Libération des régions du Nord: Halte aux «fous de Dieu» et aux «suppôts de Satan»

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Les concertations et ballets diplomatiques en cours à Bamako, comme à Abuja, Addis-Abeba et New-York augurent de la libération prochaine des régions sous occupation du Nord du Mali. Quelle forme d’administration pour Tombouctou et Gao? Quels rôles pour les communautés qui y vivent? Esquisse d’une embrouille annoncée!

La tragédie du Nord n’est pas encore tombée dans le domaine de l’histoire. Le 17 janvier 2012, des bandes armées ont attaqué des bases militaires à Ménaka, Andéramboukane et Tessalit. Le 20 janvier, les mêmes bandes surprirent et exécutèrent froidement des dizaines de soldats maliens désarmés à Aguelhok. La furie dévastatrice se poursuivra vers Gao et Tombouctou, où elle prit la forme de viols collectifs, y compris sur des mineures, de pillages systématiques des ménages et de casses des commerces. Les attaques ont été revendiquées par le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), une bande armée aux aspirations indépendantistes. Tels sont les faits.

La France, comme le déclarait son MAE d’alors, Alain Juppé, le 7 février 2012, qualifiait ces crimes «d’importants succès militaires» de la rébellion touarègue, invitait les parties à un cessez le feu immédiat et mettait en garde l’armée malienne contre toute réaction disproportionnée. Dont acte. Mais la confiance des Maliens dans l’engagement de la France en faveur de la République venait d’être ébranlée, surtout quand on sait que l’Etat-major politique de la rébellion résidait dans ce pays, sous le couvert de députés français et d’animatrices de certains organes de presse parisiens. Dans cet ordre, la victoire de la gauche a suscité un réel espoir pour une action politique française devant résoudre le problème du Nord du Mali; espoir conforté dès lors que la Résolution 2071, dont on sait qu’elle est en partie un exploit de la France, sera adoptée le 15 octobre et que le lendemain, 16 octobre, le nouveau ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, déclarait  que la libération «n’est plus qu’une question de quelques semaines…» et insistait «… pas plusieurs mois, des semaines».

Il faut dire que cette déclaration sonnait comme un prolongement de la Résolution 2071 … mais plus encore. En deux points essentiels, elle exhorte Bamako à engager le dialogue avec les groupes rebelles et renvoie, pour 45 jours encore, l’examen de la feuille de la CEDEAO pour l’intervention militaire au Nord. Même si la langue de transmission de la Résolution 2071 est le français, il reste que nous contestons la confusion sémantique entretenue pour inviter au dialogue. L’allusion au MNLA comme principale partie à la négociation est claire. Mais tant que le mot terrorisme, selon le dictionnaire français, signifiera «l’emploi de la violence pour atteindre un but politique», le MNLA sera et demeurera un groupe terroriste. Mais l’intelligence diplomatique est là pour réparer cela.

Le rôle d’un nettoyeur, bien illustré au cinéma, est de faire disparaitre toute trace compromettante pour son organisation d’une scène de crime. Nous ne sommes plus dans un film, mais au Nord du Mali, et un nettoyeur est passé sur les scènes des crimes d’assassinats, de viols collectifs et de détricotage du tissu économique par le MNLA. Suivez plutôt: fin août 2012, une délégation de la CPI arrivait à Bamako, officiellement pour «recueillir le maximum d’informations sur les crimes perpétrés par les islamistes et les Touaregs dans le nord du Mali». Patatras, l’on apprend, le 4 septembre 2012 sur RFI, par la voie d’un Mr Emeric Roger, analyste à la CPI et membre de ladite  délégation, que la question que devra trancher la Procureure de la CPI est la suivante: «Les islamistes dans le Nord du Mali ont-ils commis des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité? » Les islamistes? Seulement eux? La vérité est que tout avait été entrepris pour passer les premiers rapports et les premiers témoignages au crible, afin de les expurger de toute allusion au MNLA et des crimes et exactions que cette bande a perpétrés.

La configuration des forces du mal dans le Septentrion malien procède de l’empoignade instinctive des charognards, quadricolores ou noirs à rayures blanches. Le MNLA n’a-t-il pas fait une cour assidue à Ansardine, pour fusionner avec le mouvement de Iyad, avant d’être éconduit? Le même MNLA ne fit-il pas le pied de grue devant le MUJAO, proposant aux salafistes de Gao rien moins qu’un pacte du Diable – au MUJAO le magistère, au MNLA le territoire – avant d’être rabroué? Le coyote quadricolore a été vaincu et froissé, chassé, la queue entre les pattes, recueilli en patient et ami au Burkina Faso, en attendant la création d’un contexte favorable à sa réapparition. Les pourparlers en cours à Ouagadougou ne signifient autre chose que le second round d’une tentative de rapprochement incestueux entre «des fous de Dieu» et «des suppôts de Satan» pour un nouvel ordre dans le Septentrion malien.

Ce nouvel ordre, il faut le craindre, sera «l’autodétermination», à laquelle nous – Songhaïs, Arabes, Bozos, Dogons, Bambaras, Peulhs et Touaregs des régions de Tombouctou et Gao – républicains et laïcs, seront associés sans que nous ayons notre mot à dire. Comme toujours, nous allons être surpris dans notre mutisme porté comme un masque de vertu, emportés par notre adhésion aveugle à la gestion publique de notre destin, jusqu’au moment où un pacte, à la négociation duquel nous n’aurons jamais été associés, en aval, à quai ou en amont, comme les Accords d’Alger de 2006, viendra nous apprendre que nos deux régions sont en position de large autonomie, administrée par des bandits qui ont montré leur expertise dans la gestion des affaires publiques par les crimes ci-dessus évoqués. Dans cette calamiteuse perspective, il nous faut nous mobiliser et, en prime, encourager et préparer notre jeunesse. Autrement, nous sommes à la veille de notre Naqbah – la catastrophe historique en référence à l’exode palestinien de 1948.

Exode comme celui dans lequel des milliers de nos compatriotes ont été jetés au Burkina, au Niger et en Mauritanie, par la haine meurtrière de leurs frères. De paisibles populations qui ne demandaient qu’à vivre en paix ont été déplacées, du fait de la même furie dévastatrice, par milliers à Bamako, Ségou, Koulikoro, Kayes et Sikasso, où elles vivent une odyssée funeste, prenant corps avec la privation et l’humiliation, leur tragédie exposée en foire, dans le but d’un commerce honteux. Aujourd’hui, les plus vulnérables – femmes enfants – vivent un mal endémique contre lequel aucune forme de secours des pouvoirs publics ou des associations n’a été envisagée. Les populations restées sur place sont engluées dans leur sort et traitées comme des exilées dans leur propre pays par les assaillants, et certains de leurs congénères déplacés les accusent même du crime de «félonie», pour vouloir s’offrir comme boucliers humains pour les occupants.

La gestion de la crise depuis Bamako appelle à la mobilisation des communautés du Nord, notamment la jeunesse. L’arsenal politique, associatif et humanitaire érigé et renforcé au fil des événements fut en définitive d’un goût amer, mettant à nu ses limites à la sincérité en même temps que son fatal attrait à la prédation. L’implication du Haut Conseil Islamique tourna à une démonstration de force politique qui cachait mal ses ambitions. Le COREN, noyé dans l’abondance de la solidarité, a remisé la langue à sa vocation originelle d’organe du goût. Devenu gestionnaire de cantine, il a fini le contenu des marmites dès le goûter.  Vous pouvez parier sans crainte que nos députés, comme toujours, vont plébisciter les modalités de mise en œuvre d’une politique scélérate et suicidaire (dont la seule vertu sera de fermer un instant seulement la boite de Pandore,  avec le mode de vote spectacle, digne d’un brevet, qu’on leur connait: les deux mains en triomphe, souvent les pieds aussi, les sourires figé devant l’imminence du flash.

Les groupes d’autodéfense, qui s’étaient distingués lors des précédents conflits, ont de la peine à émerger. Ganda Izo a déposé les armes à Douentza, lorsqu’il fut, au niveau même de la tête, atteint d’une forme pernicieuse du syndrome de Stockholm. Les combattants de Ganda Koy, descendants des vaillants «Faskows ayant le pouvoir de disparaître et de voler dans les airs», semblent avoir troqué les treillis pour des soutanes d’aumôniers, depuis que le mouvement convie les fidèles à des séances de lecture de Coran et de bénédictions pour la libération des régions du Nord. Amen!!!

Il faut que les mouvements d’autodéfense se restructurent et se réorganisent. Il nous faut sortir du confort de nos bureaux et tourner résolument la tête et l’esprit vers nos régions. Il s’agit de s’organiser et de s’impliquer auprès des autorités de transition pour toute initiative visant à libérer le Nord, surtout dans la perspective du choix du mode d’administration de nos terroirs. Notamment, il faut faire preuve de la plus grande vigilance dans la mise en œuvre de ce dialogue, qui peine à définir ses propres contours. Il faut que le gouvernement de transition se mette à l’écoute des populations du Nord, lasses d’être les «dommages collatéraux» de la réalisation de la Nation. Nous attendons que ce gouvernement donne de l’Etat la preuve que son autorité, envers et contre chacun, est implacable.

«Le principe fondamental de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation» est en réalité à géométrie variable, tant qu’un pays suscite des convoitises économiques et géostratégiques pour certaines forces du mal. C’est le cas du Mali … à un niveau insoupçonné. Considérez les énormes potentialités pétrolifères et minières autour de Taoudéni, le volcan revendicatif depuis Kidal, la lave opportunément coulée vers Gao et Tombouctou, et vous comprendrez que la mission de la MISMA, dont rien raisonnablement n’empêchera l’aboutissement, n’est pas une fin, mais un début…

Abdel Kader Haidara

Gestionnaire des Ressources Humaines

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