Le juriste novice, que nous sommes, a toujours appris à se remémorer le caractère sacro-saint de la pyramide des normes. Aussi, face aux entorses flagrantes à la Constitution, nous ne pouvons-nous empêcher de questionner l’ordre nouveau établi.
La Constitution malienne a été suspendue à la suite du coup d’État de 2020. Ce n’était pas la première fois et ce ne sera nullement la dernière. On ne le souhaite pas mais les pays d’Afrique de l’ouest n’arrivent toujours pas à tirer des leçons de l’histoire. Donc l’histoire a tendance à se répéter. Mais ils ne tiennent qu’aux peuples concernés de briser cette malédiction.
A chaque fois que la Constitution est écartée, naît une charte de Transition, un texte dont la place et la portée dans l’ordonnancement juridique demeurent indéterminées et indéterminables. Des tentatives savantes ont été faites, par des juristes proches du pouvoir en place, pour convaincre. Mais l’illégalité de l’acte qui a causé la suspension de la loi fondamentale, fait douter de toutes les explications avancées. On soulignera, au passage, que l’article 45 du Code pénal qualifie de criminel le type d’acte qui a permis de remettre en cause un gouvernement légalement investi. Mais, pour des raisons de paix et de cohésion sociale, une loi d’amnistie a été votée.
Elle permet de pardonner le crime commis et autorise les auteurs à poursuivre, au nom du peuple, le combat qu’ils ont initié. Là encore, le juriste s’interroge sur la portée exacte de cette loi. Un texte sur mesure, qui demeure contraire au caractère impersonnel de la loi. Mais son objectif est noble. Le peuple accepte de pardonner ses libérateurs pour les écarts commis. Le peuple, en souverain, décide et sait ce qui est bon pour lui. Mais le texte nouveau ne demeure pas moins une incongruité et de ce fait, il ne peut, de même que les précédents, résister à l’analyse juridique. En effet, comment un parlement, nommé, peut-il valider une loi qui va amnistier les auteurs d’une telle entorse à la norme suprême ? Les constitutionnalistes peuvent toujours tenter de donner des excuses en guise d’explication. Mais les faits sont têtus.
Ensuite, la nomination des membres du CNT, un parlement issu d’un décret présidentiel, ajoute au désordre juridique. Mais nul ne s’offusque car la nécessité d’instituer un semblant d’équilibre institutionnel (avec des pouvoirs apparemment séparés) a prévalu sur les impératifs de légalité. Le premier décret portant révision de la charte et extension de la durée de la Transition, a marqué, plus encore l’histoire constitutionnelle du pays. C’est le pouvoir lui-même qui renouvelle son propre mandat et en fixe la durée, en expropriant le peuple.
Il s’en suivra d’autres textes, notamment celui relatif à la prolongation des mandats des élus locaux. Ce dernier texte est passé comme une lettre à la poste. Les raisons n’échappent à personne. On n’aurait pas pu faire autrement sinon, remplacer les élus en place par d’autres. Cela aurait été cause d’un trouble plus grand. Les partis politiques auraient saisi l’occasion pour tenter de déstabiliser la Transition. Cela nous aurait ramené au point de départ. Ce n’était donc pas souhaitable. Mais le décret ne demeure pas moins une incongruité. Il contredit tout ce que nous savons de la pyramide des normes et surtout il remet en cause le principe selon lequel le peuple seul est habilité à choisir ses représentants.
Enfin, le 06 juin 2022, un nouveau texte a été publié, il décrète la poursuite de la Transition pour 24 mois. On en comprend les raisons. Mais son analyse juridique perturbe le juriste et les légalistes. Comment l’insérer dans l’ordonnancement juridique sans faire fi de la Constitution ? Si cette dernière n’a plus sa raison d’être, sommes-nous toujours dans un État de droit ? Ces interrogations sont d’autant plus pertinentes que c’est la Constitution qui garantit nos libertés fondamentales et maintient l’ordre et la cohésion sociale. Mais nous sommes bien placés pour savoir que le juridisme a des limites. Il ne saurait prévaloir sur les raisons d’État et cela est d’ailleurs paradoxal. En effet, l’État doit garantir la légalité et non constituer le fruit infecté. Le juridisme ne peut non plus résister au pouvoir souverain du peuple qui confère aux lois leurs portées.
En conclusion : le respect strict du légalisme est une contrainte nécessaire mais d’autres nec9plus impérieuses peuvent expliquer quelques entorses exceptionnelles, pourvu qu’elles ne durent qu’un très bref moment. C’est à cette condition que nous soutenons cette transition qui, il convient de le dire, a impulsé une nouvelle dynamique.
Dr DOUGOUNÉ Moussa
Professeur d’enseignement Supérieur
Consultant Formateur