Mali-Élection : Soumaïla Cissé paie une forme d’amateurisme

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Soumaïla Cissé et, au-delà, l’ensemble des opposants à IBK, par leur défaite, paient une forme d’amateurisme, dans la stratégie et dans le choix des hommes chargés d’animer la campagne. Ils n’ont jamais su canaliser, à leur profit, le vaste mouvement populaire qui a fait reculer le gouvernement sur l’organisation du référendum l’année dernière. Le mouvement s’est très vite effrité et la belle dynamique s’est éteinte.

Mauvais casting des principaux animateurs de sa campagne

Soumaïla Cissé s’est allié à Ras Bath, célèbre animateur, mais également personnage très clivant à l’hygiène de vie critiquable, du moins vu sous le prisme des valeurs morales maliennes. En faisant de celui-ci l’un des visages de sa campagne, M. Cissé s’est peut-être aliéné le précieux soutien des dignitaires religieux musulmans, dont la quasi-totalité a souvent été insultée par l’animateur, qui a n’échappé à des fatwas qui auraient pu lui être fatales, que grâce à la sagesse du puissant président du Haut conseil islamique du Mali, Mohamoud Dicko.

Mauvaise stratégie

Pendant de longs mois, pour ne pas dire depuis au moins deux ans, la stratégie de l’opposition s’est résumée à une campagne inique pour empêcher la candidature du président sortant alors qu’il a légalement droit à deux mandats. Si tous les moyens et énergies déployés dans la campagne «Boua ka bla !» (Casse-toi papa !) avaient été mieux utilisés, à battre campagne et convaincre les Maliens de ce que Soumaïla Cissé est La Solution et l’homme de la situation, Soumi, comme on l’appelle affectueusement, ne serait pas aujourd’hui réduit à dénoncer des fraudes. On a passé le temps à amuser les gens au lieu d’éduquer le peuple. Et finalement, on n’a jamais réellement débattu du bilan, alors qu’un débat sur le bilan désavantage, généralement, le pouvoir sortant.

Sur l’image du candidat, l’équipe de la Com’ de Soumaïla Cissé n’a jamais pu créer une réelle image du candidat, une espèce de brand, une marque que l’on aurait ensuite ‘vendue’ au peuple. L’absence de ce Branding fait qu’il n’y avait pas un mot, une expression simple en forme de slogan par laquelle on aurait pu mobiliser le peuple. YES WE CAN ! (Obama) ; LE CHANGEMENT C’EST MAINTENANT ! (Hollande) ;  ADO SOLUTION ! (Alassane Ouattara), etc.

Les accusations de fraudes

Et que dire donc des accusations de fraudes, sinon qu’elles s’apparentent, pour un être mortellement blessé, à plus comme le dernier souffle avant de plonger dans le vide, le noir total, la fin…Je n’ai pas de preuves que le camp présidentiel n’a pas fraudé. Je n’ai pas de preuves du contraire non plus. Mais ce qui est présenté par les partisans de monsieur Cissé comme «preuves de fraudes massives» ne résistent pas à l’analyse. La fameuse vidéo supposée illustrer les bourrages d’urnes à Kidal montre plutôt un individu en train de voter pour plusieurs candidats sur un même bulletin. Il s’agit donc en réalité de bulletins qui seront considérés comme nuls, puisqu’on ne peut voter pour plusieurs candidats. On aurait voulu discréditer les dénonciations de fraudes de Soumaïla Cissé qu’on ne s’en serait pas mieux pris.

Par ailleurs, même s’il est vrai que le président sortant réalise des scores qui frôlent les 90% dans le nord, il faut rappeler que les votants dans le septentrion malien, au 1er comme au 2e tour, ne représentent qu’à peine 4% de l’ensemble des votants. En considérant que la Cour Constitutionnelle annule tous les résultats d’IBK au nord (région d’origine de M. Cissé), le président sortant remporte toujours ce 2e tour avec une confortable avance. Ces accusations de fraudes, surtout dans l’entre-deux tour, ont sûrement beaucoup démobilisé les éventuels électeurs de Soumaïla Cissé. Le message qui transparaissait de lui-même comme de l’ensemble de son équipe de campagne, c’était qu’il ne servait plus à rien d’aller voter, puisque de toutes les façons la fraude va transformer ces votes contre IBK en votes pro-IBK.

Dans ce cas, nombre d’électeurs de l’opposition sont restés à la maison, alors qu’il eût fallu plutôt que Soumaïla Cissé aille chercher les électeurs des autres candidats malheureux du 1er tour, dont les plus importants par l’adhésion qu’ils ont suscité autour de leur nom, n’avaient pas appelé à voter pour le président sortant. Si en plus Soumaïla Cissé avait réussi à amener une partie des abstentionnistes du 1er tour à aller voter pour lui, il aurait sûrement pu espérer une «remontada». Mais, une fois de plus, il a fait le choix d’une stratégique qui s’est avérée suicidaire.

Mon conseil à Soumaïla Cissé

Pour avoir servi 11 ans au Mali comme correspondant de la BBC, je connais personnellement Soumaïla Cissé, tout comme la plupart des grandes figures du paysage politique malien. Je garde de lui l’image d’un brillantissime ministre d’Alpha Oumar Konaré, qui surprenait par la maîtrise de ses dossiers et la qualité de ses arguments, notamment devant les institutions de Bretton Woods.

Sans denier tout mérite aux autres, l’histoire du Mali retient, pour le moment, pour ce qui est des ministres des finances : Zoumana Sacko, Soumaïla Cissé, et les autres restés jusqu’à présent anonymes dans l’imaginaire populaire. Je dirais de Soumaïla Cissé que c’est l’un des meilleurs technocrates maliens. Je pense qu’il est plus sage de sa part d’accepter qu’il y a une vie après une défaite électorale. Je reste convaincu que ce monsieur peut encore beaucoup apporter autant au Mali qu’à l’Afrique, que je chéris tant.

 Saïd PENDA

Journaliste, Ancien Correspondant de la  BBC au Mali

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