Mali : comment sortir de notre propre piège ?

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Je regarde mon pays de loin et mon optimisme naturel commence à s’éroder ; il y a des moments je doute, je désespère surtout quand j’écoute les nouvelles tristes d’embuscades dans lesquelles nos vaillants soldats tombent régulièrement ou quand j’entend parler de milices s’adonnant à des actes barbares dignes d’un autre temps de l’évolution de l’humanité. Je désespère quand je vois notre énième transition- qui était inutile, soit dit en passant- devenir graduellement un autre rendez-vous manqué avec l’histoire.

Nous pouvons être fiers de quelques infrastructures implantées surtout à Bamako et dans quelques capitales régionales depuis 1991 mais en général, et sur le plan de l’évolution socio-politique nous constatons qu’il y a plus de partis politiques que de feuilles dans les registres du ministère de l’administration territoriale. Il y a plus de marabouts, Cheick, imams, plus de prêcheurs que de fidèles musulmans. Il y a plus de mosquées que de centres de santé ou d’écoles primaires. Il y a plus de griots que de « horons ». Il y a plus de radios libres que d’ondes à distribuer. Il y a plus de jours de grève que de jours de travail. Il y a des milliers de décorés mais presque point de héros. Chaque animateur de radio est devenu un gourou. Les réseaux sociaux aidant, chaque détenteur d’un compte Facebook est devenu Expert de tous les sujets. Pire, chaque problème qui affecte le pays est la faute des autres, jamais notre propre faute. Le mensonge est devenu le modus operandi. La médiocrité est la chose la mieux partagée.

Je ne suis pas le seul à faire un tel constat amer. Bien de voix s’élèvent contre la corruption et le népotisme. Mais allons-nous continuer à juste nous indigner ? Ou allons- nous agir, traiter le mal ? Allons-nous regarder l’actuelle transition être une montagne qui accouchera d’une souris ? Ou pire, accoucher d’un vers ?

Reconnaître notre responsabilité

Pour guérir les maux du Mali, arrêtons d’abord de blâmer les autres pour nos problèmes ; commençons par reconnaître notre part de responsabilité dans nos échecs actuels : une démocratisation sur la tête, l’incapacité à sécuriser le pays, la corruption généralisée, la déliquescence du service public de la santé et de l’éducation, la transformation de l’espace universitaire en espace de gangstérisme alimentant les rangs des partis politiques, l’émergence de quasi-analphabètes religieux discutant désormais l’espace politique aux partis et mouvements politiques, la sous-traitance des attribut de l’Etat à des familles fondatrices et autre religieux en quête de popularité, et j’en passe. L’élite politique de 1991 à ce jour aura failli même si des efforts individuels louables peuvent être salués mais la classe politique en général aura failli et les dividendes du mouvement de démocratisation n’auront servi qu’à créer un fossé abyssal entre gouvernants et gouvernés qu’on n’arrive pas à combler. Il faut cependant dire que ceux que nous appelons les politiciens, ne sont pas tombés du ciel. Ils sont les fruits de leur société et une fois aux affaires, ils contribuent à aggraver les tares inhérentes à la société en cultivant le népotisme et l’impunité. Ces tares ne sont la faute à personne d’autre : c’est notre faute à nous-mêmes. La Chine a été colonisées à un moment donné de son histoire par le Japon. L’Inde a été colonisée par le Royaume Uni. Le Vietnam et l’Indonésie ont été colonisés.  Tout le continent américain a été colonisé par le passé mais l’Afrique est le seul endroit au monde qui continue de se lamenter de ce que l’Europe lui a fait, notamment les anciens pays colonisateurs. Il est temps que nous grandissions et prenions nos responsabilités.

Notre problème ce n’est pas la rébellion du Nord mais nous en avons fait l’enjeu de la stabilité nationale

Tantôt le Nord du pays avec ses rebellions cycliques sont présentés comme le problème du Mali. Au fond les rebellions interminables ne sont que les manifestations d’un phénomène de gouvernance qui n’a jamais traité les problèmes dans le fond, se contentant de satisfaire quelques féodaux et appliquant à chaque fois les mêmes solutions à chaque rébellion. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la rébellion, du point de vue d’un Kidalois, ou de mercenaires rentrés de Libye semble bien plus payante que la création d’un parti politique ou la création d’un GIE. A travers la rébellion, on devient ministre, Directeur, Colonel dans l’armée, on a accès aux Médias internationaux. Et bien évidemment, quand le mur se fissure, les lézards y trouvent une bonne niche.

Et comme la rébellion a créé un terreau fertile aux djihadistes, la non-occupation de notre vaste espace géographique a favorisé l’implantation de toutes sortes de groupes criminels opérant tantôt sous le label d’Etat Islamique, d’Ançar dine, Défenseurs de l’Islam et des musulmans ou autres entreprises criminelles aux ramifications insaisissables. Même avec 5 armées et l’opération Barkhane, Iyad Ag Ghali, le minuscule et fantomatique Amadou Koufa restent les plus forts.

Il faut absolument repenser notre réponse et elle doit être notre solution mais suffisamment innovante car même les armées les plus puissantes du monde ne sont pas parvenues à bout des Talibans après presque 20 ans de guerre. Le Mali ne peut pas chanceler 20 ans, sinon il n’ y aura plus de Mali.

Mobiliser autrement pour  sauver notre pays

Il y a des Maliens encore naïfs qui pensent que les jeunes Colonels vont « sauver » le Mali. Désormais, le pays semble divisé entre « pro militaires » et « antimilitaires ». Des mouvements opportunistes de soutien se créent. Le M5 RFP se lamente mais peine à remobiliser. Les partis politiques en général perdent toute imagination probablement parce que la question principale est « comment arriver au pouvoir ». Et pourtant, les partis ne manquent pas d’hommes et de femmes intelligents mais en politique, l’intelligence, à elle seule, ne suffit pas. L’incurie de la classe politique a donné naissance à toute sorte de mouvements politiques et des hommes d’affaires, forts de leurs milliards, sont devenus politiciens, opportunément et, non contents de s’être enrichis dans la corruption, ils veulent désormais s’installer au palais présidentiel. Un d’entre eux pourra réussir un jour, et le résultat sera pire que le passage de Donald Trump à la maison Blanche à Washington. Aux Etats Unis, ils ont un vrai Etat, un système de gouvernance qui fonctionne peu importe qui occupe la Maison Blanche; il peut donc résister aux chocs. Mais au Mali, rien ne fonctionne, alors un commerçant à Koulouba, équivaudrait à confier un troupeau de chèvres à une hyène. Le M5 doit se convaincre qu’il ne pourra plus mobiliser comme il l’avait fait contre IBK et les partis politiques qui n’ont pas participé au M5 devront se convaincre qu’ils ne pourront plus constituer une force suffisamment puissante pour arrêter la dérive en cours. Il faut donc mobiliser autrement. Il faudra que les leaders politiques connus arrivent à se défaire de leur ego pour se retrouver autour de la table avec un seul objectif : sauver d’abord le Mali. Aujourd’hui le perdant ce n’est pas le M5 ou le RPM ou IBK ou un autre dirigeant politique. Le seul perdant c’est le MALI.

Je rêve de voir autour d’une seule table l’ancien Président Alpha Oumar Konaré, l’ancien Président intérimaire Dioncounda Traoré, les anciens Premiers Ministres  Ousmane Issoufi Maiga, Ag Hamani, Modibo Sidibe, Cheick Modibo Diarra, Django Cissé, Oumar Tatam Ly, Moussa Mara, Abdoulaye Idrissa Maïga, Soumeylou Boubeye Maïga, Boubou Cissé, assis à la même table avec les anciens ministres comme Ousmane Sy, Choguel Maiga, Kadiatou Sow, Aminata Dramane Traoré, Cheick Oumar Sissoko, Mohamed Aly Bathily, Mountaga Tall, Tieman Hubert Coulibaly, Bocary Treta, Tiemoko Sangaré etc. tous ensemble, discuter du Mali, repenser le Mali en toute intelligence pour qu’enfin, ils créent un héritage dont leurs enfants à eux et les enfants de tous les autres seront fiers. Je dis bien que c’est un rêve. Moi je n’ai pas les moyens de le réaliser. Ce ne sont pas les prières de vendredi ou les sermons de dimanche qui feront réaliser un tel rêve. Un tel rêve n’a point besoin d’une intervention divine. Les acteurs cités peuvent faire de ce rêve une réalité. Mais les egos sont surdimensionnés. Il y en a parmi eux qui peuvent tenter un tel exercice ; certains ne suivront pas parce qu’un tel rassemblement va demander aussi un leader et chacun voudrait en être le leader. Je continue de rêver. Après tout, le rêve est permis. Je reste convaincu qu’il faut remobiliser, rediriger le gouvernail et sauver le Mai; il faut mobiliser autrement. Les Colonels qui dirigent en ce moment ne peuvent pas sauver le Mali. Ils n’en ont ni l’intelligence, ni le savoir faire bien qu’ils aient des qualités.

Je ne suis pas un laudateur, alors ils souffriront que j’aie une voix dissonante. Je n’appelle cependant pas à une autre mobilisation contre les militaires, loin de là. J’appelle à un rassemblement qui inclura les militaires le long du chemin ; ils ne peuvent juste pas jouer un rôle de premier plan, ce n’est pas là leur vocation.

Si les acteurs politiques arrivaient à s’asseoir autour de la même table, ils entraîneront forcement d’autres forces périphériques utiles comme la diaspora qui amplifieront le mouvement. Autrement la diaspora sera réduite à animer les réseaux sociaux sans aucune portée politique réelle et ne pourra pas aider le pays à sortir de ses dilemmes.

Nous avons besoin de tous les Colonels au front, partout dans le pays, pas d’une nouvelle bourgeoisie militaire, déconnectée des troupes qui meurent tous les jours sur le champ de l’honneur.

Sidi Mohamed Diawara

Souraka

23 Mars 2021

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