Depuis bientôt deux années, des lobbyistes européens (notamment espagnols) de l’implantation massive de machines à sous en Afrique de l’Ouest, sillonnent les couloirs et les bureaux de certaines institutions du Mali, après avoir fait chou blanc dans plusieurs pays de la sous-région. Leur objectif ? Trouver dans l’administration malienne, tant exécutive que parlementaire, des cadres peu scrupuleux et prêts à diligenter un processus de démantèlement du dispositif législatif et règlementaire très strict, mis en place par la Troisième République sous Alpha, et renforcé par le Président Amadou Toumani Touré.
La politique actuellement en vigueur en la matière est, en effet, fondée sur une stricte règlementation des jeux de hasard. Il a en été ainsi dans tous les pays du monde à un certain stade de développement national. La règle, partout, repose sur le souci premier et fondamental de protéger les populations, notamment les personnes de faibles revenus, contre les effets pervers et dévastateurs de l’inéluctable propension à une dangereuse addiction au jeu. De les prémunir de la forte dépendance notoirement induite par la pratique des machines à sous, les manchots, comme on les appelle dans le jargon du milieu. En somme, de les préserver des effets néfastes du jeu pathologique.
De la gouvernance Alpha Oumar Konaré, il est ressorti une stricte législation des jeux de hasard électroniques, par la loi 96-021 assortie d’un décret et d’un arrêté qui en précisent le contour, avec pour objectif l’organisation de ces jeux conformément à la norme usuelle internationale afin d’en éviter la prolifération et de renforcer les conditions sécuritaires.
Dans la même veine, la gouvernance Amadou Toumani Touré, par la loi 03-025, a pris soin, dès son article 1er , d’exclure ces jeux du domaine d’activité du PMU Mali. Il est en effet évident que dans le contexte actuel du Mali, permettre au PMU de se lancer dans l’exploitation de ces jeux, de sa propre initiative comme par l’intermédiaire de partenaires laissés à sa discrétion, c’est courir le risque de voir l’épicerie du quartier s’ériger en établissement spécialisé de type casino.
De fait, tout le monde se souvient qu’à la fin des années 80, des centaines de machines à sous avaient colonisé de nombreux bars, restaurants et hôtels de Bamako. Des pères de familles y allaient allégrement jouer, et perdre leurs nansongons. Des retraités, notamment parmi les Anciens Combattants, allaient piteusement y dilapider leurs pensions aussitôt perçues. Des jeunes, souvent mineurs, évoluant en véritables accros, finissaient par tristement sombrer en véritables rats de bistrots. Des gestionnaires de deniers publics allaient y engloutir des sommes faramineuses, se faisant ainsi cravater au moindre contrôle interne. Les drames dans les familles étaient tels que, notamment sur pression des Ulémas, le régime de Moussa Traoré organisa une rafle spectaculaire et retentissante de ces " manchots ". Ils sont restés longtemps stockés, sans aucune précaution de remisage du reste, dans la cour du camp 1.
Résultat : L’Etat, induit en erreur par quelques fonctionnaires indélicats, du même acabit que ceux s’agitant en vue de faire sauter le verrou législatif actuel, eut à payer de lourds dommages et intérêts, les opérateurs étrangers impliqués détenant alors des autorisations administratives, certes intempestives, voire abusives, mais formellement conformes.
Et voilà : Econduits, autant par la Transition que par la Troisième République, et spéculant sur la baisse de vigilance inhérente à toute période de fin de mandat non renouvelable, ces vautours sont de retour dans nos murs ! Seraient-ils en passe de réussir enfin leur coup ?
UNE PROPOSITION DE LOI ET UNE ORDONNANCE IDENTIQUES ET CONCOMITANTES
En effet, une proposition de loi est déposée par des députés sur la table de l’Assemblée nationale depuis la dernière session parlementaire. Elle tend à relire en catimini la loi régissant les courses de chevaux et les jeux de hasard au Mali, afin d’y introduire une certaine libéralisation qui aurait pour effet une prolifération des machines à sous dans le pays. Et il est permis de penser que cette loi aurait déjà été votée, si par bonheur, le Code de la Personne et de la Famille n’avait provoqué la grogne que l’on sait au sein des populations, conduites dans une remarquable union par les grands Imams du Mali, toutes sensibilités confondues. Une telle loi, votée dans un tel contexte, aurait infailliblement constitué une étincelle propice à un véritable embrasement du pays. Elle n’a donc pas été soumise au vote. Elle a été renvoyée. C’est dire qu’elle reste en instance et devrait, en toute logique, figurer dans l’ordre du jour de la prochaine session du parlement malien.
Cette situation contrariant les projets de nos businessmen de circonstance, car les choses n’allant pas suffisamment vite pour eux, les agents de l’administration qu’ils manipulent dans cette sinistre affaire avaient entamé une autre procédure législative durant la dernière inter-session. Celle-ci envisageait de faire prendre par le Conseil de ministres du 15 septembre dernier une ordonnance relisant la loi en vigueur sur les courses de chevaux et sur les jeux de hasard. Du jamais vu en démocratie parlementaire : Le pouvoir exécutif aurait ainsi pris une ordonnance pour légiférer dans une affaire législative pendante devant le parlement. Une manière anticonstitutionnelle de contourner ce dernier, en quelque sorte. Sans compter que cette relecture, concoctée dans la précipitation, présentait, en outre, l’inconvénient majeur d’entrer en contradiction avec d’autres lois en vigueur en la matière.
Encore une fois par bonheur, cette procédure, elle non plus, n’a pas prospéré. Ses tenants, ayant réalisé in extremis son incohérence, et, surtout, sachant le Président Amadou Toumani Touré très vigilant dans le suivi de ce secteur d’activité, se sont ravisés à la dernière minute. La procédure, finalement interrompue, a été renvoyée à une commission ad hoc chargée de procéder aux mises en cohérence adéquates. On ne sait si elle fera l’objet d’un projet de loi pour la présente session, ou plutôt d’une ordonnance qui serait prise aussitôt celle-ci close.
Ainsi donc, sont en dormance dans les deux institutions maliennes à qui reviennent l’initiative des lois, au même moment et de façon parallèle, un même projet, aussi anti national qu’anti peuple, et dont la finalisation serait tout-à-fait catastrophique pour le Mali.
S’il est vrai qu’il est temps d’envisager l’amélioration des performances de PMU Mali, c’est moins en terme d’élargissement de son domaine d’activité qu’en celui de mettre fin à l’opacité qui règne dans la gestion de cette entreprise, et sur laquelle nous reviendrons dans un prochain article. Il urge en effet de faire en sorte que le PMU Mali gagne en transparence, tant du point de vue de l’identité et de la qualité de ses actionnaires, que de celui de son fonctionnement (gestion de la prise des paris, refus d’installer le système " pari sur un cheval ", traitement quasi manuel de la réception des mises en provenance des kiosques ainsi que de la détermination de la masse à partager, refus d’avoir en face un syndicat des parieurs, etc.). Pour que finisse enfin cette situation d’opacité extrême propice à toutes sortes de déperditions financières. Mais, répétons-le, nous y reviendrons.
En tout cas, il serait vraiment dommage que le bilan du Président Touré, qui a époustouflé et émerveillé le monde entier lors de la célébration du cinquantenaire, soit terni ou maculé par les taches que constituerait une dissémination des machines à sous sur le territoire malien. Surtout en cette période où une telle multiplication aurait également pour effet de donner un dangereux coup de fouet au blanchiment d’argent sale. Ce qui ferait du Mali le Las Vegas de l’ouest africain.
Par Abdel Aziz Coulibaly