Excellence Monsieur Le Ministre,
Je m’appelle Souleymane Samaké. Je suis handicapé visuel résident dans le quartier populaire de Medina-coura. J’ai eu l’extraordinaire chance de poursuivre mes études à l’IJA (Institut des Jeunes Aveugles du Mali) pendant mon enfance et mon adolescence. Aujourd’hui je remercie le Tout Puissant de m’avoir octroyé ce privilège. Je dirai même une opportunité qui m’épargne d’être un mendiant dans la rue ou sur la voie publique. Cette opportunité d’être scolarisé m’a ouvert l’esprit sur mes droits et mes devoirs comme le commun des citoyens maliens malgré ma cécité. C’est pour vous signifier tout simplement que je suis loin du sous-citoyen tel que bon nombre pense des handicapés du Mali…
²Dans mon quartier de résidence, je reste un homme actif aux côtés des habitants dans leur combat au quotidien. Je participe aux joies, aux peines de la population comme quiconque en partageant un destin de vie commun avec elle.
Excellence Monsieur Le Ministre,
De nos jours, le quartier de Medina-coura est en ébullition dû à l’existence d’un dépôt de transit des ordures ménagères qui empoisonne la vie des habitants singulièrement des structures scolaires situées à ses alentours. L’existence des dépotoirs n’a pas débuté par mon quartier. Celui de Medina-coura dépasse l’imagination par la quantité de quartiers qui déversent leurs ordures ménagères chaque jour. Il reçoit non seulement les ordures ménagères des 12 quartiers de la commune II mais également de certains quartiers situés en commune I et III du district de Bamako. Cette situation de grande affluence a eu une incidence sur la vie scolaire des trois écoles situées à sa proximité dont le jardin d’enfants, le groupe scolaire Mamadou Diarra N2 et le CFP (Centre Professionnel Soumaoro Kanté). A la fin de l’hivernage écoulé le site a défrayé la chronique et s’est caractérisé par son engorgement. L’insalubrité a atteint le seuil, les ordures ont débordé sur la voie publique et son poids a fini par effondrer le mur de l’unique école publique du quartier. Le collectif ” ambaga siguida fê ” autrement appelé ” Nous aimons notre quartier ” s’est battu contre vents et marées auprès de l’ozone pour réparer les dégâts.
Excellence Monsieur Le Ministre,
Le samedi 15 et le dimanche 16 octobre 2016 le collectif ” ambaga siguida fê ” a organisé deux journées de salubrité dont le but était de nettoyer le site de fond en comble. Cette opération a mobilisé toutes les classes d’âges d’hommes et de femmes partageant les idéaux du collectif. Hormis l’investissement humain, il a loué une pelleteuse, un camion pour livrer 15 voyages de gravats, payé les matériels de travaux publics notamment des pelles, des piques, des râteaux, des cache-nez et de l’eau pour le rafraichissement des bénévoles sous un soleil de plomb. L’opération de salubrité leur a coûté la somme de 500 000F CFA.
Après tous ces sacrifices consentis par les uns et les autres pendant deux jours, le Mardi 18 octobre 2016 un contingent de policiers à bord de deux pick-up ont débarqué au niveau du dépôt pour ouvrir de force le dépotoir qui avait été débarrassé des immondices à la sueur du front des filles et des fils de Medina-coura. Dès lors le trafic des charrettes pleines de déchets a repris de plus bel. L’endroit a encore commencé à se salir. Or, une semaine auparavant les forces de l’ordre ne pouvaient nullement se le permettre car l’endroit regorgeait des ordures biomédicales.
Excellence Monsieur Le Ministre,
Si j’ose vous écrire aujourd’hui, c’est pour vous relater une scène d’abus de pouvoir doublée d’agression verbale à moitié physique et de menace de mort dont je fus victime par les agents de la police malienne. D’une part, j’ai été agressé verbalement pour ensuite subir une agression à moitié physique. Voilà le détail des faits.
Mardi 18 octobre 2016 au matin, quand je livrai ma promenade quotidienne sur le site du dépotoir, mon attention fut attirée par le bruit d’une conversation. Sans chercher à comprendre je me suis rapproché pour en savoir davantage. J’ai alors entendu une conversation entre certains policiers et les charretiers venus déverser des ordures, elle disait ceci :
– Je vous recommande de déposer plainte contre les membres du collectif de Medina-coura. Ils n’ont aucunement le droit de procéder à la fermeture de ce lieu. Votre travail est votre gagne-pain. Vos plaintes sont recevables au commissariat du 3eme arrondissement de police.
A ces mots, j’ai compris que les agents de police manipulaient les charretiers pour créer le conflit. Sans faire de bruit, j’écoutais attentivement la conversation.
Excellence Monsieur Le Ministre,
Pendant que j’écoutais les échanges, quelques policiers sont venus m’entourer, un d’entre eux s’adressa violement à moi en ces termes :
– Que venez-vous cherchez ici ?
Je lui ai répondu calmement que je réside dans le quartier et me promène au quotidien à cet endroit. Il m’a aussitôt ordonné de quitter immédiatement les lieux par ces mots :
– Sachez que je dispose de la capacité d’anéantir votre race. ” Né bissé ki chi la tounou foyi té bo ola “…
– Pour arriver à s’en prendre à moi de la sorte jusqu’à anéantir ma race, vous devriez avoir des capacités extraordinaires. Au fait qui êtes-vous au juste ?
– Je suis votre supérieur ” un fama “.
– Il n’est pas dit qu’un supérieur est doté du pouvoir d’anéantir les gens de basses classes sociales. Sans nous les pauvres, les ” fama ” n’existeraient point sur terre.
Emporté par la colère le Monsieur m’a bousculé sur la poitrine. En ce moment je lui dis :
– Faites très attention aux actes posés. Ils pourront vous coutez chers à payer. Je ne manquerai point de déposer plainte contre vous pour menace de mort chez Monsieur le Procureur de la commune II du district de Bamako.
Excellence Monsieur Le Ministre,
Aujourd’hui plus que jamais vous devriez vous octroyez les moyens pour assainir l’indiscipline effarante qui prévaut dans les rangs de la police malienne. Il serait intéressant de votre part de donner des consignes fermes à votre Ministre chargé de l’intérieur de prendre les meilleures dispositions en vue de revoir la copie du recrutement des agents de la police nationale. Il serait utile de mener de sérieuses enquêtes de moralité avant d’intégrer les uns et les autres dans ce corps de métier où les dérapages et les fautes professionnelles sont devenus monnaies courantes. La sécurité de notre pays doit être placée dans les meilleures mains pour la prospérité du Mali. Avec votre autorisation Monsieur le Président, je suis prêt à vous relatez l’histoire du début à la fin en langue Bamanan de vive voix au cours d’une audience que vous voudriez bien m’accorder.
En espérant que mon courrier retiendra votre attention, je vous prie de recevoir, Monsieur Le Ministre, l’expression de mes salutations respectueuses.
Transcrit par Boubacar Fané
Secrétaire chargé des relations extérieures du Collectif