Depuis l’annonce de la marche du 05 juin 2020 sur l’initiative du Mouvement Espoir Mali Koura (EMK), la Coordination des mouvements, associations et Sympathisants de l’Imam Mahamoud Dicko (CMAS) et le Front pour la Sauvegarde de la Démocratie (FDS), le Mali entier, du moins Bamako retient son souffle en attendant le jour J.
Mais que se passe-t-il ? Les trois organisations suscitées ont sanctionné une rencontre du 30 mai 2020 par un communiqué de neuf points et conclurent que la satisfaction de ces points « exige la démission du Président Ibrahim Boubacar KEITA (IBK) et de son régime dont la gouvernance a mis en danger de dislocation notre pays et notre nation ». Que cela soit ! Mais accuser le seul régime du Président IBK de la crise multidimensionnelle qui menace l’existe du pays, est facile et simple. Sortons de ce masque, de cette apparence, de ce verni selon Norbert ZONGO pour enlever l’écore afin de mieux comprendre le dessous, c’est-à-dire réalité profonde.
La situation actuelle du Mali n’est pas enviable à plusieurs égards. Cette situation est le cumul de plusieurs problèmes dont nous n’avons pas pu trouver des réponses adéquates. Pour expliquer la crise malienne, deux thèses sont couramment avancées : complot internationale et mauvaise gouvernance. Sans nier l’influence extérieure dans les crises qui secouent certains pays africains, j’écarte la première thèse de mon analyse. Pour la simple raison que, dans l’histoire de l’Humanité, le destin d’aucun peuple n’a été accompli par un autre. Nous sommes bien à notre place et méritons notre situation. La compréhension de la situation actuelle du pays passe l’analyse de certaines composantes de la société malienne.
Une classe politique de basse qualité
L’avènement de la démocratie au Mali en 1991 a vu l’arrivé au pouvoir d’une classe politique qui ne voyait dans ce changement de système politique que les opportunités qu’elles offraient. Ainsi, la politique qui est ce noble métier de gérer les affaires de la cité est devenue le raccourci pour sortir de la misère matérielle. Ainsi tout le monde se rua dans la politique. Pour permettre cela, on foula au pied les principes aristocratiques du pouvoir qui voudraient que ceux qui définissent la direction générale et morale du pays soient issus de la haute société, c’est-à-dire des personnes avec de hautes valeurs morales et intellectuelles. Cette situation créa les conditions pour le foisonnement d’une classe politique se caractérisant par la vulgarité dont l’ambition primaire est la satisfaction des besoins bassement matériels. Le débat d’idée qui est à la vie politique ce que la sève est pour l’arbre, ne dura que le temps d’une rose, les premières années du régime d’Alpha Oumar KONARE. Les partis politiques sans base idéologique, sans doctrine prolifèrent au gré des scissions au sein des premiers partis politiques. Progressivement, l’argent remplaça les idées dans le jeu politique malien. Tout le peuple a vu lors des dernières élections législatives de mars et avril 2020, que l’argent est devenu le programme politique des partis.
Cette classe politique pour exister à travers les régimes successifs a érigé la médiocrité, la corruption en norme. Progressivement les rares hommes politiques qui ont de la vision, des valeurs à défendre furent éjectés du système. Idem pour l’administration publique. C’est ainsi que, le champ libre fut laissé à une classe politique de basse qualité qui ne se battent pas pour laisser quelque chose à la postérité, mais pour l’accès aux ressources du pays. Avec le régime d’ATT, on sonna la fin des oppositions idéologiques en inventant la démocratie consensuelle qui se caractérise par l’absence d’opposition. Les oppositions se résumant à lutte d’accès au « plat national » comme dans le règne animal.
Progressivement, on assiste à l’arrivée des personnes sans personnalité à des hautes responsabilités publiques de telle sorte que l’imaginaire populaire au Mali, le mot politique renvoie à la tricherie. Ainsi l’ère démocratique au Mali, consacra le triomphe de la médiocrité dans tous les sphères de la vie nationale. Cette classe politique en débarrassant progressivement la société des valeurs morales, en faisant la promotion des personnes sans aucun mérité, a ôté au peuple tout envie de se réaliser par des combats nobles. Avec une telle classe politique, la situation actuelle du Mali était prévisible. Une classe politique sans idéale ne peut conduire son pays qu’à l’abîme.
Une classe intellectuelle sans intellectualité
Norbert ZONGO nous rapporte du journal le Monde du 14 janvier 1994 qu’« il n’y pas de démocratie sans vrai contre-pouvoir critique. L’intellectuel en est une première grandeur ».
Cette assertion nous amène à nous interroger sur le rôle des intellectuels maliens dans la marche de la société. Les intellectuels, le Mali n’en manque pas. Ces maitres de la pensée, on en trouve encore au pays de Amadou Hampaté BAH. Mais où sont-ils au moment où le pays a besoin de leurs intellectualités ?
Le rôle de l’intellectuel est d’éclairer la masse avec son savoir afin qu’elle puisse emprunter la voie qui le mène à son bien-être. Que les régimes successifs n’aient pas de projet de société pour des raisons sus évoquées, cela est logique et se comprend vu la qualité de la classe politique. L’incompréhension, elle vient de l’incapacité des intellectuels à critiquer, à proposer des solutions pour résoudre les problèmes qui minent la nation. Cette démission des maîtres de la pensée compromet l’avenir du Mali plus que la faillite des politiques. L’histoire récente du monde nous enseigne que les nations qui avancent, qui dictent la conduite du monde, sont celles où la production intellectuelle est dense. Au pays de Hampaté BAH, de Seydou Badian, on ne publie plus!
Cette démission peut s’expliquer par deux raisons : la paresse intellectuelle et la peur qu’inspire la pauvreté matérielle. Ainsi l’intellectuel malien renonce à son intellectualité, donc à la marche de l’histoire de son pays.
Les intellectuels, où les retrouvent on ? Pas dans les amphithéâtres ou dans les laboratoires, mais dans les états-majors des partis politiques, dans les couloirs et antichambres des régimes. Ils se sont conformés aux normes édictées par la classe politique : seule valeur sociale= argent et seule honte= pauvre.
La politique étant désormais érigée en emploi très lucratif, gain facile, les intellectuels ont mis leur matière grise au service du politique pour se conformer rapidement à la première norme de la nouvelle société : être riche. Les quelques rares téméraires d’entre eux qui ont voulu prendre une plume d’inquisition ont été découragés par les premiers qui ont rejoint les égouts de la politique politicienne. Pour les convaincre, ce ne fut pas compliqué. Les gains financiers, matériels, les prestiges liés au poste politique malhonnêtement acquis furent exhibé pour appâter ceux qui ont voulu mettre leurs savoirs à la disposition du développement du pays. Les derniers résistants ont cédé face à la seconde norme qui est la pauvreté matérielle devenue entre-temps une honte.
C’est une pauvreté subie qui est une honte, mais une pauvreté assumée est une force qui aide à sortir de la misère par le travail qu’elle impose.
Dans ce Mali démocratique, la valeur d’un intellectuel ne se mesure plus par le nombre et la qualité de ses productions intellectuelles, mais par le nombre de maison, de voiture, la cherté de l’école des enfants, les marques de vêtements de madame. Que sais-je encore ?
Une masse populaire fataliste
Que peut-on attendre d’une masse populaire dans un pays où les éléments les plus en vue (intellectuel, artiste..) se prostituent pour de l’argent ? De prime à bord, pas grande chose.
La classe politique en faisant la promotion des anti valeurs à contribuer au moutonnement du peuple. Ce peuple jadis, travailleur, brave, pétrit de valeurs cardinales a cédé aux cris de prédations des nouveaux maîtres du pays. Pour embarquer le peuple dans leur projet funeste, l’homme politique, à défaut de projet de société, fait croire au peuple que son adhésion au parti sera rétribué par une garantie de l’impunité. C’est ainsi que les masses adhèrent au processus politique sans rien comprendre.
Progressivement, le peuple a compris que la démocratie, les élections, est un marché de dupe où il faut prendre sa part. Cette mentalité des masses a renforcé le rôle de l’argent dans le jeu politique. Dès lors, les élections au Mali sont devenues une affaire d’argent et non de proposition de projets de société au peuple.
Ainsi, les élections au Mali sont devenues un marché, où l’offre et la demande fixent le prix selon les principes de la pensée néoclassique économique. La paupérisation généralisée de la population, couplée à l’érosion des valeurs morales, à la suite de la mauvaise gouvernance des classes politiques, a dépourvu le peule de sa capacité de sanction lors des élections. On vote pour le plus offrant. C’est ainsi qu’on se retrouve avec une démocratie de façade, une démocratie chiffonnée, frelatée.
Des leaders religieux en embuscade
La nature a horreur du vide dit l’adage. Cela trouve toute son expression dans le landerneau politique malien. La démission de la classe politique et intellectuelle laissa la place aux religieux.
La séparation des pouvoirs n’est plus une réalité au pays de Soundjata KEITA. Et curieusement, ce n’est pas la faute des religieux, mais des politiques qui devraient être les garants de ce principe sacro-saint de la démocratie.
L’avènement de la démocratie avait suscité un grand espoir dans le pays. Le peuple y croyait et voyait aux hommes politiques des acteurs du développement. Le théâtre qu’offre chaque jour la classe politique a fini de décourager les populations qui se sont tournées vers les religieux.
Personne ne peut contester aujourd’hui l’influence grandissante des religieux dans le jeu politique national. Cette influence s’est faite progressivement sous la conduite du Haut Conseil Islamique sous la houlette de l’Imam Mahamoud DICKO. Ne s’en cachons pas, la force des religieux c’est l’échec des politiques.
De plus en plus, certains leaders religieux, plaident pour un islam politique au Mali. Est-ce bon ou mauvais pour l’avenir du pays ? Je ne saurais répondre. Tout compte fait, ils sont incontournables aujourd’hui dans la politique, puisque à chaque élections les politiques sollicitent les voix des électeurs à travers les chefs religieux. Ces 10 dernières années, tous les grands rassemblements à Bamako qui ont marqué la mémoire collective, ont été organisés par les religieux. D’ailleurs la marche du 05 juin prochain, est entrain d’être débattue sous leur influence.
En guise de conclusion
Il ressort des raisonnement ci-dessus, que la crise multidimensionnelle qui menace le Mali trouve son explication dans une crise de leadership. Ce sont les causes apparentes de la crise qui ont été évoquées par les initiateurs de la marche du 05 juin pour demander la démission du Président de la République. Cela revient à cristalliser la crise sur la personne du Président, d’où l’absence de débats d’idée autour de cette marche. Certes un pays doit marcher, se battre, mais cela doit se faire autour des idéaux et non des personnes. Cela ne résoudra pas la crise qui nous menace.
La solution, il faut un leader au sens propre comme au figuré pour le Mali. Un leadeur, un vrai, pas un chef, mais un leader qui travaillera pour le peuple, qui lui tiendra la main pour traverser cette zone de turbulence. Oui, nous cherchons ce leader, qui définira la direction générale et morale du pays. Ce leader qui conduira d’une main de maitre la lutte que le peuple mènera pour assurer son existence. Oui ce leader, qui fixera le gap, qui définira l’idéal pour lequel nous nous battrons. Oui, nous cherchons ce leader qui saura récompenser le mérite avec déférence, et qui saura aussi sanctionner avec fermeté quand il le faudra.
Bamako, le 04 juin 2020
Mamadou SATAO
Environnementaliste
Merci á l’auteur pour l’effort d’analyse.
J’aimerais ajouter le suivant. Il existe entre les politiques, les intellectuels et meme le bas peuple (y compris les religieux) un dénominateur commun: l’absence de l’amour pour le bien commun, la patrie. Je n’accuse ici personne pour cet état de fait mais la société dans son entiereté. Le pays doit faire un gros effort pour la formation du CITOYEN qui comprendra que plus l’ensemble est fort, plus l’individuel s’en sort fortiflé. C’est le cas dans les pays avancés oú n’importe quel idiot se sent fort parce que son pays est fort.
Au Mali, notre culture prone le culte de la personalité, de l’individuel. Et cela, meme dans nos mythes. Par exemple, quand on évoque Soundiata, on n’oublie presque qu’il n’était pas seul dans la reconquete du Mali des mains de Soumangourou. Il en est ainsi meme au sein des familles oú le “fadén ya” prime les rapports internes. Ainsi, au lieu de se donner la main pour ériger une famille forte et résistante, chacun veut etre l’étoile qui fera briller la famille dans le firmament.
Pour conclure, l’auteur de cette analyse pertinente finit lui aussi dans le piege en allant chercher UN leader pour le Mali, donc pronant lui aussi le culte de l’individuel. Non, Satao, le Mali actuel n’a pas besoin d’UN leader, mais d’un GROUPE de leaders, d’une équipe, agissant de facon synergique, tous impregnés d’un amour profond pour leur bien commun, leur patrie.
Encore une fois, merci pour l’analyse.
Il faut apprendre tes lecons d’histoire car nous avons eu un empire du Ghana au Mali deja au 6eme siècle et le Mande, le Songhoi ou le Wasulu etaient tous des empires, donc un ensemble de royaumes et une forme de partage de pouvoir, le Mali que tu decries n’est pas le Mali que nous connaissons!
Quelle belle analyse.
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