Mali : Changer pour émerger

1

L’avènement de la démocratie en 1991 avait fait naître beaucoup d’espoir même si, après un quart de siècle de multipartisme on se rend compte que cela n’a pas permis d’instaurer une gouvernance vertueuse. Que faire à présent pour relever le défi de l’émergence sachant que, dans sa démarche l’esprit scientifique se prépare à juger un passé historique en le condamnant ?

Le Mali est un vieux pays adossé à des traditions multiséculaires qui continuent d’occuper une place de choix dans la vie des populations, en dépit de nombreuses et récurrentes menaces de déculturation depuis la période coloniale. Après huit ans d’exorcisme, de proclamation de souveraineté en tant que peuple et nation, le train va dérailler dangereusement le 19 novembre 1968, mettant fin au régime du nationaliste Modibo Kéita au pouvoir depuis le 22 septembre 1960. Des hommes non préparés à exercer le pouvoir politique se retrouvent alors aux commandes du pays qui connaîtra la dictature militaire pendant dix ans, avant de vivre douze autres années de parti unique sur fond de contestation sociale et politique. Au cours de cette longue traversée de désert, la société subira de profondes mutations du fait d’une part de la naissance d’un affairisme glouton, de retards importants dans le paiement du salaire des fonctionnaires et, d’autre part de l’incivisme, de l’effritement du sens patriotique.

Si des valeurs sociétales importantes telles que la solidarité, l’hospitalité et la tolérance sont restées les éléments constitutifs de l’ADN du pays, les fondements même de l’édifice que sont la rigueur et le sens moral sont gravement touchés car les Maliens ont été contraints pendant longtemps au grand écart, ce qui a contribué à développer des comportements opportunistes et égoïstes. L’observation de la scène politique actuelle offre la panoplie complète de l’ensemble des tares observées à tous les autres niveaux de l’échelle sociale où tout est au service du SINAYA, du FADEYA et du TAGNINI. N’est-il pas temps de sortir enfin de ce déterminisme malsain pour la république ? Le décalage sans cesse croissant entre l’ordre ancien et le nouveau, entre les anciennes générations et les nouvelles n’incite- t-il pas à emprunter la voie courageuse d’une révolution sociologique ?

LA REVOLUTION SOCIOLOGIQUE PEUT SE DEFINIR COMME LA DEMARCHE DE L’ESPRIT QUI CONSISTE A SE FAIRE ETRANGER  A LA SOCIETE, ET A LA REGARDER DU DEHORS COMME SI ON LA VOYAIT POUR LA PREMIERE FOIS

Modibo Kéita, le premier président du Mali indépendant avait créé une école à même de défendre et perpétuer son projet de société parce qu’il était suffisamment libre et courageux pour se démarquer de pratiques qui, à ses yeux n’étaient pas facteurs de progrès. Instituteur et fier de l’être, homme frugal et modeste, toute sa vie a été dédiée à la formation et la promotion de la jeunesse, dans le respect strict de la dignité humaine et du bien public. Après lui, la société semble avoir développé une boulimie inextinguible de pouvoir et d’argent qui a non seulement inhibé le sens moral mais relégué complètement au second plan l’engagement citoyen. C’est le vrai sens du drame silencieux et profond que vit le peuple malien.

Ne dit-on pas que chaque peuple a les dirigeants qu’il mérite ? Pour s’en convaincre, il suffit d’observer les détenteurs du savoir dans leur quête effrénée de biens matériels, au lieu de s’atteler à conseiller et façonner les gouvernants, comme le bon sens et Dieu Lui-même le leur recommandent.

De façon plus précise, la plupart des intellectuels n’ont-ils pas depuis longtemps déserté les couloirs des lycées, universités et autres grandes écoles pour chercher le confort des départements ministériels ? Les étudiants qui ont suivi la manœuvre en ont tiré toutes les conséquences car les activités syndicales et politiques sont moins contraignantes et offrent de meilleures chances de réussite. Que dire des organisations religieuses, de leur division et de leur accointance réelle ou supposée avec les milieux politiques ou « djihadistes » ? L’univers religieux est devenu un grand capharnaüm dans lequel on rencontre de tout, des Saints aux pires vendeurs d’illusions. Des chefs spirituels supposés adorer le même Dieu, utiliser le même Livre, se réclamer du même Prophète ont du mal à parler d’une seule voix, plongeant leurs ouailles dans le plus grand désarroi. Tout le monde l’a compris finalement car chez les uns et les autres, les ambitions et intérêts personnels ont pris le dessus.

Malheureusement, les paisibles populations n’ont pas fini de payer le prix de ces errements. Cependant, pour Dieu qui veille sur tout et sur tous, au-delà des fanfaronnades et propos de circonstances, chaque être est un livre grandement ouvert dont Il choisit, dans Sa Grande Sagesse de révéler en temps opportun, des pans entiers à ceux qu’on tente d’abuser.  La crise de leadership est une réalité tangible. La société est si malade dans son corps et dans son esprit qu’il serait illusoire de viser l’émergence sans une remise en cause profonde des pratiques actuelles, sans la réhabilitation et la reconnaissance de la rigueur et du sens moral comme les vrais moteurs du développement économique, social et culturel du pays.

 

Mahamadou Camara

Email : camara_mc2006@yahoo.fr

Commentaires via Facebook :

1 commentaire

  1. “…Ne dit-on pas que chaque peuple a les dirigeants qu’il mérite ? Pour s’en convaincre, il suffit d’observer les détenteurs du savoir dans leur quête effrénée de biens matériels…” 😛 😛 😛 😛 😆 😆 Toi la, tu designes IBK sans le nommer?

Comments are closed.