Lettre ouverte : Adame Ba Konaré recadre le CE de l’Adema

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Professeur Adame Ba Konaré est une patriote, sentinelle vigilante de la démocratie malienne chèrement acquise en mars 1991. Elle ne saurait cautionner la moindre forfaiture dont le peuple malien sera la victime. Et la voilà qui réagit bien opportunément à la déclaration dont s’est fendu le C.E. de l’Adema-Pasj à propos de la répression de la mobilisation citoyenne du 10 juillet et jours suivants dont le bilan provisoire se solde à 23 tués et plusieurs centaines de blessés. Non, l’épouse du Président Alpha Oumar Konaré ne peut accepter le blasphème exprimé par Pr. Tiémoko Sangaré et ses camarades de la direction du parti de l’abeille. Elle le fait savoir en sa qualité de membre fondateur et de Présidente d’honneur.

Camarades membres du Comité exécutif de l’Adéma-PASJ,

J’ai pris connaissance de votre déclaration en date du 12 juillet 2020 signée de votre président, le Pr. Tiémoko Sangaré sur les réseaux. Vous expliquez que, consécutivement à la manifestation organisée par le mouvement M5-RFP le 10 juillet 2020, d’importants dégâts matériels et pertes en vies humaines en ont découlé, qui sont, selon vos mots, le résultat de débordements liés aux marches dirigées par certains leaders dudit Mouvement le même jour. J’avoue avoir été choquée par cette déclaration en ma qualité de membre-fondatrice, de présidente d’honneur et de militante tout court de l’Adéma-PASJ. Souffrez que je m’en désolidarise car je ne la partage pas.

Certes, je peux comprendre que vous ayez voulu apporter votre solidarité au ministre sortant de la Communication, porte-parole du gouvernement, un des vôtres, pour les saccages perpétrés à l’ORTM que nous déplorons tous mais on ne peut pas mettre dans le même panier, comme on le fait avec un panier à salade, des biens matériels et des vies humaines.

Aucun bien, si précieux fût-il, ne vaut une vie humaine.

Camarades membres du CE de l’Adéma-PASJ, souvenons-nous en, notre démocratie a été obtenue de haute lutte ; elle est la naufragée d’une mare de sang, le sang de nos martyrs. C’est parce que certains ont donné de leurs vies que nous sommes tous là, nous tous qui avons détenu et détenons une parcelle de pouvoir.

C’est parce que certains ont donné de leurs vies que nous pouvons déployer nos ailes, trépigner de fierté nationale, pavoiser sur la scène internationale, drapés du boubou de la démocratie et de la république, hôtes fréquentables, hôtes des forums internationaux assaisonnés des délices des banquets mondains, hôte aux côtés des « Grands du monde », qui n’ont de cesse de souffler leurs objurgations sur les Droits de l’Homme, les Droits des peuples dans leurs trompettes aux accents particulièrement menaçants pour les « Petits du monde. »

C’est parce que certains ont donné de leurs vies que nous pouvons nous arc-bouter sur notre Constitution. Une constitution qu’une de nos sommités juridiques, acteur du mouvement démocratique des années 1990, le regretté Me Demba Diallo, avait qualifiée dans une de ses envolées lyrico-guerrières dont il avait le génie, de meilleure constitution du monde. C’était en 1992, au mois de février, lorsque le général Moussa Traoré- GMT pour faire court- dégagé, il avait fallu élaborer la constitution de la IIIe République.

Une constitution qui met à l’honneur et à l’affiche dans son Préambule « le Peuple Souverain du Mali, fort de ses traditions de lutte héroïque, engagé à rester fidèle aux idéaux des victimes de la répression et des martyrs tombés sur le champ d’honneur pour l’avènement d’un État de droit et de démocratie pluraliste. » Une constitution qui reconnaît en son Article 5 à ce peuple « la liberté d’association, de réunion, de cortège et de manifestation. »

Après mars 1991, ce fut une efflorescence collective, populaire, drue et compacte, et surtout touffue d’aquarelles d’espoir et d’espérances, de grandeur épique, de grâce lumineuse, que seule la liberté, synonyme de dignité pouvait permettre l’éclosion.

La liberté de manifestation en l’occurrence, que le peuple a extirpée de ses entrailles, il l’a accrochée comme un trophée à son tableau de chasse. Quel conte merveilleux ce fut alors !

Oui, souvenons-nous en, il y a de cela trente ans : c’est parce que le peuple débout s’est battu dans la rue qu’il a pu renverser le régime dictatorial de 23 ans de GMT, qui il est vrai, a gagné en galons républicains, est passé de démon à ange, impatronisé négociateur national, sur la mémoire de nos martyrs de mars 1991. Révulsant !

Ce peuple revient encore, il investit derechef la rue, les mains nues et par une de ses voltes malicieuses, j’allais dire cyniques, l’histoire le fait affronter et essuyer des tirs à balles réelles, et il meurt comme en mars 1991. Mais on n’est pas en mars 1991, on est en 2020, sous un régime supposé démocratique, supposé accepter les libertés, toutes les libertés dont il était privé il y a trente ans. Déjà, on fait le décompte des morts : 23, par balles et des dizaines de blessés.

Le Mali, notre Maliba inexistant dans son septentrion et dans son centre est tout autant déchiré dans son corps social aujourd’hui, nous le savons tous. Le rêve a été brisé.

Camarades du CE de l’Adéma, rappelons-nous ces fondamentaux, regardons dans le rétroviseur de l’histoire et pleurons ces victimes et autres martyrs qui viennent de tomber sur la route de cette démocratie obtenue à l’arraché, à la défense de laquelle nous sommes tous interpellés, tous appelés à apporter notre écot.

Voyez-vous, chers camarades du CE de l’Adéma, une pensée obsédante, presque hallucinatoire,  me taraude, jette en moi un trouble profond, envahissant voire invasif, et surtout une peur abyssale, qui me fait appréhender ces redoutables charnières tricennales dont l’histoire récente du Mali est ponctuée : 1960, 1990, 2020. C’est à l’arraché que l’indépendance du Mali a été acquise ; c’est à l’arraché que les troubles de mars 1990 ont abouti à la révolution de 1991. L’historienne n’est pas Cassandre, mais il nous faut briser ce qu’il y a de douloureux dans ce cycle tricennal par des décisions courageuses, une gouvernance vertueuse et empathique, rassurante et non terrifiante, qui feront un gros plan sur l’écran du téléprompteur, comme dans un miroir grossissant, sur la mémoire de nos martyrs de mars 1991 que viennent malheureusement de grossir la mémoire des martyrs de juillet 2020. En un mot, trouvons les voies et les moyens pour juguler la crise que nous traversons pour ne pas davantage assombrir ces mémoires macabres, affligeante mémoire historique de notre peuple tout entier. Débout sur les remparts, le cœur gonflé, trouvons, dans l’exemplarité et la ferveur, des remèdes roboratifs au mal-être malien.

Camarades du CE de l’Adéma, le débordement populaire lors des manifestations n’est pas que malien, il est universel ; on a vu les Gilets jaunes en action des mois durant en France, intrépides dans des postures physiques cabrées, prêts à en découdre avec les forces de l’ordre. Ils me firent penser à nos « ancêtres les Gaulois », ces « barbares civilisés », tels qu’on nous les a décrits sur les bancs de l’école coloniale. On a même appris que des casseurs professionnels et des nervis étaient venus en renfort.

Le pouvoir a-t-il pour autant tiré à balles réelles sur les manifestants ? A-t-il tué ? A-t-il répondu par des représailles, les nombreuses casses à travers le pays ? Non, à ce que je sache. La logique du coup pour coup entre le peuple et le pouvoir est inadmissible, surtout, lorsqu’elle se solde par des pertes en vies humaines. Qu’on ne vienne pas me dire que le Mali est un pays de grande culture, un pays de grande civilisation et que de telles scènes ne devraient pas se dérouler sur son sol. Et qu’on ne vienne pas nous aligner à la file indienne tous ces noms de nos « Grands ancêtres », des ancêtres valeureux, qui ne nous auraient légué qu’héritage précieux, héritage vertueux, de Soundiata Kéita à El Hadj Oumar Tall, de Bamemba Traoré à Firhoun Ag Alinsar, en passant par Sonni Ali Ber, Askia Mohamed, Biton Coulibaly et autre Da Monzon Diarra. Laissons ces « Grands ancêtres » gérer leurs petites affaires outre-tombe. Ils y ont mieux à faire. Laissons plutôt les historiens, qui les connaissent mieux, s’occuper d’eux.

Oui, chers Camarades du CE de l’Adéma-PASJ, il existe bien un peuple générique, un peuple Universel, mû par les mêmes ressorts et les mêmes réflexes insurrectionnels. Pure illusion que de se croire à l’abri de ses déchaînements au nom d’une prétendue grandeur historique, du puissant capital de bénignité et de longanimité par lequel on s’époumone à caractériser le peuple du Mali. Quand les débordements se transforment en flots dévastateurs roucoulant d’écume de rage et exultant de satisfaction sombrement assouvie, bien sûr que cela fait mal. Bien sûr que cela porte préjudice. Mais telle est l’obscure loi de l’humanité. Toutefois, la vraie problématique est de rechercher les causes profondes et non les causes immédiates de ces déchaînements et débordements populaires. Ensemble, attelons-nous y tous, débout sur les remparts, le cœur gorgé du sang de l’Humanisme, un Humanisme profond, qui reformulera et reconfigurera les paradigmes qui ont jusque-là tracé nos sillons.

Je terminerai en disant que ce n’est pas à vous, chers camarades du CE de l’Adéma, d’exhorter le M5-RFP à accepter la main tendue du président de la République, Ibrahima Boubacar Kéita, quelques soient vos intentions. Vous n’avez aucune légitimité pour cela. Vous pouvez vous réclamer de la majorité présidentielle, mais vous n’êtes pas le parti présidentiel.

Dormez en paix, victimes de juillet 2020 et prompt rétablissement aux blessés.

Bamako, le 17 juillet 2020.

Pr. Adame Ba Konaré,

Membre-fondatrice et Présidente d’honneur de l’Adéma-PASJ.

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