3-L’ACALAN à l’œuvre
En effet, aussitôt créée, l’ACALAN s’est révélé un rôle de catalyseur et une fonction de coordination dans le cadre de la promotion des langues africaines.
Remarquons, tout de même, que sa création procède de la foi panafricaniste, du courage politique et du combat scientifique du professeur Alpha Oumar KONARE, président de la République et chef d’Etat du Mali. Il a su, par la suite, en faire institution spécialisée de l’Union Africaine, aidé en cela par son statut de président de la commission de l’UA et par une équipe compétente et dynamique dirigée par le ministre Adama SAMASSEKOU.
3.3.1-Bref aperçu sur la mise en place institutionnelle de l’ACALAN
La mise en place intentionnelle de l’ACALAN s’est déroulée en deux périodes : transitoire et intérimaire.
La période transitoire (2001-2006)
Elle couvre la période janvier 2001-Mai 2006, peut être saisie sur le double plan, institutionnel et scientifique. Sur le plan institutionnel, après sa création par décret N°00636/P-RM du 19 décembre 2000, sous le nom Mission de l’Académie des Langues Africaines (MACALAN), l’institution a eu son parcours pour devenir l’Académie des Langues Africaines (ACALAN).
La période transitoire a été dirigée par un staff malien. Selon Le Bulletin de l’ACALAN N°004 de novembre 2009, l’histoire institutionnelle de la MACALAN pendant la période transitoire peut se découper en quatre étapes : a) la validation scientifique et technique, b) la validation politique, c) la validation juridique et institutionnelle et d) la validation internationale.
Sur le plan de la recherche, plusieurs activités ont été menées comme la participation au congrès mondial des linguistes à Barcelone en 2003, à la conférence mondiale des linguistiques africains, la présidence du réseau thématique “langues africaines et développement du contenu dans le cyberespace” etc…
La période intérimaire (Juin 2006-Decmbre 2009)
Cette période a enregistré des résultats importants sur le plan institutionnel. L’ACALAN est devenue une institution spécialisée de l’Union Africaine lors de son sommet de janvier 2006 (l’Assembly/AU/Dec.95/ (VI)). Elle a son siège à Bamako. Les membres du Conseil d’Administration et de Secrétariat Exécutif intérimaires ont été installés dans leurs fonctions le 20 juin 2006 au siégée l’Union Africaine à Addis-Abeba. Puis commença la mise en œuvre des feuilles de route de la session inaugurale du Conseil d’Administration (Addis-Abeba, 20-21 juin 2006), de sa deuxième session (Bamako, 5-7 juin 2008) et des programmes d’activités validées par ces sessions.
En termes d’activités et/ou des résultats de recherche acquis pendant la période intérimaire, on peut retenir la célébration de l’Année des langues africaines-ALA-lancée le 20 juin 200, l’organisation d’une ”Retraite” à Bamako du 09 au 11 Mai 2007 dont sont issus le plan stratégique décennal de l’ACALAN, assorti d’un plan d’action quinquennal et d’un document de projet pour l’Atlas linguistique africain.
Certains projets prévus par ces documents sont en cours d’exécution comme l’Atlas linguistique de l’Afrique, l’élaboration d’une pochette de 16 petits livres en cours de traduction dans grandes langues africaines au compte du Projet Les contes et récits à travers l’Afrique basé à Cape Town (Afrique du Sud), la mise en œuvre du Programme de Maitrise et de Doctorat en Linguistique Appliquée basé à Yaoundé dans le cadre des universités de Yaoundé I, Cape Town et Addis-Abeba.
L’ACALAN était à la recherche de financement pour les projets suivants : Le projet de terminologie et de lexicographie de l’Institut de Kiswahili de Dar-Es Salam (Tanzanie), Le centre Panafricain d’Interprétariat et de Traduction de Bamako du de l’ACALAN de Bamako et le projet “Langues Africaines et Cyberespace” d’Addis-Abeba.
Mais incontestablement l’activité scientifique majeure de la période intérimaire fut la tenue des colloques régionaux sur “Politiques nationales : le rôle des langues transfrontalières et la place des langues de moindre diffusion en Afrique” entre 2006 et 2008 et du colloque de Synthèse des colloques Régionaux sur le même thème. Le forum international sur le multilinguisme a, également, été organisé à Bamako du 19 au 21 janvier 2009. Les résultats de ce forum furent importants : L’engagement de Bamako pour un multilinguisme universel, Le Plan d’Action de l’Engagement de Bamako pour un multilinguisme universel et le Schéma Directeur de partenariat entre les langues nationales et les langues du Nord dans les systèmes éducatifs.
3.3.2 Acquis et perspectives de l’ACALAN
Au regard de l’analyse des documents et des activités de l’ACALAN, des acquis majeurs pour “La promotion véritable” (Selon l’expression du professeur Cheikh Anta DIOP) ont été obtenus : Identification de quarante et une langues transfrontalières véhiculaires, dont douze ont fait l’objet de mise en place de commissions, 2) Etablissement de quinze commissions de langues transfrontalières, 3) transformation des domaines prioritaires des commissions de langues transfrontalières véhiculaires en projet réalisables , 4) harmonisation et normalisation des systèmes d’écriture des langues transfrontalières véhiculaires (Fulfulde, hausa, mandenkan, wolof, Setswana, Chichewa, Chinyanja), 5) renforcement des capacités des commissions des langues transfrontalières (Chinyanja, Setswana, Fulfulde, Hausa, mandenka, Kikongo et Lingala),
6) Formation des enseignants en langues africaines (méthodologie LI), 7) La formation des professionnel des medias dans les langues africaines, 8) le développement d’un correcteur d’orthographe pour la langue transfrontalière Hausa, 9) développement d’un cadre méthodologique pour la création de la terminologie et la lexicographie et 10) le lancement d’un projet pour développer un corpus pour les langues africaines : Fulfuldé, Kiswahili, Wolof et Yoruba.
D’autres résultats majeurs sont à noter sur le plan institutionnel comme la mise en place du conseil scientifique et technique et de l’Assemblée des Académiciens au niveau des organes de l’ACALAN. Au niveau structures de travail de l’académie, on peut citer les structures nationales de langues (SNL) dans chaque Etat membre et les commissions de langues transfrontalières véhiculaires (CLTV).
Les perspectives de l’ACALAN doivent être définies à la lumière des défis auxquels l’académie est confrontée. Et ces défis ont pour nom : l’inachèvement de l’architecture institutionnelle de L’ACALAN, la non construction de son siège, la mise à disposition des ressources financières et matérielles suffisantes, la nécessité d’instrumentaliser et d’implémenter les langues africaines au double plan du statut et du corpus, la nécessité d’une politique d’unification linguistique aux échelles nationale et continentale, la nécessité de créer un environnement lettré et multilingue, l’élaboration d’une démarche et d’outils didactiques pour introduire et enseigner dans les langues africaines à tous les niveaux des systèmes éducatifs etc…
Les perspectives de l’ACALAN s’imposent, dès lors, d’elles-mêmes : le parachèvement de l’architecture institutionnelle de l’ACALAN, la construction de son siège, la mobilisation des ressources financières et matérielles pour la réalisation et/ou la poursuite des projets majeurs de l’académie, la nécessité de la politique d’aménagement linguistique aux échelles nationale et continentale, l’introduction des langues africaines dans le systèmes éducatifs et l’enseignement dans ces langues, “la nécessite d’une décision politique à prendre par chaque Etat membre de l’Union Africaine pour redonner aux langues africaines la place et le statut qui sont les leurs, en partenariat avec les langues héritées de la colonisation … “ conformément “aux orientations de la Charte de la Renaissance culturelle africaine et du plan d’Action linguistique pour l’Afrique” (Bulletin de l’ACALAN, N°4, p.29).
En manière de conclusion, ma conviction :
L’avenir linguistique de l’Afrique sortira des travaux du professeur Cheikh Anta DIOP. L’ACALAN affiche, aujourd’hui, plus de six à sept décennies après les préoccupations du professeur DIOP et avec moins d’ambitions que lui. Le cas est si important qu’en 1979 encore, Cheikh Anta notait que “ce fut le vide autour de lui” quand il abordait les questions que Nations Nègres et culture… traitait en 1954 parmi lesquelles “la parenté linguistique entre l’Egypte et l’Afrique Noire” et “la démonstration de l’aptitude de nos langues à supporter la pensée scientifique et philosophique et partant, la première transcription africaine non ethnographique de ces langues etc…” (Nations nègres… : 5 et 6).
Aimé CESAIRE, s’étant désespérément retrouvé dans un vide paradoxal à la recherche de volontaires pour défendre Nations nègres et culture, (DIOP, Nations nègres… TI : 5), a solennellement écrit : ” Nations nègres et culture-[Le livre]le plus audacieux qu’un nègre ait jusqu’ici écrit t et qui comptera, à n’en pas douter, dans le réveil de l’Afrique” (Discours sur le colonialisme, Paris, P.A, quatrième édition, 1962, p.40).
La création de l’Académie Africaine des Langues par l’Union Africaine, sur initiative du président Alpha Oumar KONARE du Mali donne raison à posteriori et post mortem au professeur Cheikh Anta DIOP, qui écrivait que des questions comme ” la véritable promotion des langues africaines ” ( DIOP, TAXAW, N°6, 1977, p.11 et 13), ” le développement des langues africaines “(DIOP, Nations nègres…T.II, pp.415-521) ; ” l’unité linguistique de l’Afrique” (DIOP, Les Fondements, 1960 : 20-29), le Swahili comme “langue de gouvernement et de culture” de “l’Afrique noire unifiée” (DIOP, 1967, Antériorité des civilisations nègres … : 112-114) etc… “Ne font plus frémir les intellectuels africains. Mieux, on sait que depuis plus de dix ans l’UNESCO a fait siennes une bonne partie de ces idées touchant… au développement de nos langues nationales” (DIOP, Nations nègres… 1979, T.I, p.6). L’UNESCO qui fait ‘‘siennes” les idées des Cheikh Anta “touchant au développement de nos langues nationales” et l’ACALAN qui se crée” pour assurer le développement de ces langues en tant que facteurs d’intégration et de développement… que de chemin parcouru depuis” (DIOP, Nations nègres… 1979 ; T.I, p.6).
L’Antériorité des thèses de Cheikh Anta en matière de politique et d’aménagement linguistique pour l’Afrique conforte leur pertinence et leur précocité dirimantes, aujourd’hui, reconnues et tombées sous le sens commun.
Nonobstant, c’est le lieu de remarquer que les Etats africains isolement pris , l’ACALAN et l’Union Africaine resteront en deçà de la hardiesse des thèses de Cheikh Anta en matière de politique et d’aménagement linguistique, tant qu’ils n’auront pas posé comme condition nécessaire ou réalisé l’unité fédérale régionale ou continentale de l’Afrique. Car, pour le professeur DIOP “l’Unité linguistique domine toute la vie nationale. Sans elle, l’unité nationale et culturelle n’est qu’illusoire, fragile” (Les Fondements… p.19).
Au de-là des considérations politiques et techniques, Cheikh Anta était convaincu “de la nécessité d’une culture fondée sur les langues africaines”. Il posait “comme condition préalable d’une vraie renaissance africaine, le développement des langues indigènes”. Car, pour lui, “le problème culturel par excellence s’avère donc le suivant : celui de la création de langues appropriées aux besoins d’expression de tous les ressortissants africains quel que soit leur niveau culturel” (DIOP, 1948 : 57-65).
Enfin, il ne concevait pas l’unité linguistique en dehors de l’Etat fédéral africain. En 1956 ; il posait, en effet le problème de la langue ainsi “comment faire, pour que dans le cadre d’un Etat multinational, chaque Etat fédéré soit doté d’une expression locale et que l’ensemble soit coiffé d’une langue officielle dans le meilleur des cas” (Revue présence africaine N° spécial VIII-IX-X, tome I, pp.339-346).
Sous ce regard, jusqu’à preuve du contraire, l’ACALAN parait être ce que Cheick Anta DIOP appelait en 1960 la “commission interterritoriale compétente, inspirée par un très profond sentiment patriotique, à l’exclusion de tout chauvinisme” (Les Fondements… p.23) mais sans le cadre fédéral et multinational, les prérogatives et le pouvoir, voire les objectifs qu’elle aurait eu dans ce cadre.
Il faut, toutefois, prendre ce qu’elle a fait et/ou est en train de faire en espérant que dans et pour le cadre du futur Etat fédéral africains, son énorme travail puisse constituer l’indispensable étape, matériau et preuve de la possible unité linguistique. Il est vrai à compléter, réorienter et capitaliser.
Harouna BARRY