Les conflits armés au Nord du Mali ont connu plusieurs appellations depuis les années 60, mais jusqu’ici on s’était abstenu de faire usage de la terminologie, (redoutable mais convenable), de « terrorisme ». L’expression est désormais lâchée.
En effet, dans la nuit du jeudi 10 au vendredi 11 janvier 2013, le Mali appuyé par la France et d’autres pays africains alliés, ont déclenché une guerre contre le terrorisme dans le centre et la partie septentrionale du pays. Cette option dans l’approche terminologique, constitue une criminalisation notoire, non seulement des actions menées par les groupes armés qui sévissent dans le Nord Mali, mais aussi la nature criminelle desdits groupes. Cette nouvelle qualification adoptée a aussi des conséquences juridiques et judiciaires car, elle ouvre la voie à des poursuites aux niveaux national et international. La résolution 2085 de l’Organisation des Nations Unies sur le Mali du 20 décembre 2012, donne une large légitimité à cette guerre contre le terrorisme. Une guerre largement soutenue au Mali, mais qui va avoir de multiples implications. Avant toute analyse, il convient de lever quelques équivoques concernant les terminologies : D’abord qu’entendons-nous par terrorisme ?
Dans le vocabulaire juridique rédigé par Gérard Cornu, le terrorisme est défini comme « des agissements criminels destinés à semer l’épouvante dans la population civile par leur caractère meurtrier systématiquement aveugle ».
Le terrorisme est une pratique très ancienne. Au début de l’ère chrétienne, les Zélotes (secte juive) assassinaient les occupants romains et les hébreux jugés tièdes vis-à-vis de ceux-ci. Il faut noter que le terme assassin trouve son origine dans la langue arabe. Il vient de haschischins, qui est le terme par lequel on désignait des shiites d’Iran exécutant, entre le XI et le XII siècle, les chrétiens et les turcs sunnites. Le terme apparaît dans la langue française au 18ème siècle pour désigner la propagation de la terreur jacobine jusque dans les provinces françaises les plus reculées, par l’emploi spectaculaire de la guillotine et du fusil pour paralyser de peur les ennemis. Il a fallu un siècle pour que le mot « terrorisme » prenne sa signification actuelle.
Est qualifiée de terroriste, toute infraction quels qu’en soient les mobiles, en relation avec une entreprise individuelle ou collective dont le but est de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, c’est-à-dire une peur collective de la population pour l’amener à céder ou inciter le gouvernement à céder. Ce sont entre autres des atteintes volontaires à la vie, des atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, de l’enlèvement et de la séquestration ainsi que de détournements d’aéronefs, de navires ou de tout autre moyen de transport. Sur le plan pénal il y a un intérêt à distinguer le terrorisme des infractions de droit commun. Dans plusieurs pays on constate une aggravation des peines applicables aux actes terroristes. En la matière la loi malienne prévoit la peine de mort si l’acte a entrainé la mort d’une ou plusieurs personnes. Cependant des exemptions et des réductions de peines sont prévues dans les cas où le délinquant a averti les autorités administratives ou judiciaires et a permis d’éviter que l’infraction n’emporte mort d’homme ou le cas échéant l’identification des autres coupables. En matière de procédure relative aux infractions qualifiées de terrorisme, des perquisitions et des visites domiciliaires et des saisies sont autorisées au cours de l’enquête préliminaire sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’assentiment des personnes concernées ni leur présence. En France, le juge des libertés peut, sur requête du procureur, ordonner des mesures conservatoires sur les biens de la personne mise en examen. La détention provisoire peut avoir une durée de trois ans en matière correctionnelle. En ce qui concerne le jugement des accusés majeurs, en France la loi du 9 septembre 1986 a prévu que la cour d’assise sera composée uniquement de magistrats professionnels. Il convient de souligner que les attentats du 11 septembre 2001 marquent un tournant majeur dans la lutte contre le terrorisme au plan international.
Le terrorisme, un problème global
La résolution de 1373 du 28 septembre 2001 de l’ONU impose aux Etats membres de :
– Criminaliser le financement du terrorisme ;
– Geler sans délais tous les fonds liés à des personnes impliquées dans des actes terroristes ;
– Interdire toutes les formes de soutien financier aux groupes terroristes ;
– Réprimer l’octroi d’abris, de subsides ainsi que l’aide aux terroriste ;
– Echanger avec les autres gouvernements des informations relatives à la préparation ou à la commission d’actes terroristes
– Coopérer avec les autres gouvernements en matière d’enquête, de détection, d’arrestation, d’extradition et de poursuite des personnes impliquées dans tels actes ;
– Criminaliser l’assistance active et passive au terrorisme dans les législations nationales et traduire en justice ceux qui les violent ;
– Devenir partie aux conventions internationales et aux protocoles pertinents ayant trait au terrorisme, le plus rapidement possible ;
Outre, l’Organisation des Nations Unies a adopté une stratégie antiterroriste mondiale qui condamne le terrorisme en tout lieu et sous toutes ses formes. Les Etats membres sont appelés à une mise en œuvre rapide de cette stratégie.
Quant au Mali, il a adopté en 2008 une loi réprimant le terrorisme. Il s’agit de la loi N°08-27/AN-RM du 04 juillet 2008 qui incrimine le terrorisme à travers des actes précis qui sont une sorte de ratissage à travers les différents textes internationaux sur le terrorisme. Cette loi tente en quatre chapitres de définir le terrorisme par certains actes, d’incriminer le financement du terrorisme, de préciser certaines procédures particulières avant de préciser les sanctions encourues par les personnes, auteurs de terrorisme. Cette loi de 13 articles est une sorte de volonté inachevée du législateur malien dans la lutte contre le terrorisme et aujourd’hui elle est totalement inadaptée à la situation qui se profile au Mali et aux enjeux qui lui sont inhérents.
Le Mali aura donc besoin d’afficher une volonté plus forte de lutte contre le terrorisme en renouvelant ses moyens et ses instruments juridiques.
Les treize impératifs de la lutte contre le terrorisme au Mali
- L’enjeu de la question exige l’élaboration d’une véritable politique de lutte contre le terrorisme cette politique permettrait d’éviter l’improvisation et l’amateurisme qui sont impardonnables en la matière. Cette politique nationale doit tenir compte des stratégies de l’ONU en matière de lutte contre le terrorisme et adhérer ou ratifier les instruments internationaux de lutte contre le terrorisme.
- La lutte contre le terrorisme a des conséquences sur les comportements quotidiens des citoyens. Ils doivent être vigilant et par cette vigilance apporter une aide précieuse aux forces de sécurité. On sait, bien par ailleurs que le terroriste n’a ni odeur particulière ni apparence singulière. En revanche certains comportements et certaines attitudes de la part d’un terroriste peuvent attirer l’attention. Les terroristes se caractérisent surtout par leur incapacité à se séparer ou à dissimuler l’idéologie de la terreur dans laquelle ils baignent. La vigilance des populations ne concerne pas seulement des personnes suspectes mais aussi des situations et des choses (colis suspects par exemple).
- Lutter contre le terrorisme suppose à la fois la répression des actes de terrorisme proprement dits, le financement du terrorisme, mais aussi de mener un énorme travail de prévention.
- Il faut nécessairement renforcer la coopération entre les différents services maliens chargés de la protection des personnes et des biens en les aidant à dépasser certains complexes dangereux. Le gouvernement du Mali et les services de renseignements maliens doivent rechercher une coopération étroite avec les services de renseignement des « pays amis », notamment en termes d’échanges d’informations et d’actions conjointes.
- Le Mali, pour réussir à circonscrire cette menace, désormais réelle, doit concomitamment et âprement lutter contre le terrorisme et la corruption au sein des organes chargés de la sécurité. Aucune lutte contre le terrorisme, qui est loin d’être une criminalité ordinaire, ne sera possible si on passe à tous les points sensibles du Mali avec la même facilité qu’on le fait en rentrant dans son salon. Il faut mettre en place des dispositifs sécuritaires faisant appel à la fois aux compétences humaines et aux technologies.
- Aussi, un des axes de la lutte contre le terrorisme doit être constitué par la formation adaptée des agents de renseignements maliens pour leur permettre d’être plus efficaces dans le travail d’identification, d’infiltration, d’observation et de surveillance des organisations à risque. Aussi faudra t-il que le gouvernement du Mali opte très rapidement pour une formation de juges spécialisés dans le domaine de la lutte antiterroriste.
- Il faut rapidement mettre en place une cellule nationale de lutte contre le terrorisme et la doter de moyens humains, techniques et financiers nécessaires pour ses missions.
- La mise en place d’un véritable fichier d’identité judiciaire (base de données des empreintes digitales et génétiques) la création et l’équipement d’un laboratoire performant de police scientifique sont autres instruments indispensables pour réussir la lutte contre le terrorisme.
- Lutter non seulement contre le financement du terrorisme mais aussi contre l’apologie du terrorisme ce qui amènerait à contrôler certains discours notamment les prêches dans les lieux de culte.
- Former les imans et les prêcheurs et faire en sorte que la profession de prêcheur soit soumise à des critères stricts tels l’autorisation du département des cultes crée par le gouvernement du Mali.
- Sensibiliser la population sur les enjeux réels de la lutte contre le terrorisme.
- Exercer un contrôle sur le financement de certaines organisations et lutter contre le blanchiment de capitaux.
- Lutter efficacement contre le trafic des stupéfiants, première sources de financement du terrorisme.
Par Dr Bouréma KANSAYE, Criminologue FDPRI/USJPB