dans le pays, la justice continue d’être rendue au nom du peuple mais les Maliens ont le sentiment qu’elle répond de moins en moins à leur idéal et au principe constitutionnel de l’égalité des citoyens devant la loi. La plupart des litiges fonciers qui ont débouché sur des tragédies humaines insupportables ont été portés par des décisions de justice contestées. L’injustice étant la source de tous les désordres et, par là-même le premier ennemi du pouvoir, il devient urgent de réagir en prenant le taureau par les cornes. Dans les grandes démocraties, l’institution judiciaire est crainte et respectée grâce à son professionnalisme et l’application stricte de la loi. Or, toutes les enquêtes indiquent très clairement que les décisions de justice controversées sont en passe de devenir la principale cause de l’instabilité sociale, tant dans les villes que dans les campagnes. Dans le même temps, malgré l’ampleur des crimes économiques depuis deux décennies, aucun dossier de corruption digne de ce nom ne figure au tableau de chasse des magistrats. La méfiance et l’inquiétude grandissent donc au point de créer une ambiance d’insécurité judiciaire pour tous. Le citoyen ne pouvant faire confiance à la justice du pays, le risque est grand de le voir recourir à des méthodes d’auto-défense, difficilement acceptables dans une république.

 Promouvoir la transparence et

les bonnes pratiques de gestion

La gouvernance d’Etat issue de la révolution de mars 1991 a d’abord emprunté des allures d’ouverture et de transparence avant de se révéler en fin de compte hautement partisane. La politique politicienne a rapidement pris le dessus sur tout le reste, ouvrant la voie à l’impunité et à la bérézina. Les nominations de complaisance à différents postes de responsabilité, les trafics sur les diplômes scolaires et universitaires, les recrutements guidés au sein des forces de défense et de sécurité, le népotisme et le clientélisme ont fini par transformer le pays en une véritable camarilla incapable de faire face aux obligations sécuritaires de l’Etat qui a failli sombrer en 2012. Ainsi, après avoir été un phénomène quasiment inconnu sous Modibo Kéita, un épiphénomène sous le régime militaire et celui de l’UDPM, la corruption est devenue la première industrie pilotée par des politiques et des administratifs, un moyen de s’affirmer grâce au pillage systématique des ressources publiques dans l’indifférence générale. Bien malin qui peut dire dans quelles conditions de transparence  et de sécurité sont signés, exécutés et payés depuis vingt ans les contrats de concessions minières ou de passation des marchés publics. La multiplication des structures de contrôle a davantage servi à brouiller les pistes car de puissants réseaux se sont constitués pour sanctuariser les  détournements massifs et importants. Tout le monde n’est certainement pas coupable mais, toujours est-il que les prédateurs sont parvenus à prendre une avance considérable.

Dans le meilleur des cas, les dossiers de détournements sont utilisés comme de simples moyens de pression contre des opposants politiques en vue d’obtenir leur silence ou leur coopération. Certains juges qui ont vite pris la mesure de la farce politicienne et qui ne voulaient pas être les dindons de cette farce, ont choisi « d’entrer dans le contexte ». En un mot comme en cent, Alpha Oumar Konaré et Amadou Toumani Touré n’ont pas exercé un leadership suffisamment fort pour maintenir le cœur et l’âme de l’Etat malien en dehors des manipulations politiciennes et de la corruption. A moins que tout simplement comme d’aucuns le pensent, cela n’ait été un moyen d’assurer un contrôle absolu sur les rouages du pouvoir. Dans les deux cas, leur responsabilité est entière. C’est la raison pour laquelle IBK dont le choix par les Maliens ne doit rien au hasard, en plus d’avoir obtenu l’accord de paix, reste particulièrement attendu sur la restauration d’une gouvernance vertueuse. A cette fin, il aura nécessairement besoin de la coopération des juges qu’il devra placer devant leur responsabilité historique. La bonne moralisation ne pouvant partir que de l’intérieur, il faudra obtenir des autorités judiciaires compétentes l’engagement ferme de veiller scrupuleusement à la qualité professionnelle et morale de chaque décision de justice, même au prix d’une réforme du système.

L’émergence se prépare par la réhabilitation de la démocratie et la transparence dans la gestion du pays. Les étapes importantes sont la moralisation de la vie politique à travers une charte plus exigeante des partis, le renforcement du contrôle citoyen et l’action salvatrice d’une justice indépendante et crédible. La volonté du Président de la république clairement affirmée sur la question est largement partagée. Les moyens humains et techniques existent. Reste à les mettre en œuvre dans de bonnes dispositions pour faire de l’émergence une réalité tangible.

 

Mahamadou Camara

Email : mcc1mcc@yahoo.fr   / camara_m2006@yahoo.fr

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1 commentaire

  1. merci pour la clarté et la pertinence de l'analyse, comme le disait Napoléon un bon croquis vaut mieux qu'un long discours; nous devons mettre en pratique toutes ces théories, et peu importe le nombre de personnes qui vont demarrer, l'essentiel repose sur la conviction et la détermination à aller sans tarder vers cette émegence que les maliens reclament à toutes les occasions,vous pouvez compter sur notre action de soutien inconditionnel.

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