L’Ukraine est un Etat situé à l’Est de l’Europe, partageant plusieurs frontières avec la Fédération de Russie. Jadis, membre de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, elle proclame unilatéralement son indépendance en Août 1991. C’est le début d’une série de crise politique et économique qui va profondément diviser les populations de l’Ukraine, dont la plus récente et la plus grave a constitué dans une certaine mesure la toile de fond de toutes les autres : la déchirure entre les fanatiques « europhiles » et les fanatiques russophiles.
Causes de sa métamorphose
Le 21 Novembre 2013, le président élu Viktor Yanukovych sursoit à la signature d’un Accord de libre-échange et de Coopération avec l’Union européenne, au profit d’un partenariat économique plus avantageux avec son grand voisin de l’Est, la Russie, qui lui proposait un appui financier de loin plus important. Au nom de l’intérêt national, pouvait-il mieux faire ?
Les gouvernements européens se sont mis en branle. Comme à l’accoutumée, les medias occidentaux se rangent sur la première ligne, pour diaboliser ce revirement de position d’un Etat souverain qui ne peut-être mû par son intérêt national mais, doit forcement subir les pressions insupportables et inacceptables du grand diable de la Russie.
En conséquence, les opposants politiques de Yanukovych réussirent à mobiliser leurs partisans pour occuper la grande place Maiden de la Capitale Kiev, non seulement pour dénoncer ce rapprochement et la vie chère mais surtout pour réclamer la démission du Président. Au cœur de ce mouvement et de cette radicalisation, des partis nationalistes nazis antirusses, le Svoboda et le Right Sector, usent de la violence contre la police chargée de les disperser à coups de matraque et de gaz lacrymogènes. Des blessés des deux côtés. Les partisans de Yanukovych, les prorusses, se mobilisent dans les régions. Les positions se radicalisent davantage. Plusieurs hauts responsables européens et américains, notamment le chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton et le sénateur américain John McCain, profitent de visites de travail pour aller s’afficher aux côtés des manifestants de Maiden en signe de solidarité. Le 5 décembre 2013, lors de la « U.S.-Ukraine Foundation Conference » à Washington, une Assistante du Secrétaire d’Etat américain Victoria Nuland se félicitait d’avoir mobilisé 5 milliards de dollars pour « construire les qualités démocratiques et les institutions en Ukraine ».
En Janvier 2014, les manifestants occupent plusieurs établissements publics dont le ministère de la justice. La confrontation avec la police est à son paroxysme. On déplore des morts. En février, des tireurs embusqués tirent à balles réelles sur la foule des manifestants et la police. Des dizaines de morts. L’opposition et les gouvernements occidentaux accusent aussitôt le gouvernement de Yanukovych d’être responsable. Des chefs d’Etat occidentaux réclament officiellement son départ.
Le 22 février, pour échapper à un coup d’Etat, le président quitte la capitale pour se réfugier à Kharkiv, à l’Est du pays. Quelques heures après, sous le contrôle des milices de l’opposition, le parlement ukrainien vote un acte de destitution du Président qui crie au coup de force et demande à ses partisans de se mobiliser. Le parlement nomme un gouvernement de transition dirigé et dominé par les membres des partis extrémistes, aussitôt reconnu par les capitales occidentales et rejeté par Moscou qui réclame le respect de l’ordre constitutionnel et l’organisation d’élections anticipées. Une des premières actions de ce gouvernement de transition a bien été de vouloir bannir les langues officielles minoritaires dont le russe. Partout dans les grandes villes de l’Est et de l’Ouest, et même dans la capitale les partisans de Yanukovych et les russophiles se soulèvent et protestent. On commence à parler de la partition du pays. En Crimée, où la réaction est particulièrement virulente, le parlement local exprime son intention de déclarer son indépendance de l’Ukraine, et d’appeler la population locale dont la majorité sont russes à un referendum pour son intégration à la Russie.
Le 5 Mars 2014, des membres des services de renseignement ukrainiens restés fidèles à Yanukovych mettent en ligne une conversation téléphonique, interceptée le 25 février entre Catherine Ashton et le ministre estonien des affaires étrangères Urmas Paett, où ce dernier explique que le snipper responsable des meurtres de civils et de policiers à Maiden vient du camp de l’opposition. Cette révélation affaiblit davantage la crédibilité des nouvelles autorités de Kiev.
Pourquoi la Fédération de Russie a laissé faire ?
Les russes ont une base militaire navale à Sébastopol, en Ukraine bien avant son indépendance, qui, au nom de leur accord de défense de 1997, peut recevoir jusqu’à 25000 soldats russes. Ils avaient les moyens d’intervenir directement ou indirectement pour maintenir Yanukovych au pouvoir. Pourquoi ne l’ont-ils pas fais ? Pourquoi d’ailleurs ce dernier ne les a-t-il pas appelé au secours pendant qu’il était encore à Kiev « pour sécuriser les institutions publiques contre les milices armées nazies »? Nous avons un précédent très récent au Bahreïn qu’ils pouvaient bien instrumentaliser, où la monarchie au pouvoir a eu recours aux forces extérieures de ses voisins arabes pour se protéger contre le soulèvement populaire. Les arguments juridiques n’auraient pas manqué.
C’est que dans cette situation provoquée par l’Occident, les russes y voyaient une opportunité pour corriger ce qu’ils considèrent comme une erreur historique : reprendre la Crimée à l’Ukraine et renforcer la Fédération. Les occidentaux ont été pris cette fois-ci à leur propre jeu.
La sécession de Crimée
Depuis son transfert par la Russie à l’Ukraine en 1954, la Crimée était une région autonome qui aura son propre parlement et sa propre constitution. Sa déclaration unilatérale d’indépendance le 11 mars dernier et sa volonté d’organiser un referendum sur son rattachement à la Fédération de Russie ont été jugées d’illégales vis à vis du droit national et international par les occidentaux. Qu’en est-il vraiment ?
Vis à vis du droit national
Il faudrait étudier le contenu des constitutions nationale et locale. In abstracto, on peut bien concevoir que cette déclaration ne puisse être valide qu’avec l’approbation du pouvoir central. Pour les criméens et les russes ce pouvoir est toujours incarné par Yanukovych qui, faut-il le rappeler, n’a pas démissionné; alors que pour les occidentaux ce sont les nouvelles autorités de fait à Kiev.
D’un point de vue strictement juridique, ce qui s’est passé à Kiev est un changement anticonstitutionnel qui ne peut légalement s’imposer aux populations que par l’épreuve de la force et un artifice juridique référendaire de légitimation.
Vis à vis du droit international
Ainsi que l’a rappelé le président Poutine le lundi dernier dans son discours devant la Dumas et un pléthore de hauts fonctionnaires de l’Etat, la Cour internationale de justice dans son avis consultatif du 22 juillet 2010 sur « la conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo » a constaté « une absence d’interdiction des déclarations d’indépendance suivant la pratique des Etats », « un droit international ne comportant aucune interdiction applicable aux déclarations d’indépendance » (Paragraphe 79 version anglaise). Elle tire une conclusion de cette réalité en affirmant que « le droit international, en matière d’autodétermination, a évolué pour donner naissance à un droit à l’indépendance au bénéfice des peuples des territoires non autonomes et de ceux qui étaient soumis à la subjugation, à la domination ou à l’exploitation étrangères ». Par ailleurs, l’argument selon lequel la déclaration d’indépendance violerait l’intégrité territoriale de l’Ukraine ne peut être que politique. La Cour démontre que ce principe du respect de l’intégrité territoriale ou du respect des frontières ne s’applique qu’aux relations interétatiques, pas aux populations vivant sur un même territoire. Ce qu’elle ne traite pas, ce sont les conséquences juridiques ou politiques d’une déclaration d’indépendance ou les motivations politiques la sous-tendant. Il se pourrait donc qu’une déclaration d’indépendance soit valide selon le droit international general et ne pas produire d’effet juridique par manque de reconnaissance politique. Dans ce cas l’acte devient caduque de lui-même.
La reconnaissance politique n’étant pas obligatoire, elle n’établit des rapports juridiques qu’entre ceux qui y consentent. Dans le cas qui nous concerne, seule la Fédération de Russie a reconnu l’indépendance de la Crimée et a considéré sa volonté d’intégrer la fédération à l’issue du référendum du 16 Mars comme une décision souveraine.
Désormais, ceux qui s’adresseront à l’Etat de la Fédération de Russie, s’ils n’ont pas au préalable expressement exprimé leur désaccord avec ce rattachement, traiteront avec elle dans ses nouvelles frontières. Le problème qui se pose à ceux qui ont dis ne reconnaitre ni l’indépendance de la Crimée ni son rattachement, c’est leur capacité économique, politique et militaire à défaire le fait accompli par une superpuissance mondiale. Le combat n’est plus au plan juridique, en fait ne l’a jamais été, sinon rien empêche les nouvelles autorités de Kiev d’essayer de saisir la Cour internationale de justice pour désavouer ce rattachement, ne serait-ce que symboliquement. Mais ce qui est réellement en jeu dépasse Kiev, nous sommes face à l’enclachement d’une bataille des titans.
Les perspectives
Les sanctions économiques et politiques ne marcheront pas à long terme contre la Fédération de Russie. Elle fait partie de l’alliance des BRICS. Elle possède son propre marché de libre-échange avec certains de ses pays voisins. C’est une superpuissance mondiale qui a des alliés sûrs dans les pays révolutionnaires de l’Amérique latine, tels que la Bolivie, le Vénézuéla, l’Equateur et l’Argentine, en Asie telle que la Chine, au Moyen Orient tel que l’Iran, et des alliés de second dégré en Afrique où les pays ont une tradition fort intelligente de non-allignement dans ces genres de situation. Ces sanctions, si elles perdurent renforceront les liens entre la Fédération de Russie et ses alliés sûrs. Même si la Russie décidait de ne pas riposter, ces sanctions seront contre-productives pour l’Occident qui vit toujours une crise économique. Des sanctions plus dures n’ont jamais produit les effets escomptés contre l’Iran, ce n’est pas la Russie qui en mourra.
Une action militaire indirecte à travers la création ou le renforcement des mouvements de dissidence en Crimée ou Tchétchénie peut être tentante. Mais la Russie a démontré par le passé sa barbarie étouffante pour de telles subversions. Elle fera ce qu’il faut.
Maintenir une atmosphère de menaces et de peur autour de la Russie, créer de fausses images de recession économique pour détruire la confiance des ménages russses en leur économie et espérer une implosion de l’intérieur, cela est une option qui n’a pas une grande chance de réussir.
La seule solution viable à cette crise est de négocier une reconnaissance par la Russie des autorités de Kiev. Car la Crimée et Sébastopol sont perdues pour de bon, c’est une question qui dépasse en ce moment le president Poutine lui-même et le parlement, c’est une affaire de conscience nationale pour tous les russes.
Ces négociations peuvent porter sur l’abandon des sanctions contre cette reconnaissance et le respect du partenariat euro-ukrainien mais, l’on doit éviter toute tentative d’instauration de base de l’OTAN en Ukraine, susceptible de saboter tous les efforts de pacification. Cependant, ce que les néoconservateurs risquent d’imposer à Obama, c’est d’attaquer un allié de la Russie en guise de représailles punitives.
Mahamadou Konaté (R.I.)
amanna@gmx.fr
Tres bon article. J’espere seulement que c’est pas du plagiat, sinon j’aurais aime que l’on traite de la situation au Mali avec des informations verifiables et instructives comme c’est le cas avec cet article.
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