Au Mali, où le terrorisme semble avoir pris naissance en Afrique de l’ouest, ce sont les frustrations créées par les inégalités sociales et les différences entre les niveaux de développement des régions qui ont conduit à l’extrémisme violent et à la radicalisation.
Le combat contre le terrorisme est revenu au centre des débats depuis l’attaque meurtrière perpétrée le 08 février 2022 au Bénin contre la zone dénommée ” Point triple “, située non loin des frontières du Niger et du Burkina Faso. Cette énième attaque terroriste contre le Bénin, après celles du parc de Penjari le 1er mai 2019 et de Porga le 02 décembre 2021, a sonné le tocsin de la mobilisation générale contre le terrorisme. Déjà, le 09 novembre 2021, le Togo a signalé que son poste situé à Saloangan dans le Kpendjal, proche de la frontière du Burkina Faso, a été attaqué par des terroristes, et quelques années plus tôt, le 13 mars 2016 précisément, la station balnéaire de Grand-Bassam a subi une attaque ignoble, qui a indigné le monde. Ces événements qui ont endeuillé les populations des pays concernés sont révélateurs de la décision des groupes terroristes présents dans le Sahel d’étendre leurs tentacules vers les pays du Golfe de Guinée. Ces groupes ont réussi le tour de force de casser le mur de séparation qui les confinait dans le désert pour pénétrer dans les pays de la côte.
Il y a quelques années, les États côtiers d’Afrique de l’ouest voyaient le terrorisme comme un phénomène inhérent au pays du Sahel, qui sont constitués de populations à majorité musulmane. Perçu comme une perversion de l’islam, eu égard à la phraséologie qui était utilisée pour le présenter, surtout par les milieux occidentaux, le terrorisme en Afrique se résumait à un fléau des pays de grandes communautés musulmanes. Les faits n’ont pas tardé à démentir cette croyance et prouver que le terrorisme est un phénomène mondial. Son intrusion dans les pays côtiers d’Afrique de l’ouest a suscité un tollé et mobilisé l’ensemble des décideurs autour de l’éternelle question que se posait Lénine : “Que faire ? ”
Combattre l’extrémisme violent, la principale source du terrorisme
Le terrorisme est un phénomène composite dont la manifestation est la violence contre les personnes et les biens. L’une de ses principales composantes est l’extrémisme violent. De l’avis des spécialistes, il est impossible de vaincre le terrorisme si l’on ne s’attaque pas à l’extrémisme violent, d’autant que les doctrines extrémistes sont la principale source du phénomène.
En effet, l’extrémisme violent fait référence au processus selon lequel une personne adopte des points de vue radicaux qui se traduisent par des comportements violents. La pensée radicale devient une menace pour la sécurité lorsque des citoyens ou des groupes préconisent la violence ou y recourent pour promouvoir des opinions idéologiques, religieuses et même politiques. Dans le contexte du terrorisme, c’est l’extrémisme religieux qui est en cause, puisqu’il procède d’une exégèse spécieuse et déformée de l’islam. L’extrémisme religieux soutient que le meurtre ou l’assassinat n’est pas un crime et que c’est plutôt du “Jihad “, c’est -à-dire la mise en œuvre d’un ordre divin qui conduit au paradis et rapproche son auteur d’Allah. Nourri par cette pensée, l’extrémiste religieux n’hésite pas à poser des actes criminels pour tuer des innocents et détruire des biens. Pourtant, ce sont des personnes normales comme tout autre qui deviennent terroristes parce qu’ils auront reçu et accepté les dogmes de l’extrémisme violent.
L’extrémisme violent est une menace pour les pays d’Afrique de l’ouest qui lui offre un terreau fertile du fait des nombreux maux qui y ont cours : la mal gouvernance, l’absence d’état de droit, les violations des droits de l’homme, la pauvreté, les injustices… A ces maux, qui sont la conséquence de l’échec des politiques publiques, il faut ajouter les problèmes structurels que sont les conflits ethniques et communautaires, les replis identitaires, les litiges fonciers, les problèmes de chefferie, la transhumance des éleveurs peulhs, bref, une kyrielle de problèmes auxquels les États n’ont pas apporté de réponse. Tous ces maux qui minent l’Afrique de l’ouest exposent ses États à l’extrémisme violent et par ricochet, au terrorisme. Les extrémistes violents exploitent les circonstances et les incuries de l’État pour s’implanter et créer ce que le Conseil de Sécurité des Nations Unies a appelé, dans le cas du Sahel, un “Arc d’instabilité.”
Il existe deux facteurs pouvant conduire à l’extrémisme violent : les facteurs poussant et les facteurs attirant. Les facteurs poussant sont ceux liés à l’environnement social, notamment la pauvreté, le chômage, l’injustice, la corruption, l’exclusion et l’existence d’institutions radicales incitant à la violence. Les facteurs attirant sont toute institution religieuse (mosquée, médersa, média de masse…), personne influente par sa situation matérielle ou leader qui peut faire miroiter des intérêts pour attirer les citoyens vers sa cause et les amener à la défendre par la violence. Par ailleurs, il est impossible de passer sous silence, lorsqu’on veut identifier les causes de l’extrémisme violent, la diabolisation de l’islam par l’Occident Judéo-chrétien. Depuis toujours, l’Occident a manifesté une certaine hostilité à l’islam qui entretient une cohabitation difficulteuse avec le christianisme. La discrimination et l’ostracisme dont sont victimes les musulmans vivant en Occident, les railleries et parfois même les blasphèmes auxquels se livrent les médias contre l’islam sont autant de choses qui poussent à la radicalisation et à l’extrémisme violent. Une certaine élite politique occidentale (cas d’Éric Zemmour, candidat à l’élection présidentielle du mois d’avril 2022 en France) n’hésite pas assimiler l’islam à l’islamisme.
L’extrémisme violent est la vermine des sociétés africaines qui, au regard de leur environnement social délétère, constituent un réceptacle pour les idéologies extrémistes et un cadre de recrutement pour les groupes radicaux et terroristes. D’ailleurs on signale des ressortissants des pays côtiers dans les groupes terroristes qui opèrent dans le Sahel.
La bonne gouvernance et l’Etat de droit : le vrai combat contre le terrorisme
Le tout sécuritaire ne peut vaincre le terrorisme ! Cette assertion est validée par tous ceux qui réfléchissent sur les réponses à donner au terrorisme. Dans une déclaration datée de mai 2013, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a dit : “le terrorisme ne sera pas vaincu par les forces militaires ou de sécurité, les mesures de maintien de l’ordre, et les opérations de renseignement à elles seules…” Or, ce à quoi on assiste en Afrique de l’ouest, c’est le déploiement systématique de militaires dans les zones qui sont infestées par les actes terroristes. La solution militaire est privilégiée par les États, pour ne pas dire qu’elle semble être pour l’instant la seule qui est préconisée. Toutes les autres approches leur paraissent difficiles, voire impossibles à mettre en œuvre. Pourtant, tout le monde sait que le terrorisme a germé sur le terrain des frustrations, lesquelles sont le produit des injustices et des revendications non satisfaites. Le déni des droits politiques fondamentaux et des libertés civiques, la répression des citoyens par l’État, la perception que les gouvernants sont illégitimes, l’impunité dont jouit l’élite dirigeante, les conflits non réglés, les espaces du territoire mal gouvernés, toute chose qui pousse les citoyens à la radicalisation.
Au Mali, où le terrorisme semble avoir pris naissance en Afrique de l’ouest, ce sont les frustrations créées par les inégalités sociales et les différences entre les niveaux de développement des régions qui ont conduit à l’extrémisme violent et à la radicalisation. Les émirs du terrorisme au Mali étaient connus comme des citoyens ordinaires. Iyad Ag Ghali, le chef d’Ansar Dine, était un personnage ordinaire avec lequel les autorités politiques discutaient pour trouver une solution à la question de l’Azawad. Amadou Koufa, le chef de la Katiba du Macina, était un bon peulh qui s’est radicalisé parce que, disait-il, sa communauté subissait beaucoup d’injustices et l’État malien ne faisait rien pour les réparer. Il en est de même pour tous les jeunes sans perspective, qui se laissent recruter par les groupes terroristes. Aujourd’hui, la majorité des États d’Afrique de l’ouest, de par leur gestion, sont des terrains d’éclosion du terrorisme. C’est du reste la raison pour laquelle ceux qui cherchent des solutions au phénomène soutiennent qu’il faut accompagner la solution militaire, qui est bien sûre recommandée par l’urgence, de changements politiques, institutionnels et structurels qui supprimeraient les nombreuses sources de frustration et de déception des citoyens.
Dans la même déclaration de mai 2013, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a souligné que : “le besoin de remédier aux conditions qui favorisent la propagation du terrorisme, y compris, sans toutefois s’y limiter, d’un renforcement des efforts en vue de la prévention et de la résolution pacifique des conflits prolongés, de la promotion de l’état de droit, de la protection des droits humains et des libertés fondamentales, d’une bonne gouvernance, de la tolérance et de l’inclusion. ” De ce point de vue, il appert que le combat contre le terrorisme en Afrique de l’ouest passe surtout par la bonne gouvernance et l’état de droit. La menace terroriste met en péril les États, dans ce cas, elle doit mobiliser les élites (politiques, intellectuelles et commerçantes…) et rassembler les populations dans un combat unitaire, au-delà des opinions politiques et des désaccords.
Fulbert Sassou ATTISSO*
Écrivain et consultant en communication