L’Afrique a-t-elle accepté de faire le sale boulot que la Cour Pénale Internationale (CPI) n’a pas voulu faire : juger Hissène Habré en violation des principes du droit pénal international ? Le marchandage financier qui a précédé la création des Chambres Africaines Extraordinaires (CAE), l’incohérence et l’arbitraire du bricolage judiciaire qui a accouché des CAE, l’impartialité des promoteurs et sponsors du procès contre Habré, ternissent irrémédiablement la crédibilité du procès. Un regard neutre peut y entrevoir une farce internationale destinée à camoufler un complot politico-judiciaire ayant un seul objectif : la TÊTE de Habré à tout PRIX.
Un bricolage juridique qui remet en cause la légitimité des CAE.
S’il ne fait aucun doute qu’il faut juger Habré, la lutte contre l’impunité et la défense des victimes ne sauraient justifier pas une condamnation tous azimuts.
Au niveau de la chronologie judiciaire, la légitimité des CAE pour juger Habré pose problème. En effet, si Habré n’a pu être jugé par la CPI, alors que le Tchad a ratifié le statut de Rome en 2006, c’est parce que la CPI ne peut pas juger les crimes commis avant l’entrée en vigueur de son statut en 2002. La CPI ne peut pas appliquer rétroactivement sa loi pénale. En appliquant la convention internationale sur la torture, le Sénégal n’aurait pu juger Habré que pour des faits qui auraient été commis après le 26 juin 1987, date d’entrée en vigueur de la convention au Sénégal. Or, on veut juger Habré depuis le 7 juin 1982, date de son arrivée au pouvoir. Il fallait donc fabriquer sur mesure une juridiction dédiée à Habré et consorts : on a repris les crimes poursuivis par la CPI pour forger les statuts des CAE. C’est du bricolage.
Au niveau testimonial, les chambres africaines peuvent prendre en compte les résultats des enquêtes tchadiennes sur les crimes commis pendant le régime de Habré. Mais rien n’assure la neutralité de l’actuel régime tchadien à son égard. Accusé d’avoir soutenu des rebelles qui ont voulu renverser le pouvoir, Habré a été condamné à mort en 2008 au Tchad, par contumace, à l’issue d’un procès jugé expéditif. Pour un procès équitable, les CAE ne doivent pas accorder une force probante au dossier formé contre Habré par les enquêteurs tchadiens. Il en est de même des preuves collectées par des ONG comme Human Rights Watch ou la FIDH. Ces ONG ne sont pas des organes judiciaires. Rien ne garantit leur neutralité dans la collecte et l’analyse des documents. Seule une enquête autonome, diligentée par une juridiction régulière, peut assurer les droits de la défense, notamment la présomption d’innocence.
Pendant le procès, qui se veut international, les cas non prévus par les statuts des CAE sont régis par la loi sénégalaise. Après le procès les CAE seront dissoutes de plein droit et ce sera alors aux juridictions sénégalaises de prendre le relais pour trancher les questions futures. Les statuts des CAE sont ainsi entachés d’illégalité, dans la mesure où ils violent la décision de la Cour de justice CDEAO qui a ordonné en novembre 2010 que Habré soit jugé par une juridiction internationale Ad hoc. Au surplus, la logique juridique des CAE est volontairement escamotée : l’incrimination est internationale alors que la procédure et la sanction peuvent relever d’une juridiction nationale. L’Afrique refait la même erreur qu’avec l’OHADA : incriminations communautaires – sanctions nationales. Cette absurdité judiciaire ne garantit pas un procès équitable.
Une coalition politico-financière qui remet en cause l’impartialité des CAE.
La gestation programmée des CAE compromet leur impartialité : Sous la pression de lobbies et de l’Union africaine, le Sénégal a adopté en 2007 une loi pour pouvoir juger les crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, même commis à l’étranger. En 2008, le Sénégal a modifié sa constitution pour déroger à la non-rétroactivité des lois pénales. Le terrain juridique étant ainsi balisé, le Sénégal a signé en 2012 un accord avec l’Union africaine pour créer les CAE et juger Habré. En modifiant le droit sénégalais juste pour juger Habré, on a créé une justice d’exception. Or les justices d’exception ont la vocation négative d’être conçues sur commande pour condamner « un présumé coupable ».
Me Sidiki Kaba, ministre de la justice du Sénégal, est perçu par une partie de l’opinion comme l’avatar d’une inquisition organisée contre Habré. Il aurait tenu les propos suivants, rapportés par la presse : « Si Habré est jugé ici, sa vie sera sauvée car il ne sera pas condamné à mort » ; « Ce procès démontrera sans doute que l’Afrique a la capacité de juger ce bourreau sur son propre continent ». Que reste-t-il de la présomption d’innocence ? Jusqu’à sa nomination il a été avocat des plaignants auprès des CAE. Son rôle au procès en tant que ministre de la justice discrédite les CAE et fait penser à un complot judiciaire pour faire tomber Habré. D’aucuns l’accusent de vouloir dégommer la tête de Habré pour faciliter son ascension vers la direction de la CPI. D’autres disent qu’il est le bras judiciaire d’ONG soucieux de punir ceux qu’elles estiment coupables, au regard de la discipline idéologique qu’elles veulent imposer au monde. Vrai ou faux, avec lui comme ministre sénégalais de la justice, le procès Habré est terni par des suspicions d’impartialité, vu comme injuste et inéquitable.
Le marchandage financier qui a précédé l’accord international pour juger Habré a aussi décrédibilisé le procès. Le fait que l’Etat tchadien, qui a déjà condamné à mort Habré et qui souhaitait se constituer partie civile, soit le principal bailleur de fonds du procès, remet en cause l’impartialité du CAE. En outre, comment expliquer que 560 millions de francs CFA soient consacrés à la communication des CAE auprès des populations ? Une justice légitime et impartiale n’a pas besoin de payer autant d’argent à des cabinets privés pour faire sa promotion et gagner sa crédibilité.
Une inquisition sur mesure qui accable Habré avant même le procès.
Les mécanismes internationaux de répression pénale constituent une fanfaronnade à géométrie variable. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, des juridictions spéciales comme le Tribunal de Nuremberg et le Tribunal de Tokyo ont été instaurées par les vainqueurs pour punir les vaincus. Ces tribunaux ont inspiré la création de la CPI en 1998, qui souffre toujours d’un défaut de légitimité. Elle est souvent accusée d’être une justice pénale pour les dirigeants des pays pauvres : Un ivoirien comme Laurent Gbagbo y est facilement traduit, alors qu’un israélien, un américain, un iranien, un chinois ou un russe y échappe. Lors d’audiences du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie auxquelles nous avons assistées à la Haye, on pouvait être tenté de cautionner la ligne de défense de criminels présumés comme Slobodan Milosevic ou Radovan Karadzic : les justices spéciales sont des outils politiques de règlement de comptes. En effet, on se croirait à un procès de l’OTAN contre d’ex dirigeants serbes. Le procès contre Habré n’échappe pas à cette critique : avec les CAE on croit assister à un procès d’une coalition internationale contre la tête de Habré. Cela met Habré dans une position de victime, alors qu’il est accusé de faits très graves.
Les statuts des CAE posent une incrimination fleuve, avec laquelle on imagine mal comment Habré pourrait être innocenté. Tout a été rédigé pour qu’il puisse être jugé coupable ou complice. Les juges sénégalais n’ont pas besoin de prouver que Habré avait commis, ordonné ou encouragé les crimes qui lui sont reprochés. Il leur suffit de lui imputer les actes de ses subordonnés, en retenant qu’il avait des raisons de savoir que ces derniers s’apprêtaient à les commettre, et qu’il n’avait pas pris de mesures pour les empêcher ou punir les auteurs. Le Tribunal pénal international pour l’ex Yougoslavie avait retenu la responsabilité de Slobodan Milosevic en estimant qu’il était au courant du risque de massacres en Bosnie et qu’il n’avait rien fait pour les empêcher. Les CAE pourraient reproduire le même schéma pour condamner Habré.
Pour juger ses grands criminels présumés et préserver les droits des victimes, l’Afrique devrait mettre en place une juridiction pénale permanente, à la fois compétente pour l’incrimination, l’instruction et le jugement. Cela calmerait les ardeurs criminelles des dirigeants sanguinaires.
Aliou TALL,
Président du Réseau Africain de Défense des Usagers, des Consommateurs et du Citoyen (RADUCC)
Email : raducc@hortmail.fr