Le mirage de la séparation des Pouvoirs Publics au Mali.

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Généralement, la séparation des pouvoirs est ce principe politique selon lequel les fonctions des institutions publiques sont séparées entre le pouvoir législatif qui adopte les lois, l’exécutif qui les met en œuvre et les fait appliquer et le pouvoir judiciaire qui les interprète et suit leur mise en œuvre. Le principe de la séparation des pouvoirs préconise de séparer les différentes fonctions de l’État, afin d’éviter l’arbitraire et d’empêcher les abus liés à l’exercice de missions souveraines. Toutefois pour que la République ne sombre pas dans une anarchie institutionnelle, il est loisible de cultiver une collaboration et des contrepoids entre les trois pouvoirs e. Selon Montesquieu : « pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir… c’est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser… ». Cette pensée de Montesquieu est matérialisée dans la Constitution du Mali du 25 février 1992 qui délègue aux trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire des rôles spécifiques et une collaboration nette afin d’aboutir à une gouvernance républicaine efficace.

Bien qu’elle dispose de pléthore de méthodologies, la séparation des pouvoirs publics demeure un des principes phares de la démocratie, qui atténue le pouvoir excessif des hommes dans la République, à l’inverse des monarchies absolues comme l’Arabie Saoudite où les souverains et leur famille ont l’ensemble des pouvoirs concentrés entre leurs mains. Lors de l’accession du Mali à la démocratie au début des années 1990, le législateur malien a opté pour une séparation des pouvoirs notoires afin que la République soit non seulement plus puissante que ceux qui l’animent tout en restant juste et équitable pour ne pas écraser le peuple.

Cependant, il faut savoir que le pouvoir exécutif relève du  Président de la République, Premier responsable de l’Etat, élu pour 5 ans. A cet effet et selon la Constitution du Mali, le Président de la République peut « …soumettre au Référendum toute question d’intérêt national, tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics… » (art. 41), « …après consultation du Premier Ministre et du Président de l’Assemblée Nationale, prononcer la dissolution de l’Assemblée Nationale… » (art. 42), il «   est le Président du Conseil Supérieur de la Magistrature. Il exerce le droit de grâce. Il propose les lois d’amnistie. » (art. 45). Toutefois, le pouvoir exécutif est administré par le Gouvernement sous l’égide de son Premier Ministre.

Le pouvoir législatif  sous l’impulsion de l’Assemblée Nationale est composé de 147 députés élus pour 5 ans au suffrage universel direct (Titre V Const Rép du Mali). Les députés élisent en leur sein, le Président de l’Assemblée Nationale pour la même durée dès la 1ère séance de la législature (Titre I règlement intérieur de l’AN). Sans équivoque, le parlement joue un rôle prépondérant dans l’animation de la démocratie dans la mesure où  les députés ont pour rôles principaux de voter les lois, contrôler l’action gouvernementale afin que le gouvernement reste dans sa mission régalienne, c’est-à-dire être au service du peuple et de son bien-être. Le rôle subséquent à ces deux piliers est non moins celui de la représentation nationale, principe par lequel la légitimé populaire est conférée aux députés. Raison pour laquelle ils bénéficient d’immunités parlementaires : « Aucun membre de l’Assemblée Nationale ne peut, pendant la durée des sessions être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu’avec l’autorisation de l’Assemblée Nationale, sauf en cas de flagrant délit…la détention ou la poursuite d’un membre de l’Assemblée Nationale est suspendue si l’Assemblée Nationale le requiert. » (art 62). En même temps, ils sont mis à l’abri de tout mandat impératif : « tout mandat impératif est nul » (art 64 const Rép du Mali).

A première vue, cette répartition semble manifester le mécanisme type de la bonne gouvernance et d’une démocratie efficiente.  Cependant, il faudrait se poser des questions quant à la mise en œuvre de cette séparation de pouvoir et la théorie de non redevance des hauts fonctionnaires de chaque branche de pouvoir à l’égard des autres pouvoirs et/ou des colorations politiques.

Quand nous essayons d’analyser succinctement la procédure de désignation des 9 membres de la Cour Constitutionnelle : trois sont nommés par le Président de la République, trois par le Président de l’Assemblée Nationale et trois Magistrats désignés par le Conseil Supérieur de la Magistrature qui est en même temps présidé par le Président de la République.

En effet, l’élection du Président présage une mutabilité  sur l’élection des députés à l’Assemblée. Le Président de l’Assemblée nationale provient en général du parti du Président de la République. Cet état de fait tend à amener une collaboration pacifique entre les deux pouvoirs, atténue le débat politique et peut créer le ‘’pouvoir’’ du parti siégeant au sommet de l’Etat, surtout lorsque l’actuel  Président de l’Assemblée est élu avec un score de 138 contre 8 sur 147. Ce qui dénote d’une insuffisance force d’opposition et de contradiction au sein de l’Assemblée.

Aussi, la nomination des membres de la Cour constitutionnelle met en lumière les obstacles de la séparation des pouvoirs en République du Mali. En effet, la Cour Constitutionnelle « …est juge de la constitutionnalité des lois et elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques.  Elle est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des Pouvoirs Publics. » (art 85 Const Rép du Mali). Mais il faut comprendre qu’elle est composée de 6 membres sur 9 nommés directement par le Président de l’Assemblée nationale et le Président de la République (tous les deux membres d’un même parti politique) et les 3 restant nommés indirectement par le Président de la République (Président du Conseil Supérieur de la magistrature).

A la lumière de tout ce qui vient d’être évoqué, il paraît nécessaire de mener une réflexion sur la limitation des pouvoirs du Président de la République. Seule la révision de la Constitution peut apporter des réponses à certaines préoccupations, mais il faudrait encore promouvoir la morale, l’esprit de la non redevabilité, de l’éthique et la déontologie dans l’exercice des hautes fonctions, étant donné que le hic dans la politique au Mali réside dans les faits et la redevabilité des fonctionnaires. Il faut savoir qu’une révision constitutionnelle est en cours et cette révision devrait prendre en compte la désignation des membres de la Cour Constitutionnelle, la dissolution de l’Assemblée tout en faisant en sorte que ladite relecture ne soit pas une occasion pour toucher à la durée du mandat du Président de la République. Il faut également veiller à promouvoir le débat politique contradictoire au détriment de la collaboration pacifique entre Assemblée nationale et Gouvernement. Aussi,  il faut limiter l’influence du Président sortant quand il est candidat à sa réélection dans la mesure où les résultats provisoires sont fournis d’une part, par le ministère en charge des collectivités qui organise les élections et est indirectement sous ses ordres, et d’autre part les résultats définitifs par la Cour Constitutionnelle dont il nomme  des membres. Ce qui fait que dans certains pays comme Madagascar quand le Président est candidat à sa réélection, il doit démissionner de son poste à l’approche des élections.  

 

Mahamadou A TRAORE

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