La question de la responsabilité du citoyen dans le choix des dirigeants et celle du dirigeant lui-même dans la conduite des affaires publiques méritent de retenir l’attention en cette période particulière de rupture de la gouvernance car c’est le sens de la responsabilité qui conduit au respect de l’individu en tant que sujet et détenteur de droit, au respect du bien public en tant que patrimoine commun, au respect de la fonction et du mandat en tant qu’instruments de réalisation du bien-être collectif.
En effet, la démocratie malienne bégaie tellement depuis son avènement qu’elle a fini par trébucher un jour de mars 2012, jetant le discrédit sur la classe politique et semant un doute légitime dans l’esprit des populations et même au sein de la communauté internationale. Avant d’être militaire, la crise du nord est d’abord et surtout une crise politique, une crise de la gouvernance. Que faire à présent pour parvenir à une solution globale et durable dans un environnement jusqu’alors dominé par le laxisme, l’émotion et les considérations personnelles ? Est-il possible d’envisager un changement qualitatif sans une bonne dose d’abnégation et sans une véritable révolution sociologique?
La révolution sociologique est la démarche de l’esprit qui consiste à se faire étranger à la société dans laquelle on vit et à la regarder du dehors comme si on la voyait pour la première fois.
A la fin des années 1980, un tsunami politique souffle depuis la Baule et frappe de plein fouet les palais d’Afrique. Les partis uniques tombent ainsi les uns après les autres sous les coups de boutoir de mouvements dits démocratiques. L’UDPM ne sera pas épargné. Entre céder à la pression populaire et résister, Moussa Traoré fera la seconde option. Mal lui en prit car l’’armée qui était son principal soutien et dont le maintien d’ordre n’est pas l’apanage, complètement dépassée par les évènements, finira par se ranger du côté des insurgés. Arrêté, jugé et condamné à mort, il recouvrera la liberté une dizaine d’années plus tard. Malheureusement, son procès qui devait être celui du parti unique et de ses tares afin de renforcer l’ancrage démocratique du pays se révèlera un véritable couac. En lieu et place, on s’est évertué à saisir l’ombre en épargnant résolument la proie. Ce faisant, le problème de fond a été occulté avec l’impasse sur la mise en accusation du parti unique. En effet, une mise en accusation de l’UDPM présentait des risques certains pour de nombreux acteurs de l’époque qui devaient leur promotion et leur statut au parti unique. L’accent a donc été volontairement mis sur l’exacerbation des conséquences de la chute du régime comme si l’effet pouvait remplacer la cause. Procès expéditif et biaisé pour certains, justice des vainqueurs pressés d’occuper les lieux pour d’autres, Moussa Traoré a été rendu seul responsable de tous les maux du pays. Il boira le calice jusqu’à la lie. La justice n’y a rien gagné, la démocratie encore moins. La preuve, on est allé de charybde en scylla puisque la démocratie n’est pas la multiplication des partis, elle repose sur des valeurs qui ont été régulièrement foulées au pied. Juste retour du bâton pour le Général pourrait-on dire puisque Modibo Kéita, victime d’un coup d’état n’avait pas eu le droit de s’expliquer, lui qui avait un projet de société et une idée précise des moyens à mettre en œuvre. Finalement, les populations n’ont tiré aucune leçon politique ni du coup d’état de 1968, ni des évènements de mars 1991. Par contre, elles ont gardé le sentiment douloureux d’avoir été chaque fois flouées par une coterie constituée après chacun de ces évènements, coterie dont les membres se sont purement et simplement adjugé un titre de propriété sur l’Etat. L’organisation d’un simulacre de procès pour le baptême de la démocratie a été plutôt vécue comme la survivance des pratiques du parti unique. Comme les mêmes causes produisent les mêmes effets, le président Konaré qui le sait bien exercera ses deux mandats avec le syndrome quasi obsessionnel du coup de force contre son régime,
La plupart des responsables politiques avaient choisi de jouer à la bourse des valeurs de Koulouba les conditions de leur soutien. En fin de règne, ATT connaitra la solitude du coureur de fond.
En 2002, le candidat indépendant ATT arrive au pouvoir dans un contexte de dévaluation accentué des partis car la plupart des responsables politiques, plutôt que de s’assumer, avaient choisi de jouer à la bourse des valeurs de Koulouba les conditions de leur soutien. Les marchands de tapis prospèrent au rythme de la création des partis et le jeu politique s’en trouve déréglé. Tout devient alors possible et facile pour certains opportunistes qui prennent un plaisir non dissimulé à profiter de la situation. La république présente les aspects de la puissance et de l’abondance mais tout n’est pas rose et surtout, tout n’est pas rose pour les piliers de l’Etat que sont la défense et la sécurité, l’administration et la justice, les institutions et les partis politiques. Le réveil de la rébellion combiné avec la fin du mandat présidentiel expose dangereusement ATT face à des partis politiques occupés à préparer sa succession, c’est-à-dire l’avenir, un avenir sans lui qui croyait toujours détenir des atouts important dans son jeu. En fin de règne, isolé et acculé de toutes parts, commence pour lui la solitude du coureur de fond avec un arrêt presque mortel le 22 mars 2012. Pourquoi a-t-il choisi de s’exiler à Dakar au lieu de rester ? Le contexte est certainement différent de celui de mars 1991. En effet, si ATT s’était investi pour protéger l’intégrité physique du président déchu face à une population déchainée, ses tombeurs à lui semblaient plutôt déterminés à lui faire la peau face à une population désabusée et passive. Curieusement ce jour-là, aucun béret rouge ne mourra ni devant le palais de Koulouba ni ailleurs pour le défendre. Par contre, quarante jours plus tard des dizaines d’autres mourront entre Bamako et Kati en tentant de reprendre le pouvoir aux bérets verts, auteurs du coup d’état. Si l’entreprise avait réussi, à qui les bérets rouges auraient-ils remis le pouvoir puisque le président avait démissionné? Voulaient-ils tout simplement être Calife à la place du Calife ? Manifestement, beaucoup de questions restent toujours sans réponse et il faut espérer que le procès d’ATT, s’il a lieu, permette d’édifier pour une fois les Maliens sur les tenants et aboutissants de cette tragédie afin qu’on en tire des leçons. Si tous ceux qui attirent aujourd’hui l’attention sur les risques liés aux poursuites s’étaient investis pour le conseiller utilement, ils auraient pu éviter à la nation la bérézina de mars 2012. En tout état de cause, ATT n’est pas le seul responsable de la tragédie qui a failli emporter le pays et il ne doit pas seul porter un chapeau manifestement trop grand pour sa tête. Son système était animé par des personnes dont certaines ont déjà engagé une course effrénée vers les cercles actuels du pouvoir. Tout le monde gagnerait à entendre sa part de vérité. Quelle forme cela prendra-t-il ? Qu’importe.
Du reste, quelques jours avant sa chute, les Maliens ne l’ont-ils pas entendu dire qu’il avait fait confiance à des personnes qui l’ont trahi ? Ne devrait-on pas savoir dans l’intérêt de la république?
Le pouvoir actuel est certes face à plusieurs défis tout aussi importants et pressants les uns que les autres : la paix au nord, la réconciliation nationale, la gestion tumultueuse de la transition, la refonte du système sécuritaire, l’assainissement des finances publiques, la lutte contre la corruption endémique et l’impunité, la moralisation de la vie politique, le repositionnement du Mali dans le concert des nations. Il doit cependant faire en sorte que la démarche ne gêne pas la marche car la bonne démarche est celle qui profite au pays, à sa démocratie, à sa justice, à son économie. Les Maliens dont le sens du pardon n’a jamais été pris à défaut sauront s’investir pour qu’ATT demain, comme Moussa Traoré aujourd’hui, circule librement. Le Mali est une grande famille qui ne saurait exclure aucun de ses enfants. IBK le sait bien, lui qui détient la clé de la porte. Il veillera certainement à entre – bailler simplement celle-ci pour que le moment venu tous puissent répondre à l’appel du Mali.
Mahamadou CAMARA
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