Les leçons d’un scrutin : IBK, Soumi, Dra, Modibo, Poulo et Chatto passés au crible

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Me Mamadou Gakou
Me Mamadou Gakou

 I – Les CANDIDATS

Le monde entier a réagi avec soulagement et satisfaction  à l’élection présidentielle au Mali, pays dont la détermination  et la mobilisation ont été abondamment  saluées : on reste confondu devant une pareille maîtrise, un pareil pouvoir, un pareil engouement surtout, après une constellation apocalyptique de violences gratuites. 

 

L’effacement de la démocratie, la ruine sociale, l’état désastreux de l’armée, les massacres et humiliations dans le septentrion, la légèreté et l’hypocrisie  de la classe politique ont indigné le peuple, qui souhaite  désormais en revenir aux ambitions initiales de la nation  malienne, en matière d’éducation, de santé, de nourriture, de culture….

 

Cette élection du mois de Ramadan est une révélation  minutieuse et une projection sur la signification d’un rite  aussi fameux que mal connu et mal appliqué. Plus généralement, après une crise sans précédent, le Malien entend  redécouvrir un sens à l’existence terrestre  par la simple conscience rehaussée de la beauté des éléments immémoriaux de toute compétition saine, ce qu’exige notre  nature instinctive-une mythologie et non une théologie.

 

A la vérité, après les errements et turpitudes, nous sommes en voie d’atteindre un niveau de la conscience politique où, pour  les esprits de tour imaginatif, ceux que nous appelons analphabètes   sont devenus électeurs avisés après des années de  sacrifice inutile,  par l’envie d’un soulagement personnel  et collectif dans la  vision d’un immense réservoir de dépassement surhumain.

 

La tragédie du Malien fut celle de l’homme absent de lui-même et  de son histoire, telle que  la feuille détachée de l’arbre, la poussière sans  mémoire.

 

L’action (le rituel du vote) qui s’est étendue apparemment sur trois ou quatre  semaines a réuni près d’une trentaine de  candidats, qui ont rendu extrêmement attrayante et passionnante  la joute électorale, pas seulement à cause des sous et des coups qu’ils donnaient ou recevaient en cachette, mais aussi parce que  tous les vestiges de ce passé récent et cruel ne sont pas encore détruits, ni la solidarité internationale émoussée.

 

Au jour le jour , ces hommes et cette dame ont paru soigner  les blessés de la vie et de la rébellion, avec le regard aigu d’un  médecin, avec la sensibilité compatissante d’êtres qui ont le  don de s’associer presque physiquement à la souffrance du  plus grand nombre et qui la décèlent à travers une parole en  apparence inédite, une suite de récits, de promesses,  de dons, ou dictent une nouvelle vie aux martyrs, aux lapidés et mutilés, logeant  dans la vie quotidienne des villageois, réveillant toutes les querelles, toutes les  petites vanités humaines . La plupart ont su proposer à  l’admiration de tous les qualités de foi en notre peuple, avec  patience, pudeur, innocence, science, expérience, montrant qu’au moment ou tous les mythes et mausolées sont abattus, où l’on pourrait désespérer de l’homme africain, du monde, de l’univers, une réalité certaine subsiste encore : le cri des cœurs  pour la rédemption d’un monde en perdition.

 

– L’art d’IBK tient dans une certaine manière de  présenter et de lier les événements. Tel est le sens de cette sincérité  dont il se fait une règle : il recherche avec gourmandise la netteté du  discours, la justesse de l’expression. Sans se lasser, il reprend les mêmes thèmes patriotiques, les  même décors, les mêmes expressions, les mêmes scènes : visites aux notables, voyages entre les villes et  campagnes, conversations avec la grand-mère… Gestes et situations se reproduisent à intervalles réguliers, à chaque fois un  peu  différents. Les phrases se succèdent, brèves et dépouillées,  comme de minuscules segments, et peu à peu cette technique  pointilliste, qui  a plutôt recours à l’analyse parvient à évoquer la nation dans  sa diversité vivante, à restituer le passé. Il a appris à connaître la souffrance, la sienne et celle  de ses compatriotes, et quand il en  parle, sa foi donne à son regard une acuité douloureuse. Et  cependant, ce cadre délibérément restreint s’élargit : à mesure que  progresse le discours, il se dégage une impression sourde d’harmonie. Cette réconciliation, à la fois un “ apaisement ” et  une “ libération “, comme le suggèrent les deux caractères qui  composent ce mot dans l’original, étend son effet aux  autres membres de l’auditoire, préfigurant un accord entre  l’homme et son destin. La politique, pour IBK, est une recherche  de la dimension collective de la conscience universelle, et aussi une  adhésion totale à l’aspect sacramentel que le malien dans  son histoire et surtout dans sa culture doit préserver. Lyrique mais ennemi des confidences, IBK clame le  Mali et l’humain en général, et il les chante en s’efforçant d’en graver  une image qui, vraie, profonde et complète, mérite de  démeurer. La seule passion qu’il n’étouffe pas en lui, mais au contraire exalte, est celle qui le conduit, inlassablement, à  chercher les mots qui illuminent sans mentir. Son honnêteté intransigeante, jointe à une conviviabilité tranquille  et à une extrême  sensibilité qui paraît miraculeusement équilibrée, font que  sa profession de foi est aussi bonne que belle. On en retire pour le  pays une très réconfortante impression de sérénité. Cette heureuse  impression vient aussi de ce que le corps rond (depuis peu) et l’esprit alerte (depuis toujours) ont ici leur juste part : ils renvoient à l’image du souverain impérial du Mandé, père de la Nation, que préfigure la stature du commandeur de ses messages de campagne. Le latiniste maîtrise les significations graves et sublimes  de la notion de “ patria “, et sait que de minimis  non curat praetor.

 

– «Et dire qu’ils me  croient faible», pourrait dire  Soumaïla Cissé, qui veut  avant tout que les affaires de son  pays soient en ordre. Il est profond et a horreur de la  profondeur. Sa campagne est menée avec un art toujours  perfectionné, soit auprès de professionnels de la communication, soit  comme une équation dont la solution exige énormément  d’adresse et de rigueur. Deux qualités essentielles, l’intelligence  et l’aisance, le révèlent plutôt homme d’esprit que de cœur, mais  il faut reconnaître qu’elles sont fort brillamment défendues. Le  ton est spontané, naturel et évite magistralement les facilités  et les lourdeurs. Le représentant le plus significatif de la  technocratie et de la finance internationale a cependant un goût prononcé  pour les coutumes simples de son pays natal, servi par une  vision lumineuse et généreuse du temps saisi dans son instantanéité comme dans sa durée. Résistant non violent, il lutte pour remédier aux blessures morales  faites par les violences. C’est l’écartèlement d’une crise de conscience cruciale qui fait  retourner l’intellectuel bourgeois au fait historique de  l’existence des déshérités : pour sauver les désespérés, il faut s’exposer au feu.

 

Préconiser la finance islamique, mais aussi, pour ne prendre que quelques exemples en matière sociale, économique ou  financière, verser des allocations aux personnes âgées, aider le régime de  sécurité sociale des agriculteurs, accorder des subventions ou des  avantages fiscaux à des entreprises créant des emplois, prêter des fonds à des organismes de construction de logements, etc. Le double  nuage de ces domaines indispensables mais lointains  par rapport aux émotions et oppressions, ce pouvoir constructif réel qui paraît ne valoir que par une certaine finalité personnelle, cette aspiration au bien être et à la perfection, démeurent autant de ponts  vers le ciel, autant d’entretiens en tête-à-tête avec  soi-même, en raison du contexte pesant de la honte  et de la difficulté de vivre dans la dignité perdue.

 

– Dramane Dembélé, de l’éveil aux jeux de  la politique à  la formation de la personnalité en rapport avec le milieu environnant, s’ouvre, à travers des  expériences souvent douloureuses, aux inquiétudes et aux troubles qui déchirent le pays. Avec un programme très bien conçu    en faveur d’un niveau d’emploi et de protection sociale  élevé, le relèvement du niveau scolaire et de la qualité de la  vie,  il a misé sans garantie sur la sagesse collective de  son parti pour lui assurer la  victoire. Avec un directoire de campagne compétent et  dévoué mais chaperonné lui-même par un ancien combattant de toutes les  batailles depuis le siècle passé et dont le propos jurait  avec la modernité et le renouveau prôné par le candidat , sa sincérité et sa force évocatrice cachaient mal une timidité  réelle et un réalisme indéniable . C’est dans  les ressources  infinies de la sensibilité humaine qu’il semble placer son espoir  de voir naître un monde d’où  l’injustice serait bannie. Pour que le sacrifice ait toute sa portée, toute sa signification, il  importe qu’il soit jusqu’au bout très amer. Mais le géologue politique  sait  aussi que tout va recommencer, après mille péripéties et prouesses, de cette tranchée large, sinueuse  et boueuse, marquée de flaques, coupée de ruisselets, encombrée d’épaves, qu’est devenue notre arène démocratique. Il a le double avantage de témoigner de la  forte infrastructure scientifique de la pensée politique moderne et de montrer que chez lui, la réflexion technique, de par  son propre élan, débouche sur le projet social. Tous les membres de son parti ne se tiennent pas à son niveau de concentration  et d’unité, distraits qu’ils sont parfois par l’image de leurs propres parcours.

 

Dramane Dembélé reste en partie indéchiffrable, et gagnerait à être plus clair que tel regard d’un ami. La chaire du discours politique ne doit pas être abîmée mais métamorphosée ; le projet politique ne peut être expression tumultueuse et désordonnée mais alchimie parfaite. Il vient de tomber dans une traque  obstinée, mais c’est une sécheresse fertile. Toute la vigueur, toute la douleur de “Dra” tendent vers une forme politique nette : celle des Pyramides et du secret éternel qu’elles renferment.

 

– La parole donnée, précisant le mot fidélité, vient à point pour aider à définir la politique très morale de Modibo Sidibé, qui renvoie aux obligations automatiques. Il est contre l’oppression, contre aussi les systèmes de la politique politicienne qui en fin de compte ne font  jamais que  de se renvoyer à eux-mêmes, dans une opacité délirante. Pour  lui, l’erreur absolue serait de croire à des galopades inconséquentes. Il n’est au contraire pas possible d’être plus que Modibo Sidibé fidèle à soi-même, à son expérience d’homme d’Etat, de diplomate, ce qui le conduit à restituer au langage son  poids et  sa gravité. Cet usage neuf de la politique sans démagogie par un esprit fin,  incisif, s’arrête aux frontières de l’Administration, sans toucher- ou à peine-une société qui a besoin de l’impression de force pour se rappeler qu’elle existe, du commandement et du cri qui l’arrachent  au néant intérieur. Il ne s’en sort pas trops mal et découvre même dans ce nouveau métier une nouvelle raison d’espérer : smatcher  avec le Destin, le Présent, le Passé, l’Avenir. Riche de pensée et d’expérience, sans illusion et sans amertume, il suit  sans les imiter les professionnels de la politique, avec une grande force éthique.

 

– Simple et direct, spontané mais calculateur, Poulho Guindo a un style qui marque un retour vers une représentation  plus conventionnelle de la vraie politique et une attitude à clés multiples  qui font le charme et la qualité de son parcours. Révolte contre les forces traditionnelles de l’échiquier politique, révolte aussi contre l’esprit de défaite de la jeunesse. Poulho tente d’adapter par un activisme dynamique la  technique du point de vue multiple dans les regroupements de partis (PUR, CSM etc.) .Il éclaire l’interaction du citadin et du broussard, il tente de résoudre ce conflit, qui  tout autant que celui de sa génération est son conflit intérieur. Il souhaite une conscience fraîche en politique et cherche  avec obstination à définir ” les nouveaux devoirs”  que  devraient s’imposer les hommes politiques. Accompagné de  ce murmure de voix, il débarque de villes en villages, où chacune des étapes de son voyage sera aussi une conquête de  la mémoire : se télescopant, passé et présent deviendront  deux fois réels, atteignant à un degré de réalité admirable. Très  mobile et dynamique, planant sur chaque idéologie tel un génie familier, il semble appartenir à quelque mythique âge d’or. Son parti  marque un jalon essentiel dans la tentative de son leader d’exprimer une idée qui résume les espoirs ou les  souffrances en général, d’une manière très très vague.

 

– “ Que d’eau, que d’eau “, aurait encore dit Mac-Mahon écoutant son projet d’irriguer des millions d’hectares-Il est vrai aussi qu’il s’agit de ” Chato “.Douée  d’une extrême force d’expression suggérant une grande  éthique, Madame Cissé Aissata Haïdara, aristocrate de cœur, a tenu la dragée haute aux misérables mystificateurs qui ,à partir de postulats géographiques saugrenus, jettent le doute sur leur propre identité. Chato a le pouvoir ” accablant ” de saisir la  totalité des problèmes de notre pays ; ce pouvoir de métamorphoser le temporel en éternel, cette appréhension intense de l’essentiel, lui permettent de magnifier la femme, sans tomber dans la sensiblerie. Le ton de vérité et son optimisme pour l’unité de notre pays la rendent attachante, en dépit du conformisme de son projet de société et du chiffrage très approximatif de son programme. Passionnée de l’intégrité du Mali, elle s’attache avec fougue à un certain nombre de  problèmes particuliers (féminisme, sécurité sociale, agriculture, rébellion…) traités étroitement, mais il y manque la cohérence d’ensemble qu’on trouvera bientôt chez cette pasionaria qui semble placer la récompense morale bien au dessus des récompenses matérielles, malgré les cancans. Sa candidature fut plus qu’un simple témoignage avec la perfection pour objectif et le turban du propagandiste du M N L A comme trophée à placer autour de son cou.

  Par Maître Mamadou GAKOU

  lawyergakou@yahoo.fr

II-  Le Contexte politique, économique et social

III – Le Commentaire de l’Arrêt de la Cour Constitutionnelle

IV  ” Le moi se pose en s’opposant ” (Lacan)

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2 COMMENTAIRES

  1. Gakou tu as melange les Orange et les bananes ici, nous croyons que parmi tous les politiiens du jour les 27+1 Candidats, nous retiendrons que 3 politiciens ont demontre de la hauteur et de la dignite: Cisse, Sidbe Modibo et Sacko. Tous les autres y compris le gagnant n’ont pas convincu, certes l’electorat voudrait en finir avec le regime ADEMA avec ses princes Konare et Toure qui n’ont pas aide le Mali. Donc nous devrons remercier le peuple Malien pour avoir fait un choix dans ce sens tout sauf l’ADEMA et ses princes.

  2. Poulo était un espoir, en tout cas une lueur d’un lendemain que je crois meilleur, mais je me questionne sur son positionnement insensé derrière IBk au second tour, quand la sagesse lui aurait dicté comme tant d’autres à ne donner aucune consigne de vote car les jeux étaient dejà faits par les maîtres du moment en faveur de IBK qui etait joint non pas par mérite personnel mais plutot par dépit justifié ou non de ceux d’en face…

    Modibo a donné une leçon de dignité et de morale que bien d’autres au nombrilisme épouvantable ont degouté les vrais fils de ce pays et donné une nouvelle dimension de la politique, celle de la parole donnée. Il faut une ethique politique.

    La realité est que cette élection a révelé la fracture que couve notre societé, une fracture que la sensiblerie bouffone et le naturel grotesque du président élu ne peuvent résoudre même au bout de deux mandats…

    Cependant par le jeu démocratique , on est tenu de lui souhaiter plus de courage que de chance..

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