La fin du régime d’Ibrahim Boubacar KEITA (IBK) le 18 août 2020a couronné environ trois mois de contestation populaire. L’aspect le plus visible et commenté de cette lutte est le retour de la souveraineté au peuple, longtemps spoliée par des dirigeants certes légaux, mais pas légitimes.
Cette lutte a aussi révélé un autre aspect très important de la vie nationale, que très peu d’analystes encore moins la masse populaire ne s’intéresse. Il s’agit de la démocratisation de la parole publique qui étais jadis monopolisée par les hommes politiques. C’est une évolution positive dans la société malienne et qui mérite qu’on y consacre cet article.
Le mouvement populaire de mars 1991 qui a mis fin au régime de parti unique au Mali a enfanté la démocratie, le multipartisme et la libération de la parole publique. Chemin faisant, cette parole publique fut monopolisée par les partis politiques et les acteurs politiques. La transmission de cette parole publique était aussi quasiment monopolisée par la chaine d’information publique qui est l’Office de Radio Télévision du Mali (ORTM), laissant peu de place à quelques chaines privées. Les opposants politiques aux régimes avaient à peine l’accès à la chaine publique qui a pourtant comme devise : la passion du service public. Le financement des partis politiques de l’opposition suppose qu’ils sont d’utilité publique.
Le mouvement de contestation qui a commencé le 05 juin 2020 sur la Place de l’indépendance vient de crever cet abcès.La contestation populaire est la partie visible de l’iceberg, elle ne se comprend pas sans la partie immergée. Ce sont le contexte et les acteurs qui permettent à la fois d’expliquerle mouvement et de mieux faire la part de ce qui lui est propre.Effectivement, cette lutte a révélé toute la différence entre deux acteurs majeurs du changement amorcé : le politique et la politique selon les expressions du philosophe français Paul Ricœur. Il établit une distinction entre le politique, comme structure d’action en commun, et la politique, comme activité gravitant autour du pouvoir, de sa conquête et de son exercice. Le second acteur (la politique) monopolisait la parole publique et le premier (le politique) vient de la libérer, la démocratiser pour un Mali nouveau.
Les hommes politiques avaient construit tout un dogme autour de la parole publique au Mali. Dès l’avènement de la démocratie en 1991, progressivement les acteurs politiques ont faire croire au peuple que la démocratie et la politique sont intimement liées. C’est ainsi qu’ils ont su imposer dans la conscience collective que la parole politique (parole publique) est le domaine exclusif des acteurs politiques. Ils mettaient ainsi un brevet sur la parole publique, et le dogme naquit.
Ce dogme établi, les partis politiques et les acteurs politiques monopolisèrent la vie politique et la parole publique durant 28 bonnes années. Mais progressivement, ces acteurs politiques se sont révélés être en antipode de certaines valeurs cardinales de la société : sincérité, intégrité, respect de la parole donnée. C’est ainsi que l’imaginaire populaire assimila la politique à la tricherie, à la ruse, à la duperie. La parole publique perdu son sens et les partis politiques ne peuvent plus mobiliser l’électorat sans débourser de forte somme d’argents. La parole publique étant devenue inaudible, l’argent remplaça le programme politique des partis.
La nature ayant horreur du vide, le politique remplaça la politique pour porter la parole publique. Le politique étant la structure (organisation) qui permet à un peuple de prendre une décision a eu tout son sens lors des manifestations de contestation du défunt régime d’IBK.De nouveaux acteurs non politiques (religieux, associatif, syndicaliste, intellectuel….) se retrouvèrent au sein du M5 RFP (Mouvement du 05 juin du Rassemblement des Forces patriotiques) pour permettre au peuple de récupérer sa souveraineté, de prendre son destin en main. La parole publique venait de se démocratiser et le leadership religieux de ce mouvement de démocratisation de la parole publique est un indicateur de l’échec de la politique.
Autre fait marquant de cette démocratisation de la parole publique est la perte du monopole que la chaine publique avait sur les évènements politiques majeurs dans le pays. Grâce aux WebTV, les populations ont pu suivre en temps réel les évènements sans censure. Ces Web TV ont permis de découvrir de nouveaux acteurs publics et qui sans être politiques, portent la parole publique. Ces faits ont poussé la chaîne publique d’information à sortir un pamphlet sur ces Web TV qui venaient de démocratiser la diffusion de la parole publique.
Aussi, le mouvement de contestation fut un ferment à la production intellectuelle et les Web TV et les journaux en ligne ont été un support de diffusion inespéré.
Cette démocratisation de la parole publique augure un changement majeur dans la vie publique au Mali. L’écosystème politique va évoluer avec un foisonnement de mouvement, d’association avec des acteurs non politiques. Cela se fera inévitablement au détriment des partis politiques classiques et leurs responsables qui viennent de perdre le monopole de la parole publique. C’est une révolution dans la Révolution.
Bamako, le 1er septembre juin 2020
Mamadou SATAO
Environnementaliste
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