Le monde actuel connaît une profonde mutation, une grande complexité à travers le développement du numérique mais plus particulièrement avec la pandémie du coronavirus ou Covid-19. Le comprendre, le saisir demande de l’introspection et de la prospection. Notre humanité est dans l’inconnu social, politique, économique, religieux, scientifique.
De quoi s’interroger sur son fonctionnement et ses perspectives. Au terme de cette pandémie, le monde connaitra un changement par le simple fait que ce temps du confinement nous aura fait apprécier davantage les contacts humains. La faune et la flore régénéreront, entrainant une prise de conscience et une prise en compte des conditions d’apprivoisement des animaux confinés dans les zoos, enfermés dans des cages. Terrée, confinée, depuis des semaines voire des mois l’humanité connaît un chamboulement au point de se poser la question : sommes-nous devenus un virus sur et pour la planète ?
La situation sanitaire actuelle interroge nos responsabilités sur le plan social, politique, économique, religieux philosophique. L’évolution quotidienne de la pandémie nous fait comprendre que nous rentrons dans un nouvel ordre mondial avec sa bataille virulente de leadership, bataille de positionnement des États, des entreprises, de la géopolitique, de l’économie, de la science. Cette crise sanitaire impacte l’économie mondiale, l’organisation sociale, politique, religieuse. Ce qui sera intéressant à savoir, c’est : comment nos organisations politiques, sociales, religieuses, économiques, scientifiques se réinventeront ?
Depuis un certain temps, les temps de l’insouciance ont été restreints, confisqués, anéantis, suite à des séries d’attentats meurtriers. Actuellement, confinés comme en temps de guerre, nos préoccupations sont d’éviter d’être victimes du virus, et aussi d’espérer faire partie de la nouvelle configuration du monde de demain, de gouter à nouveau à la liberté suspendue, de participer à la reconstruction sociale, économique.
Au-delà du constat et de l’alerte, l’objectif recherché vise à participer à l’effort pour limiter les effets de la crise sanitaire au Mali. Nul doute qu’au Mali, nous vivons dans un contexte de vulnérabilité sociale, de tensions, de désespoir, de fatalisme. L’environnement social au Mali doit affronter un changement. L’épidémie du coronavirus ne pourra être combattue que dans un contexte de forte interaction humaine. Nous avons coutume d’entendre “mâ nana mâ bolo mâ béta mâ bolo” (nous venons dans la main des hommes à la naissance et nous partirons dans la main des hommes à la mort). Autrement dit l’autre est Alpha et Oméga notre existence. Sans relation sociale, l’individu est fragile, précaire dans la philosophie malienne. La richesse d’un individu dépend de son capital social. Cette pandémie montre combien nous dévons réserver une place aux valeurs humaines. Chacun en tirera les leçons du confinement. Il est nécessaire de mesurer les potentialités d’action de chaque individu pour construire quelque chose de viable et de fiable.
Le Mali, une économie vulnérable
Le socle de résistance sociale, politique, religieuse, économique est assez perméable actuellement au Mali. Aujourd’hui le pays ne peut pas contenir les effets de cette crise sanitaire mondiale qui forcement va bouleverser profondément l’écologie humaine, politique et économique. Nous rentrons dans une révolution mondiale qui nécessite des ressources humaines compétentes et visionnaires qui sauront mettre l’humain au centre de leurs préoccupations. Cette crise sanitaire désarticule toutes formes d’organisation existante, de pensées et de logiques.
Nous pouvons constater que la logique humaine taraude la logique économique au fil des jours en ce moment. Poussons une réflexion comparative de notre façon de voir et de concevoir le monde. La préoccupation première pour l’humain actuellement ne semble être plus être son portefeuille – combien dépenser pour ses loisirs ? Mais comment accéder aux hôpitaux, avoir des soins ? Les milieux sanitaires sont devenus de lieux d’assurance, de croyance où on tente de trouver sens à son existence.
Cette pandémie régule notre manière de concevoir les métiers, les activités professionnelles. Les professions de second plan comme l’agriculture, l’élevage, la santé, entre autres deviennent des métiers de tension, développant notre sens de solidarité. Comparons le prix d’une blouse blanche des soignants à côté d’un costume. Blouse : étoffe de couleur blanche, symbole de la transparence et de la naissance, utilisée lors des baptêmes, des mariages. Elle est aussi utilisée comme linceul dans bon nombre de cultures locales au Mali. Les personnels de santé ne sont-ils pas présents de la naissance à la fin de vie ? Sommes-nous dans une disqualification sociale dans nos modèles économiques ?
La crise sanitaire et le bouleversement de l’économie mondiale risquent une secousse politique par le fait que des équilibres économiques, sanitaires sont difficilement soutenables dans des pays vulnérables économiquement comme le Mali. Dans ce pays nous sommes dans un modèle économique dominé par le secteur informel, les acteurs qui le détiennent sont les ciments, piliers de l’équilibre économique, social, politique. Les marges de manœuvre et les moyens de l’Etat semblent extrêmement limités pour garantir la sécurité alimentaire.
Les perspectives économiques au Mali dans cette révolution mondiale, de crise sanitaire méritent attention et vigilance. L’évidence ne semble pas être assurée du côté des acteurs du secteur informel, de pouvoir faire face aux besoins des populations en produits de première nécessité. L’agriculture sous pluies pratiquée par les agriculteurs locaux ne peut pas approvisionner complètement les marchés locaux. On se tourne aussi vers les stocks nationaux disponibles pour faire face à la crise alimentaire. Nul n’ignore aujourd’hui que les pays du Nord manquent de main d’œuvre pour récolter les produits agricoles. Pouvons-nous compter sur eux pour faire face à deux fronts ? La crise sanitaire et la révolution mondiale en marche, contraignent les pouvoirs publics à faire de l’autosuffisance alimentaire un cheval de bataille pour préserver les populations de toute vulnérabilité. Nous sommes devant des enjeux et des menaces politiques. Les pouvoirs publics doivent parvenir à canaliser les émotions, les colères populaires, à consolider les liens sociaux, surmonter les inquiétudes qui sont tant de menaces pour l’existence humaine.
Défi à notre capacité de résilience
L’enseignement qu’on tire aussi de la situation sanitaire actuelle de ce virus Covid-19 est qu’il n’épargne personne quelle que soit sa religion, sa couleur de peau, sa zone géographique, et qu’il teste notre capacité à objectiver, à se fédérer, à s’unir pour une même cause.
Après cette crise sanitaire, des modèles de société surgiront dans des approches économiques diverses et multiformes. Il serait impensable que le Mali soit épargné de cette révolution sociale, économique, politique, scientifique. Il est souhaitable et recommandé de renforcer les équilibres sociaux, de s’abstenir des doctrines ou logiques “court termistes”, de cultiver le professionnalisme dans les secteurs clefs du pays. Le Mali a longtemps laissé se développer l’informel à tous les niveaux ce qui dans le futur risquerait d’être préjudiciable sur le plan économique et sanitaire.
Les crises sanitaires, sécuritaires, les urgences, les désespoirs, les fragilités, les vulnérabilités qui peuvent être humaines, sociales, économiques, politiques – sont mobilisatrices en donnant l’occasion à chaque citoyen malien de jouer un rôle. Citoyens, décideurs, penseurs, hommes de science, hommes de foi, le défi est de développer notre capacité de résilience.
Moïse Diawara
Sociologue
Centre Max WEBER -Lyon