Un citoyen de Koulikoro interpelle ici les plus hautes autorités de la République et la conscience citoyenne de chaque Malien par rapport aux spéculations foncières qui sont monnaie courante dans la région de Koulikoro. Le ton de son appel est tel que son amour pour sa cité est si fort qu’il demande qu’elle soit purgée des administrateurs qui sont en train de préparer le lit de son malheur.
Aux hauts Décideurs de la République,
Cette présente lettre ouverte s’adresse sans doute à vous, mais elle se veut être également un appel à la conscience citoyenne de tous les Maliens et de toutes les Maliennes. Koulikoro comme Kidal, Ségou comme Tombouctou, Mopti comme Kayes, toutes les localités participent intégralement au destin de la République. Mais parlons de Koulikoro où j’habite et qui est l’objet de mon interpellation publique.
Fière cité fondée le long du fleuve Niger, Koulikoro a jadis été une gloire nationale de part sa position géographique. Un destin exceptionnel a fait d’elle le terminus du chemin de fer Dakar-Niger dont l’épopée fantastique dans la vie des populations riveraines n’est plus à conter. Koulikoro est le point de départ de la navigabilité du Grand Cours d’eau nourricier qui glisse lentement sa générosité sur ses ondes transparentes jusqu’au lointain et si proche port de Kabara, à Tombouctou. De par cette position naturelle, la ville est, en quelque sorte, le cordon ombilical entre le centre et le nord de notre pays. Si l’on considère le rôle éminent que joue le chemin de fer dans l’activité économique du Mali, Koulikoro est le point de jonction même entre l’ouest et l’est, mais aussi entre le sud et le nord de la République. Koulikoro demeure également dans la mémoire collective comme l’étape ultime qui a vu la fin du pouvoir de Modibo Keïta, premier président de la République du Mali. Faut-il noter que c’est à Koulikoro qu’a pris fin la fuite de Soumangourou Kanté et est donc le point de retour vers Kurukan Fukan de Soundjata Keïta triomphant ?
Aujourd’hui, le destin de Koulikoro est, en raison de la magie de la décentralisation, de prendre dans son giron le District de Bamako, capitale de la république. Demain, la providence, qui l’a tant favorisé, lui réservera d’autres particularités. J’y crois. Mais, à présent, Koulikoro ne brille pas des atouts que la géographie et l’histoire lui confèrent. Pour ceux qui connaissent la France, à seulement 60 kilomètres de Bamako, Koulikoro fait figure de Nîmes à côté de Montpelier. La comparaison est certainement osée, mais elle a son sens. Je veux tout simplement qu’une ville secondaire aux flancs d’une métropole importante est naturellement promise à un rayonnement certain. Malheureusement, Koulikoro, chaque jour que Dieu fait, s’en va à vau-l’eau. Ici, tout est en train de se déglinguer tel un tricot dont une maille a filé. Je ne remonterai pas loin dans le temps pour prouver mon propos.
Le 7 mars 2011, Harouna Coulibaly, élève de la neuvième année, trouve la mort dans des circonstances qui émeuvent tout le Mali. Depuis, les choses s’empirent. Le lundi 28 mars et le jeudi 31 mars 2011, les jeunes de la cité, soudainement secoués, manifestent pour se plaindre de la lassitude, voire de l’incurie des autorités. Les évènements sont tels que le ministre de l’Administration territoriale et des collectivités locales, Général Kafougouna Koné, en vient à se rendre à Koulikoro. Il enregistrera plusieurs doléances, toutes pertinentes les unes que les autres, en ce qui concerne les équipements pour la ville, les infrastructures pour l’épanouissement des jeunes (écoles, stades sportifs, etc.). On se rend compte subitement (pourtant on le savait parce qu’on vivait là) que Koulikoro, capitale régionale à trente minutes de voiture de Bamako, n’a même pas les commodités des villes secondaires comme Bougouni et Koutiala.
Les revendications formulées sont toutes légitimes. Mais, pour moi, l’arbre ne doit pas cacher la forêt. Le grand problème de Koulikoro, c’est la gouvernance locale. Il est beaucoup plus prégnant aujourd’hui plus qu’hier. Vous savez, lorsque l’on confie une cité à des gens qui ont peu souci de son bien-être, elle devient n’importe quoi. Tout le monde sait aujourd’hui que ce qui handicape gravement aujourd’hui la marche en avant de Koulikoro, c’est la boulimie financière du gouverneur Soungalo Bouaré, laquelle gourmandise matérielle est en permanence assouvie par des spéculations foncières que l’on ne connaît nulle part au Mali. Pour s’en convaincre, il suffit de mandater une équipe d’enquêteurs compétents et consciencieux pour faire le point des diverses malversations foncières dont la région est le théâtre. On pourra aussi tout autant envoyer une commission parlementaire que les résultats seraient les mêmes. C’est clair, Koulikoro est la capitale de la spéculation foncière au Mali. Trois personnages principaux se distinguent tout naturellement. Ce sont le gouverneur Soungalo Bouaré, le préfet de Koulikoro et le préfet de Kati Ibrahima Mamadou Sylla. A eux trois, ils forment le trio infernal des détournements fonciers dans la région. Cela ne va pas sans heurts, sans frictions judiciaires et d’autres formes de conflits non moins graves. Les plus hautes autorités de la République seraient bien inspirées de circonscrire leurs dégâts en les mettant ailleurs. Car leur maintien sur place pourrait banaliser les spéculations foncières avec le risque énorme qu’un nombre de plus en plus élevé de personnes s’y adonnent. Il se peut aussi que les amertumes qui s’accumulent de leur fait viennent bientôt à être mal contenues et qu’elles ne provoquent des violences difficilement contrôlables. Telle est la grande inquiétude du citoyen que je suis. Par devoir et par conscience, je l’exprime publiquement. Au moins ma démarche aura l’avantage d’empêcher certains de dire un jour : « Nous ne savions pas ».
Madou Diarra
Pour l’amour de Koulikoro