Plus ravageur que le Pangolin dont les analystes français du Quai D’Orsay, diplomates de pointe, s’imaginaient être le principal facteur de disruption des pouvoirs africains après la pandémie de la Covid19, c’est donc cette sauce à l’arachide, appelée mafé au Sénégal. Elle met sens dessus dessous le Mali. Y sème la panique au sommet de l’Etat. Sa puissance est telle que plus personne ne doute qu’il s’agit d’un syndrome qui n’attend pas, comme le pangolin, la fin du coronavirus pour secouer les fondements du régime auquel il s’attaque. C’est donc à sa première cible, le Président malien Ibrahim Boubacar Keita (IBK), qu’il frappe d’un vertige étourdissant. Qui est annonciateur de sa chute.
Déconfiture
Tous les signes sont désormais visibles de sa déconfiture. Les plus fins noteront la démission hier de quatre juges constitutionnels dans un coup de force…judiciaire destiné à se démarquer des résultats des récentes et frauduleuses élections législatives que les manœuvriers d’IBK avaient “cuisinées”.
En jetant leurs robes, ces magistrats assomment, par un fatal revers, en remettant en cause sa légitimité, son pouvoir chancelant arc-bouté sur les hauteurs de Koulouba, la montagne située à Bamako qui abrite le siège des services de la présidence malienne.
Brutalement, l’IBK, naguère hautain, s’en est trouvé pris dans un vertige tellement profond que nul ne doute plus que ses jours soient désormais comptés.
Les dizaines de milliers de Maliens, militants islamistes réunis autour de leur guide, l’imam, Mahmoud Dicko, et les membres de partis politiques autant que de la société civile n’ont pas eu tort de prendre donc d’assaut hier les rues de la capitale malienne dans un ultime effort pour porter l’estocade finale à un président qui ne contrôle plus rien.
Ces foules impressionnantes démontrent l’ampleur du phénomène de rejet que suscite celui qui n’est plus que l’homme…faible du Mali.
C’est un retournement de situation remarquable qui vient rappeler la capacité des Maliens à se débarrasser d’un pouvoir ne répondant plus ni à leurs attentes en matière de délivrance d’acquis de développement ni de correspondre aux exigences d’une solide démocratie comme celle que le Mali revendique être.
Nous sommes à un tournant décisif. IBK en est conscient malgré son baroud de déshonneur actuel. Car il a beau faire semblant d’ignorer la houle qui monte au sein du peuple, de minorer cette colère rugissante dans les rues, le fait est qu’il n’est plus qu’un roi sans trône dont la déchéance est imminente.
Il mérite ce qui lui arrive. Parce que depuis son arrivée à la tête de son pays, rien des promesses qui avaient suscité l’espoir autour de sa personne n’a été tenu.
Sous sa débonnaire gouvernance, faite plus de vantardise que de souci de s’attaquer aux urgences montant de partout, la guerre qui déchire le nord du Mali, loin d’être résolue, s’enracine, s’amplifie. Au point que, défaitiste, il semble se satisfaire de la scission territoriale du pays.
IBK tranche ainsi par son impotence. À la grande joie des forces françaises venues depuis 7 ans à la rescousse de cette altière nation, héritière d’un prestigieux empire du Mandingue, pour prétendument y contenir l’avancée irrémédiable vers le Sud du pays des extrémistes islamistes. L’indolent dirigeant malien est le dernier à réaliser qu’elles ont un agenda en arrière-plan, qui est de concrétiser un avantage géopolitique secret dont l’objet n’est pas que de subjuguer l’irrédentisme septentrional mais bien de faire main basse sur les ressources naturelles qui dorment dans cette région.
Militairement vaincu, humilié au quotidien par les percées des terroristes revêtus du manteau de la religion islamique, le boiteux Président malien n’a pas non plus été capable de s’attaquer à la pauvreté et au recul économique de son pays. Et pire, il s’est transformé en potentat politique plus préoccupé à frauder les élections que de se montrer en démocrate. Il n’est resté au pouvoir que grâce à des manipulations de scrutins.
Le tribun, avocat des libertés et de la justice, n’est plus que l’ombre de lui-même. Depuis le démarrage de son magistère suprême, il tâtonne entre changements malheureux d’équipes de gouvernance du pays, magouilles vénales sur des contrats, dont certains sur des marchés militaires de plusieurs millions de dollars, impliquant son propre fils, un certain…Karim Keita, devenu l’incarnation du népotisme qui s’est développé sous son manque de leadership éthique.
Rendre le tablier
Qui n’est donc pas soulagé de voir la foule gronder son souhait de le voir rendre le tablier ici et maintenant ? Ce qui ne serait pas une première dans ce pays. On rappellera les coups d’Etat comme ceux ayant fait tomber le premier président du Mali, Modibo Keita, en 1968, puis son…tombeur, Moussa Traore, en 1991, et un autre galonné, installé par les urnes, Amadou Toumani Toure (ATT), en 2012.
Le Mali a aussi connu des alternances démocratiques pacifiques, notamment celles qui ont porté au pouvoir Alpha Oumar Konaré en 1992 ou encore IBK en 2013.
En réalité entre régimes militaires et civils, entre absolutisme et tentatives démocratiques, l’effet tigadegueh, ce vertige qui fait vaciller les pouvoirs au Mali, se retrouve dans leur incapacité à produire les livrables que les fiers peuples de ce pays attendent depuis l’indépendance nationale voici 60 ans.
Dans le cas d’IBK, l’échec se double d’une désinvolture et d’une inconscience qui le font frimer, chogobitant les r, alors que la maison qu’il dirige est en feu.
Je le revois encore en mi-janvier à Abu Dhabi lors d’une conférence sur les énergies s’exprimant devant une foule d’investisseurs dans un français si châtié que l’auditoire en somnolait. Qui ne se souvient de ce jour où au Forum de Dakar sur la paix et la sécurité, voici quatre ans, il s’était publiquement emmêlé les pinceaux en oubliant de monter à la tribune avec son discours ?
En lui, c’est l’échec des “démocrates” africains qui se confirme. C’est la preuve que la démocratisation en Afrique francophone, loin de porter les fleurs qu’elle promettait à son aube, n’est plus qu’un long fleuve de frustrations et de faillites de leadership, comme l’illustrent de nombreux cas de figure dont celui, paralysant, d’un Macky SALL, plus mafieux en diable, aux antipodes du leadership remarquable diagnostiqué par un aérien, perdu, philosophe ergotant quelque part près de l’Hudson River, à New York.
Les foules qui marchent pour la démission d’IBK me rappellent celles qui, en mars 1991, à mains nues, avaient affronté la soldatesque de Moussa Traoré pour lui imposer la démocratisation après 15 ans d’un régime de plomb militaire. Traoré avait fini par abdiquer quand son aide de camp d’alors, qui n’était autre que ATT, s’était engouffré dans son bureau, mitraillette en évidence, pour l’y contraindre.
Neuf mois plus tôt, en juin 1990, voici trente ans, au sommet de la Baule, après un discours offensif d’un président français, François Mitterrand, ciblé vers les autocrates de l’époque, comme lui et Hissene Habré, rien ne semblait lui faire comprendre qu’il était temps de changer ou périr.
“La démocratie est un état d’esprit”, me répéta-t-il incessamment dans ses appartements de la Baule, alors que je l’interviewais en compagnie d’un Christophe Boisbouvier au début de sa brillante carrière de journaliste.
Trente ans plus tard, le grondement des Maliens et les palinodies, ruses, de son lointain successeur à Koulouba, sont la preuve que militaires ou civils, les leaders africains sont faits de la même matière, qui les fait naviguer à contre-courant de l’histoire, qu’elle s’accélère ou pas.
IBK est en route pour se retrouver dans les poubelles de l’histoire. Il n’y sera pas seul. Devinez les noms de ceux qui vont l’y accompagner : on n’a pas besoin d’être féru de science nucléaire pour savoir les prochains à tomber sous les huées des peuples africains…
Le vertige Tigadegueh sera dévastateur dans les palais aux abois à travers l’Afrique, en commençant par celle de l’Ouest.
Adama Gaye, Le Caire 20 juin 2020
*Tigadegueh c’est une pâte d’arachide avec laquelle se fait une sauce qui accompagne le riz en Afrique de l’Ouest.