Après avoir averti, il y a quelques mois des bouleversements d’alliances qui allaient intervenir dans le Sahel, conséquemment à la crise franco-malienne et fait des suggestions prévisionnelles au CMT en vain, nous entamons une phase nouvelle plus risquée avec cette décision unilatérale.
1) Le Mali est le justificatif de la création même du G5 Sahel et chacun des pays membres a toujours tenté de tirer ses dividendes à partir et en fonction de la situation sécuritaire au Mali.
2) Le retrait du Mali rompt la continuité territoriale du G5 Sahel, en fonction de laquelle les stratégies et les structures de cette jeune organisation ont été conçues : la Mauritanie, pays du siège et seule hors zone CFA, se trouve isolée à l’Ouest, et les deux autres pays frontaliers du Mali et membres du G5 Sahel (Burkina Faso et Niger) se retrouvent dépouillés de la mutualisation des moyens et des forces prônée par la stratégie sécuritaire et développement transfrontalier définie par le G5 Sahel.
3) Le Tchad, qui avait deux entrées en force sur la scène sahélienne, à savoir la Minusma et la Force Conjointe du G5 Sahel, s’est tiré une balle dans le pied, en refusant sans raison valable de passer le relais de la présidence tournante au tour du Mali. Les deux pays étant tous deux en transition, aucun ne pouvait donner des leçons à l’autre, en le boycottant !
4) Le Mali s’en tire bien en faisant porter toute la responsabilité de la disparition du G5 Sahel à la seule attitude incompréhensible du Tchad : il aurait fallu tenir cette conférence des chefs d’État, par exemple au siège en Mauritanie, pour évaluer ensemble avec les autres pays membres, y compris le Mali, de la situation générale, ce qui aurait permis de trouver une solution provisoire de présidence intérimaire acceptée par le Mali et préserver la solidarité sahélienne exemplaire.
5) Malheureusement, la mauvaise manœuvre du Tchad lui lègue le poids d’une organisation désormais paralysée et brisée territorialement. Le Tchad a-t-il un Plan crédible de sauvegarde des quelques acquis de coopération inter-pays que le G5 Sahel avait pu créer ?
6) La junte militaire du CMT a bénéficié de la bienveillance accordée par les occidentaux au MIDI pour l’utilisation des soldats tchadiens dans l’imbroglio malien et sahélien. C’est pourquoi la transition actuelle est traitée d’un autre poids et mesure que celles du Mali, de la Guinée et du Burkina Faso. Maintenant que le CMT se désolidarise du Mali, cette bienveillance internationale va perdre sa saveur.
7) Même si le Mali ne prendra pas l’initiative de demander le départ des troupes tchadiennes de la Minusma, cette présence militaire dans une présomption d’hostilité, ne servira plus aux intérêts du Tchad lui-même qui devrait décider d’une stratégie propre de sortie du piège où il s’est fourvoyé !
En effet, quand l’on voit les exigences techniques évoquées par la France pour le retrait de Barkhane du Mali, combien de fois les troupes tchadiennes et surtout avant le terme de leur mandat ? Le retour non planifié de troupes après expatriation, pourrait causer de gros soucis au niveau pays même !
9) La grosse erreur de la partie tchadienne, malgré nos avertissements, c’est de n’avoir rien anticipé : la forte position du Tchad au Sahel n’avait pas besoin d’être mêlée à la guerre froide franco-russe. Le Tchad pouvait et devrait se faire respecter par les deux puissances étrangères et leurs alliés et tirer de grands avantages pour ses intérêts nationaux et stratégiques. Malheureusement, la navigation à vue ou le suivisme systématique a piégé notre pays dans la problématique sahélo-africaine, où nous étions pourtant bien positionnés.
10) Car le soutien du CMT à la France contre des Africains, c’est une grave et grossière erreur : il n’était pas nécessaire de s’exposer, au point maintenant de gérer une opinion publique de plus en plus hostile et imbu du fameux sentiment anti-français ! Comment le CMT compte-t-il mener des batailles sur plusieurs fronts insaisissables : la déception des sahéliens, la probable disparition du G5 Sahel, le sentiment anti-français à l’intérieur du pays et la sympathie ouverte de certains milieux opposés à Popov comme alternative au départ de la France ?
11) Le G5 Sahel ne devrait pas être instrumentalisé dans cette guerre froide et le Tchad doit absolument faire tout pour obtenir le retour du Mali et que le sort de cette organisation régionale soit décidé entre Africains à cinq et non unilatéralement par un pays ou pour le compte d’un conflit avec un partenaire extra-continental!
12) Voyez, même l’Allemagne européenne tente de contourner les conséquences de la crise franco-malienne, en envisageant la possibilité de renforcer sa présence dans la Minusma, en fonction de ses intérêts propres dans le Sahel, sachant qu’elle ne pourra pas endosser solidairement la totalité des déboires de la politique française en Afrique, devenue obsolète ?
13) C’est pour ces raisons et d’autres que le Tchad a besoin de mieux valoriser ses atouts dans la sous-région, en se comportant comme un pays indépendant qui sait identifier ses vrais intérêts et développer ses propres stratégies à son avantage. À défaut, nous scions la branche sur laquelle nous nous croyons assurés et le futur s’annonce plus compliqué si l’approche globale et les motivations de ceux qui sont au pouvoir ne se mettent pas à jour !
Enoch DJONDANG
Ancien coordonnateur point focal du G5 Sahel pour le Tchad depuis sa création en 2014
Admistrateur Juriste Essayiste
Témoignage de Satisfaction des FDS tchadiennes
Ancien Ministre et Ancien Activiste des Droits Humains
Matomo Bamanan
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