Bien malin qui pourrait prédire la fin de la tourmente à l’école. Une école qui sombre chaque jour davantage irrémédiablement vers une mort certaine, si rien n’est fait.
Mme la première Première Ministre du Mali c’est l’avenir même de votre pays, de mon pays qui est compromis. Point besoin de vous rabâcher les oreilles, au moment où tous les projecteurs sont braqués sur vous, avec les maux dont souffre notre école depuis deux décennies. Fonctionnaire de la haute administration, mère de famille et chef de Gouvernement, vous savez certainement plus que moi que l’école reste le stigmate de tous les gouvernements successifs de post 26 Mars. Aussi, le citoyen lambda que suis-je, même hors de son Mali natal, continue t-il de faire entendre son cri de cœur et sa honte face à une situation qui n’a que trop duré.
Que d’énergies et de ressources dépensées dans l’organisation et le suivi du forum sur l’éducation ? On pourrait presque dire : tout ça pour rien. Pendant ce temps, les années scolaires passent et se ressemblent : blanche ou presque selon les écoles. Si une étudiante en première année à la faculté de lettres passe en classe supérieure avec moins de deux mois de cours, son promotionnaire étudiant à la faculté des sciences peut stagner deux années dans la même classe parce qu’il n’a pas eu la chance de passer les examens bloqués par les enseignants.
Si ce n’est pas une grève des élèves qui suspend les cours, c’est une grève des enseignants : telle est la carte postale d’une année scolaire «normale» au pays d’ATT, l’ami des enfants. C’est le lot de notre quotidien, me racontait dans les coulisses du premier forum de la diaspora scientifique organisé en juillet 2010, avec désespoir et fatalité un père de famille de cinq enfants. «Jusqu’à quand va-t-elle perdurer cette situation à l’école?» lui avais-je alors demandé ? «Aussi longtemps que l’Etat ne prenne ses responsabilités, toutes ses responsabilités car l’école est d’abord et avant tout une affaire de souveraineté nationale » répondit mon interlocuteur, professeur de son état avec un regard interrogateur.
Je suis arrivé au constat que depuis 1991, nos gouvernants ont toujours privilégié les infrastructures scolaires au détriment de la formation de l’homme.
S’il s’agissait seulement de construire des salles de classes ;
S’il s’agissait seulement d’ouvrir des centaines d’établissements scolaires ;
S’il s’agissait seulement d’acquérir à coup de milliards du matériel didactique ;
S’il s’agissait seulement de recruter du personnel de tout bord et de tout niveau ;
Mme la première Ministre, notre école ne serait pas encore dans le creux de la vallée.
Depuis quelques jours, nous assistons de nouveau, hélas, impuissants avec résignation et amertume, au retour des « vieilles bonnes » habitudes des grèves et contre grèves dans une indifférence générale de l’opinion publique.
On peut comprendre qu’avec la démission du Gouvernement Modibo Sidibé, on soit plus préoccupé au sommet de l’état de son propre devenir, à la recherche d’un bon « soma dogono » que de s’occuper par exemple de la grève illimitée décrétée par le syndicat de l’enseignement supérieur. Mais cela ne saurait expliquer le dialogue de sourd entre les autorités en charge de l’éducation et les corporations syndicales. Les sempiternelles revendications du supérieur, pour rester dans l’air du temps, ne sont hélas que la face cachée de l’Iceberg : notre enseignement supérieur est à vau l’eau. Quel enseignement supérieur voudrions-nous pour notre pays ? Est-ce un creuset du développement avec tout ce que cela coute comme ressources humaines et matérielles ? Ou une usine de fabrication de chômeurs où côtoieraient enseignants désœuvrés et étudiants sans avenir? Oh que le tableau est sombre et fataliste, me diriez-vous ? Mais si nous ne faisons rien, si vous ne faites rien, Mme la première ministre, notre enseignement supérieur va droit vers le chaos.
Pourrions-nous avoir un jour, le courage et l’honnêteté historique de reconnaître que même pendant les périodes les plus difficiles du régime défunt UDPM, que nous avions combattu, l’école n’était pas tombée aussi bas. L’espace scolaire est devenu, de nos jours, un enjeu politique où se font et se défont les calculs politiciens. La révolution de mars 1991 a ouvert la brèche et les politiciens s’en sont engouffrés à dessein sans penser qu’ils venaient par là même de participer à un acte qui allait changer le destin de notre école.
Le Premier Président élu de l’après 26 mars 1991, le fils de l’enseignant, l’enseignant et l’époux de l’enseignante, n’a jamais pu redonner à l’école l’image d’une école studieuse où l’on apprend le savoir et l’amour de la chose publique. ATT, l’élève et le remplaçant de l’enseignant n’a pu faire mieux que son prédécesseur.
La situation que nous vivons maintenant n’est que l’accumulation de toutes les tares du passé : corruption, marchandage politique, absence d’autorités à tous les niveaux.
« Il faut taper sur la table pour se faire entendre » me disait avec volupté et fierté un ancien leader estudiantin de l’AEEM, aujourd’hui chargé de mission dans un cabinet ministériel. Combien d’anciens responsables de l’AEEM comme lui déambulent sans obligation de résultats dans les Ministères et à Koulouba?
La gestion approximative de l’école, basée sur les solutions au coup par coup, a montré ses limites. Une gouvernance chaotique à vue qui a fini par étouffer les énergies et les initiatives nées au lendemain du 26 mars 1991.
L’état a les ressources pour garder au-delà de la retraite des centaines d’agents des forces de défense et de sécurité, l’état peut doter les préfets et sous préfets, les « baba commandants » de moyens matériels et financiers substantiels, l’état a les moyens de créer de nouveaux ministères sinon comment comprendre ce gouvernement pléthorique de 32 membres, l’état peut même se permettre de payer une fortune à un encadrement et joueurs de football « jamais gagnants », mais l’Etat est incapable de trouver des ressources pour alléger la souffrance de ceux là qui transmettent le savoir.
L’enseignant qui, jadis, était respecté et vénéré de tous, est aujourd’hui accusé de tous les mots : «mendiant» parce qu’il propose des cours privés ; «corrompu» parce qu’il vend les évaluations contre espèces sonnantes ou en nature ; «nyengo» ou «hassigui» parce qu’il veut être traité comme le militaire, le juge ou « baba commandant ».
Je vous implore Mme le chef du Gouvernement de mettre l’école au centre de vos priorités.
Une première analyse de la composition de votre Gouvernement montre que la priorité sera plutôt donnée aux reformes institutionnelles.
Je n’ai ni peur de la foudre des «acteurs » du mouvement démocratique et autres « marchands » de rêves » qui attendent avec impatience 2012, ni ne mettrai de gants pour dire que les élections peuvent attendre des mois, voire des années, mais pas l’école. Chaque année scolaire perdue est une génération sacrifiée. Combien de générations avons-nous déjà sacrifié sur l’autel politique ?
Il est temps d’investir sans tarder, quitte à remettre pour plus tard les élections dévoreuses de ressources, quelque fois source de tous nos malheurs, dans l’homme après avoir englouti pendant des années des sommes faramineuses dans les constructions et les équipements scolaires.
Il urge de crever l’abcès en prenant des actes concrets pour remettre l’école au travail. Ceci passe d’abord par la réhabilitation de l’enseignant en améliorant ses conditions de vie et de travail. Ensuite très rapidement prendre des mesures drastiques d’envergure pour sécuriser l’environnement scolaire afin que l’école retrouve son image d’antan : un lieu de savoir. Enfin il nous faut réapprendre le sens du patriotisme et du devoir à tous, mais pour ce faire nos gouvernants devraient aussi balayer devant leurs portes en respectant la chose publique.
Je termine par cette citation du Président américain John Fitzgerald Kennedy: «Nous devonspenser l’éducation comme un moyen de développer nos plus grandescapacités. Nos progrès en tant que nationdépendront de nos progrès en matière d’éducation»
Mme la première Première Ministre de la République, faites quelque chose pour l’école, pour le Mali dont vous et moi sommes redevables. /.
Yachim Yacouba MAIGA
Port-au Prince, le 8 avril 2011