Les intellectuels maliens et le pouvoir

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Pour le philosophe, l’intelligence revêt des significations variées. Généralement, elle désigne dans les fonctions mentales celles qui correspondent à une pensée abstraite et logique. Pour le sociologue, l’intellectuel, s’il est logicien confirmé et magicien de la pensée abstraite, il n’est pas lui-même un être abstrait. Il est un produit social. Il est pris dans un réseau de relations sociales complexes, de rapports sociaux qui permettent de l’appréhender comme élément d’une catégorie sociale elle-même d’une catégorie sociale elle-même présente dans un ensemble de classes sociales.

 

Les intellectuels forment sociologiquement et psychologiquement parlant un monde ondoyant et divers. Ils constituent une catégorie sociale ou couche sociale se répartissant globalement entre deux classes sociales : la grande et la petite bourgeoisies.

Dans les pays africains, la situation économique d’ensemble fait que le sort de l’intellectuel s’apparente à celui du mercenaire qui se vend au détenteur du capital. Ici, le détenteur du capital, c’est l’Etat qui concentre entre ses mains le pouvoir économique réel. Tel n’est pas le cas dans certains pays africains «avancés» ou dans les pays «développés». L’intellectuel petit bourgeois aspire donc sans cesse à améliorer sa situation économique.

 

De par sa situation de détenteur du savoir et sa position d’intermédiaire sur l’échiquier social, il est à même d’observer, d’analyser objectivement, de comprendre scientifiquement les mécanismes de fonctionnement de sa société, d’en déceler les points névralgiques.

Le savoir de l’intellectuel lui permet ainsi de dévoiler le caractère injuste et oppressif du système en place, dont bon nombre de citoyens sont victimes. D’où parfois sa tendance à l’indignation voire à la révolte. Mais l’aspiration fondamentale de l’intellectuel petit-bourgeois, c’est sa volonté de s’intégrer aux couches supérieures de la société, son appétit féroce d’embourgeoisement d’où aussi sa tendance à la courtisanerie, à s’aplatir devant les «puissants du jour» pour parvenir à ses fins, à devenir lui aussi un «grand bourgeois». D’où son mépris pour ses origines, pour les masses qu’il n’hésite pas à utiliser comme piédestal pour se lancer à la conquête d’une place au soleil, pour être quelqu’un.

 

L’histoire nous enseigne que seule une infime partie des intellectuels réussit à s’opposer à cette tendance naturelle à l’arrivisme, à l’embourgeoisement. La petite bourgeoisie politico bureautique est constituée par les fonctionnaires et cadres d’exécution de l’appareil d’Etat et du parti (secrétaires, chefs de services locaux, sous officiers et officiers) tandis que la grande bourgeoisie politico bureaucratique est, elle, formée par les fonctionnaires et les cadres qui participent à la conception et à la prise des décisions au niveau des organes centraux du parti et de l’Etat (directeurs nationaux, membres de cabinets ministériels, députés, membres du gouvernement, responsables nationaux du parti, officiers supérieurs, etc.).

 

Le problème est d’actualité si l’on se réfère à certaines déclarations publiques sur la mentalité et le comportement des cadres.

Le fait aussi de revenir là-dessus à plusieurs reprises montre qu’il y a un problème quelque part. En quoi consiste-t-il ? Notre préoccupation n’est pas d’y répondre à la place des autres mais simplement par l’analyse scientifique d’aider à cerner de manière lucide et sans complaisance le problème posé.

On parle de mentalité des cadres. En quoi consiste cette mentalité ? D’où vient-elle ? La situation en fait tient en un mot : l’opportunisme ou absence d’idéal. Comment se traduit-il en termes concrets ? Une série d’exemples appropriés nous permettra de mieux cerner le problème.

Un cadre, à un poste élevé de l’administration a, en charge  l’analyse de certaines questions spécifiques devant lui permettre de donner un avis technique au décideur éventuel. Cet avis peut lui paraître contrariant pour le chef. Par manque de courage et d’honnêteté intellectuelle, il se refuse à le donner préférant y substituer un avis flatteur pour le chef. Ainsi le problème réel est de plus en plus oblitéré et un beau jour, on finit par se trouver devant une situation explosive qui, à l’origine est un problème banal, facile à résoudre.

 

Par peur du chef ou par esprit de courtisan, le système entier finit par sombrer dans l’absurde, dans le clientélisme vil, dans la griotique la plus plate. Ainsi la délation s’instaure et devient un système de gouvernement. Pour ce faire, bien voir  faire croire au chef qu’on est son partisan le plus fervent, on invente toutes sortes d’histoires, on fabrique toutes sortes d’opposants. L’Etat  devient «une Affaire», l’Administration publique une «Association de malfaiteurs». Elle est utilisée à des fins personnelles.

 

On l’utilise en fonction de ses propres intérêts, des états d’âme, de ses humeurs pour écarter un concurrent, briser ou écraser un adversaire. Le lieu de travail devient un lieu ou tout le monde est placé sous haute surveillance.  Le chef de service a peur de prendre la moindre décision. Tout devient objet à «soit transmis».

 

Au supérieur de décider. Celui-ci transmet à son tour et ainsi de suite jusqu’au Conseil des ministres. Finalement, le dernier mot appartient au chef suprême. La seule finalité, c’est remplir les poches. On passe de la corruption quotidienne au détournement à grande échelle. Plus on s’enrichit, mieux cela vaut, car on est plus en mesure d’acheter le silence des autres en les compromettant. Le gouvernement finit par devenir un système où on se tient les uns les autres.

 

Au niveau de l’appareil d’Etat, c’est aussi le mensonge, la courtisanerie, le clientélisme. Les points de vue honnêtes et lucides sont écartés. Ceux qui disent leur intime conviction, leur vérité au chef sont écartés ou boudés. Ils deviennent des ennemis. On assure la promotion des cadres incompétents et malhonnêtes. Le pouvoir se plait dans la médiocrité et la pourriture car il est facile de manipuler des médiocres et des pourris.

Après le parti unique, succède celle des partis politiques, de l’ensemble de la classe politique généralement arriviste, corrompue et assoiffée de pouvoir de pouvoir, experts en tractation et combines. La politique devient une affaire. La société civile  est prise en otage. La presse elle-même n’y échappe point. Des journaux sont créés et financés pour servir de caisse de résonance à des ambitions individuelles ou celles de certains clans.

Des articles sont achetés pour faire la promotion de tel individu ou de tel clan ou contre tel ou tel individu. On fait tout pour discréditer celui qui refuse de marcher dans le système.

Pr. Issa N’DIAYE

 

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