Natif de Tombouctou, philosophe, comédien, chercheur, écrivain, Ismael Diadié Haïdara est un personnage modeste. Depuis l’Espagne où il vit, cet ancien de l’Ecole Normale Supérieure de Bamako nous a fait parvenir une contribution, sous forme d’interpellation sur la question juive. Lisez ci-dessous.
Ce qui fait la beauté de l’arc-en-ciel c’est la diversité de ses couleurs disait mon maître Amadou Hampaté Ba. La France est belle de ce qui fait sa grandeur aujourd’hui, sa diversité. Cette France est celle de Michel de Montaigne, sa mère est juive ou du Nobel Modiano, sa famille vient de Salonique. Elle est d’origine juive.
C’est cette France faite d’horizons divers où vécurent un Nobel comme Camus né en Algérie d’une mère espagnole et d’un père français, la Nobel Marie Curie, une polonaise ; c’est cette France élevée par sa part juive comme sa part noire africaine ou arabe qui cherche aujourd’hui encore à se rabaisser par des gestes racistes qui rendent encore nécessaire le désespéré cri d’Emile Zola dans une affaire Dreyfus qui pèse encore dans l’histoire.
Loin de fermer cette blessure, de travailler à la cicatriser, une femme juive est assassinée à Paris. Elle a survécu à Auschwitz mais pas à l’esprit de ceux qui se souviennent de Vichy avec nostalgie. Des tombes sont récemment profanées dans un cimetière juif. La presse parle de 81 cas de violence dont un homicide, 102 cas d’atteintes aux biens, 358 menaces.
Ceux qui ont profané les tombes juives ne sont pas nés racistes, antisémites, ils le sont devenus. C’est un ordre du discours qui produit l’antisémitisme, c’est une éducation qui la reproduit.
Défiler dans les rues de Paris, se rassembler Place de la République ne suffit plus. C’est se donner bonne conscience à peu de frais. Il faut se demander pourquoi la France de Montaigne est devenue celle de Vichy. Pourquoi les actes antisémites ont augmenté de 74% depuis l’an dernier en France.
La France ne peut pas prôner devant l’humanité entière la Liberté, l’Égalité, la Fraternité et n’y croire que pour une partie des français.
Nous sommes dans un monde qui s’enfonce dans un abîme économique aux conséquences écologiques graves, qui cherche des solutions vers des extraites politiques qui montrèrent déjà leurs limites à Vichy, à Auschwitz. Sauvez Monsieur le Président la France d’elle-même.
Enfant, mon père me récitait les poèmes de Hugo, Musset, Lamartine, Vigny de mémoire. À sa mort, il m’a laissé un livre, avec celui des Méditations de l’Empereur romain, Marc-Aurèle, les Essais de Michel de Montaigne. Cette France que j’ai appris à aimer dès mon enfance se meurt sous votre France Monsieur le Président, cette France que je ne pourrais aimer.
La France ne grandira pas comme Nation tant qu’elle vivra sous le poids des peuples qu’elle écrase. Je ne me mettrai pas dans l’infécond et peu honorable du franc CFA. La raison est là : l’Afrique doit entendre qu’une liberté octroyée n’est qu’une servitude voilée. La France doit entendre pour sa part qu’elle rend responsable chaque français, systématiquement de la mort de chaque enfant en Afrique francophone, de chaque adolescent dans la méditerranée. Les Etats africains sont aussi responsables que la France qui se rend coupable d’un lent génocide qui accumule ses milliers de morts par ans. Sans leur complicité, la France n’aura pas sa politique africaine fort malheureuse aujourd’hui.
Cette France coloniale et antisémite ne rend pas honneur à la France que tous ceux qui, épris de liberté, cherchent comme terre d’exil parce que dans leur pays d’origine, cette denrée rare mais hélas aussi nécessaire que l’air pour tout homme vient à manquer. Soljenitsyn a choisi ce pays pour l’édition de son Archipel du Goulag, croyez-moi, ce n’est pas peu, c’est même trop lourd pour une France qui se transforme en Goulag pour des juifs morts.
La France héritière des Lumières ne peut pas tolérer des actes obscurantistes sans en pâtir. Les rêves obscurantistes tolérés accoucheront toujours de monstres que nul ne pourrait tolérer sans être monstrueux et intolérable. Redonnez-nous cette France de Bernanos, celle qui est capable de parler à tous ses frères humains, celle de Edmond Jabès, de Paul Celan, de Derrida, celle aussi de James Baldwin, de Nina Simon ou de Théodore Monod, un homme qui m’a témoigné son amitié lorsque j’ai écrit voici des années, les juifs à Tombouctou, Monod qui n’a jamais hésité à faire une objection de conscience, à montrer son désaccord avec une politique quelconque, lorsque celle-ci heurte le respect à l’humanité. J’ai suivi ses traces du désert mauritanien au pied du massif de Bandiagara où se trouve le tombeau du maître de Amadou Hampaté Bâ, TiernoBocar sur lequel il allait prier. Ils sont nombreux ceux qui le nomment le François d’Assise de l’Afrique. Il nous a enseigné à respecter la vie, les hommes, tous les hommes.
Monsieur le Président, une stèle rappelant l’emplacement de la Synagogue de Strasbourg qui fut en 1941 dynamitée par les nazis a été vandalisée dans la nuit du vendredi au samedi. Le bas Rhin avait déjà été frappé le 19 février par un autre acte antisémite lorsque 96 tombes du cimetière juif de Quatzenheim, au nord-ouest de Strasbourg avaient été recouvertes de croix gammées.
Monsieur le Président, la France d’aujourd’hui doit faire de louables efforts pour être l’héritière de sa révolution, de son siècle des lumières et de sa longue tradition démocratique fort entamée par sa politique coloniale, sa stigmatisation du noir, de l’arabe, et aujourd’hui plus que jamais, du juif aussi.
Mes sincères salutations.
Ismaël DiadiéHaïdara
Presidente
FundaciónFondo Kati
Miembro de Sites of Conscience
Medalla de Oro de la Ciudad de Toledo
Medalla de la Ciudad de Tarifa