Mali : Entre corrompus et corrupteurs

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Le Mali a battu un bien triste record sur le tableau des pays les plus corrompus publié le 3 décembre dernier en s’adjugeant la 127ème place sur 177 du classement Transparency International. On était 105ème au classement de l’année d’avant, ce qui permet de mesurer le chemin parcouru par les autorités de la transition. Au vu des chiffres et de certaines pratiques révélés dans le dernier rapport du VEGAL, on peut dire que la corruption est devenue le problème majeur des finances publiques. Comme il n’y a pas de corrompus sans corrupteurs, il paraît superflu de faire une distinction entre ces deux termes d’une même réalité. Dans ces conditions, la nouvelle loi annoncée sur l’enrichissement illicite trouvera-t-elle suffisamment de ressort pour faire basculer la tendance actuelle ? Que serait une lutte contre l’enrichissement illicite si elle n’est pas adossée à une analyse sociologique du phénomène à partir de laquelle on concevrait des actions à la fois sur les causes et sur les effets ?

 

  1. I.                   Corruption, quand tu nous tiens !

La corruption met toujours en scène deux types d’acteurs dont l’un, un agent de l’Etat, dispose du pouvoir d’attribuer une prérogative ou de sanctionner et l’autre, un citoyen qui veut une prérogative ou se soustraire à une obligation légale par des moyens contraires aux procédures en vigueur. Pour bien appréhender le phénomène, on distinguera la petite corruption de la grande. La petite corruption emprunte souvent la forme sournoise de la civilité pour amener l’agent public à être moins regardant et donc à baisser la garde. Elle est présente un peu partout aux postes de contrôle ou dans les services de l’administration, comme un droit de passage ou un droit d’accès. Malgré les apparences, elle peut avoir de graves conséquences. En effet, quelles quantités d’armes, de produits prohibés ou de marchandises ont pu ainsi échapper au contrôle de l’Etat? Quant à la grande corruption, elle résulte de montages mûrement réfléchis par des cadres ou des personnes occupant des fonctions de cadres concentrant entre leurs mains des pouvoirs importants de décision : recrutement de personnel, nomination à des charges, détention ou privation de liberté, attribution de marchés, paiement de fonds publics, mission de contrôle des finances, imposition ou taxation. Souvent, elle se mue en accaparement pur et simple de fonds ou de biens publics dans un contexte de complicité assurant l’impunité aux auteurs. Dans la valse des prédateurs de l’économie mettant en scène corrompus et corrupteurs, la solidarité dans le mal n’est pas un vain mot, chacun y trouvant son compte sur le dos toujours endolori du citoyen. A-t-on une idée précise du coup de l’enrichissement illicite ? Combien d’activités génératrices d’emplois et de richesses ont dû être arrêtées à cause des malversations financières? A combien se chiffre annuellement le coût des surfacturations et des fausses factures sur le budget de l’Etat ? Et que dire des contrôles financiers orientés plutôt vers la récupération à son profit par le contrôleur (assermenté ?) d’une partie des fonds distraits des caisses de l’Etat ? Vivement donc une loi sur l’enrichissement illicite ! L’enrichissement illicite est défini par le projet de loi comme l’augmentation substantielle du patrimoine de tout agent public que celui-ci ne peut justifier par rapport à ses revenus légitimes. Le projet exclut du champ d’application les opérateurs du secteur privé qui sont pris en compte par d’autres dispositions légales traitant de l’’escroquerie, l’abus de confiance, l’abus de biens sociaux, le blanchiment d’argent. La notion d’augmentation substantielle du patrimoine renvoie à un rapprochement entre les biens acquis, le train de vie et le niveau des ressources légitimes pendant la période considérée. Les ressources légitimes s’entendent des salaires, indemnités et avantages de toutes natures payés à l’agent public. Si les réalisations de l’agent et son train de vie sont nettement supérieurs à ses ressources, naît en principe une présomption d’enrichissement illicite. Cette présomption est simple car l’agent pourra toujours apporter la preuve contraire, s’il justifie notamment d’un héritage ou d’une donation clairement établis. En votant massivement pour IBK lors de la dernière élection présidentielle, les Maliennes et les Maliens entendaient choisir un homme de rupture capable de moraliser enfin la vie publique. La mission paraît herculéenne au regard des moyens de l’Etat et des pratiques d’une société qui a tendance à tresser des lauréats à ceux qui exhibent de gros moyens sans se soucier de la façon dont ils sont acquis. En plus du laxisme dans la conduite des affaires publiques, le niveau du traitement du fonctionnaire malien et la précarité qui le menace  expliqueraient en grande partie le phénomène de la corruption. Quelles sont les actions envisageables pour y faire face ?

  1. II.                 Les actions à mener

 

Pour être efficaces, les actions dans le cadre de la lutte contre la corruption doivent découler d’une analyse sociologique du phénomène et de la saine appréhension de l’organisation et du fonctionnement de la fonction publique en général, des régies financières en particulier. Le civisme et le patriotisme qui fondent le sentiment d’appartenance à une nation et l’obligation d’assurer la défense de celle-ci constituent le socle des actions à mener dont certaines doivent s’exercer sur les causes et d’autres sur les effets.

 

  1. 1.      Actions sur les causes

 

Certaines questions de fond sont à relever pour définir le type d’actions à mener :

–          le citoyen en général, le fonctionnaire en particulier, bénéficie-t-il d’une culture civique le préparant à placer l’intérêt du pays au dessus des siens propres ?

–          le salaire versé au fonctionnaire le met-il à l’abri du besoin et donc de la tentation ?

–          l’environnement social et le plan de carrière sont-ils suffisamment valorisants pour le fonctionnaire moyen ?

La préparation du citoyen à la défense des intérêts de son pays commence dans la famille et se prolonge à l’école avant de se consolider dans la vie active. A l’âge adulte, la citoyenneté s’exerce, se renforce au contact des autres et se prouve par la valeur de l’exemple. Il est donc nécessaire que la société soit organisée de sorte que la promotion sociale soit liée à la valeur intrinsèque : récompenser seulement les élèves et étudiants les plus méritants, faire avancer les travailleurs au mérite, instaurer des mesures de bonification pour les entreprises citoyennes et responsables. Cela renforce le sentiment que l’Etat est juste et équitable en évitant les frustrations qui naissent des préférences politiciennes ou relationnelles. Chaque chaîne ayant la solidité de son maillon le plus faible, les fonctionnaires qui sont au bas de l’échelle doivent pouvoir vivre dignement. Le plan de carrière deviendra une source de motivation avant la retraite qui se préparera alors dans la confiance comme une étape normale de la vie au lieu d’apparaître comme une phase de rejet, de souffrance et de malédiction. C’est la condition pour atteindre la performance, rendre l’administration attractive, valoriser le fonctionnaire et pouvoir exiger de lui des résultats. Le monde étant passé de la production à la productivité, pourquoi ne pas gérer l’administration publique avec les exigences du secteur privé afin de garantir la traçabilité des flux financiers et des biens ?

 

  1. 2.      Actions sur les effets

 

Ce qui compte en matière de sanction, c’est l’exemplarité de la peine. La poursuite n’a de sens véritable que si la peine encourue est dissuasive, c’est-à-dire à la dimension des dommages causés. Passer entre trois et cinq ans en prison avant d’aller jouir tranquillement du produit d’un détournement qui peut se chiffrer à des centaines de millions, voire à quelques milliards peut être perçu par certains délinquants comme un risque à courir. Il faut donc bien étudier le quantum de la peine ainsi que les mesures permettant de récupérer les biens détournés sans oublier la déchéance des droits civiques et l’inéligibilité pour le coupable. En outre, il devient indispensable de revoir l’organisation, la composition et le fonctionnement des organes de contrôle des finances publiques si l’on veut obtenir des résultats. La loi ne vaut que par l’application qu’on en fait et, cette application est fortement tributaire de la  volonté des décideurs politiques à tel point que le sentiment largement partagé aujourd’hui est que les cas de détournement révélés sont plutôt utilisés pour tenir en laisse des adversaires politiques. L’autre obstacle à la lutte contre l’enrichissement illicite est un fait bien connu. Ceux qui détournent les deniers publics se transforment le temps du détournement en « bienfaiteurs » pour des chefs religieux et autres sages de sorte que dès qu’ils sont menacés de poursuite, il se crée de véritables groupes de pression pour les secourir. Juges et autorités politiques sont alors harcelés de toutes parts pour obtenir la suspension des poursuites. Il faut donc faire en sorte que les chefs religieux et les sages participent à la mission de sensibilisation de façon que leur vigilance ne soit pas prise à défaut par les prédateurs de l’économie.

La nouvelle loi qui opère un véritable renversement de la charge de la preuve doit régler une question importante compte tenu du principe de la non rétro – activité de la loi pénale, celle des fonctionnaires en activité qui pourraient se voir inquiéter après son entrée en vigueur pour des biens acquis ou des biens en cours de réalisation qu’ils ne peuvent justifier avec leurs revenus légitimes. La simple déclaration des biens ne saurait être une mesure de prévention efficace si elle n’est pas combinée avec d’autres plus contraignantes permettant la traçabilité des fonds publics et des biens acquis par certains fonctionnaires. La compétence, l’intégrité et l’indépendance même relative de certains agents publics pourraient aider à circonscrire la corruption et l’enrichissement illicite. C’est le cas des directeurs généraux des douanes, des impôts, du Trésor, du contrôle financier. Il est important également qu’une seule autorité de la bonne gouvernance soit clairement identifiée pour plus d’efficacité car entre la Direction Générale du Contrôle des Services Publics, les Pôles Economiques et le Bureau du Vérificateur Général, qui fait quoi ? Y a-t-il une synergie entre ces organes pour que l’Etat en tire le meilleur profit ? Si non, la mutualisation des moyens au sein d’un organe unique disposant des pouvoirs d’investigation et de poursuite doit être envisagée pour que la corruption soit confinée dans les limites de la portion congrue et que cesse enfin pour notre économie la perpétuation du mythe de Sisyphe !

 

Mahamadou CAMARA

 

camara_m2006@yahoo.fr

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