Le fait partisan au Mali, l'envers du décor

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La mise sur orbite ces derniers jours de deux nouvelles formations politiques à savoir le fameux parti présidentiel (PDES), et le parti YELEMA de l’ex-maire de la commune IV remet au goût du jour la problématique liée à la pléthore des formations politiques au Mali. Ces deux nouveaux partis s’ajoutent à la centaine déjà existante portant, du coup, le nombre de partis politiques recensés au niveau de l’administration territoriale à plus de 130. Qui dit mieux ! Un chiffre effarant pour notre pays et pour notre jeune démocratie. Bien entendu, cette déferlante de création de partis politiques ne fait pas que des heureux, c’est le moins qu’on puisse dire. Par sa perversité, elle met à nu cette fourberie et cet égoïsme qui ont toujours caractérisé les politiciens, une situation qui, naturellement, porte préjudice à l’intérêt commun et écorne à maints égards la belle image de notre démocratie. 

Pour rappel, le multipartisme intégral a été instauré au lendemain de la chute de Moussa Traoré, une façon pour le peuple Malien d’exorciser les affres des années de dictature, de brimades et de confiscation de liberté. L’idée était de mettre en œuvre une nouvelle forme de conquête et d’exercice du pouvoir politique de la manière la plus libre possible et la plus absolue, où le peuple avait réellement voix au chapitre.

     Ainsi, les premiers partis politiques de l’ère démocratique virent le jour animés par les acteurs du mouvement démocratique et les leaders des partis des années de l’indépendance ressuscités à la faveur de la démocratie naissante. L’ADEMA, le CNID, le PDP, l’UFD, le RDP, le PUDP, l’USRDA, le PSP furent avec d’autres, les premiers partis politiques post 26 Mars crédités d’une adhésion populaire certaine à travers le pays.

     Outre les deux partis historiques, l’ADEMA et le CNID constituaient à l’époque les deux mastodontes qui se partageaient la crème de l’intelligentsia malienne avec des options politiques claires : socialisme d’un côté, et l’option libérale de l’autre. A l’époque, la  bipolarisation politique avait droit de cité par la clarté et l’homogénéité du fait partisan ; les lignes de démarcation étant claires et les convictions politiques bien affirmées.

 Cependant, l’appétit des uns et des autres dans la conquête et l’exercice du pouvoir politique a ébranlé tout cet édifice. Les premiers remue- ménages en termes de trahison, de scission, de nomadisme de la part des politiciens remontent aux premières élections présidentielles de 1992. Certains n’ayant pas été choisis comme candidats de leur parti aux élections présidentielles, n’ont pas hésité à créer leur propre formation politique. D’autres, pour des raisons d’opportunisme politique et d’intérêts égoïstes en ont également profité,  même si l’ampleur et la gravité du phénomène étaient moins visibles.

Aujourd’hui, la création d’un parti politique au Mali relève de la banalité. N’importe quel quidam pour satisfaire son égo ou parvenir à ses fins peut créer son parti politique, et il faut noter que sur la centaine de partis politiques enregistrés, plus des 2/3 sont en hibernation ne donnant un semblant d’existence que lors des périodes électorales pour des marchandages et autres combines frauduleuses. Combien de partis politiques au Mali peut se targuer d’avoir un véritable siège, qui me semble-t-il est un minimum pour tout parti digne de ce nom? Pas beaucoup. Le simple récépissé est suffisant pour beaucoup afin de parvenir à leurs fins. Point de légitimité, car en dehors du " propriétaire " du parti et quelques parents, amis et caudataires, c’est le néant. Au Mali, il est connu que l’animation politique est laissée à seulement quelques formations politiques qui essayent tant bien que mal d’honorer leur engagement, le contrat social qui les lie aux populations.

Il ne s’agit pas dans cette contribution de condamner ou de proscrire la venue du PDES et de YELEMA dans l’arène politique. Ces deux partis par ce qu’ils représentent ont certainement leur mot à dire dans le débat politique au Mali, et sont même en mesure de rivaliser avec certaines grosses pointures. Cependant, mon propos vise à fustiger de façon générale ce trop plein de partis politiques, l’incapacité de nos hommes politiques à se regrouper au sein de grands ensembles et surtout à s’accepter les uns et les autres au nom de l’intérêt collectif sans que l’autre ne pense forcement que sans moi, point de salut ! Ou qu’après moi, le déluge !

Le problème au Mali, c’est que beaucoup de partis politiques se créent à la suite d’une dissension entre dirigeants, d’un conflit d’intérêts souvent personnels : le partant ne se reconnaissant plus dans sa formation d’origine pour x raison crée son parti avec d’autres ou se retrouve dans le giron d’un autre parti. Voilà la quadrature du cercle!

Juste quelques exemples, combien de partis sont sortis des entrailles de l’ADEMA, du CNID, de l’US RDA, du RDP pour ne citer que ceux-ci, et combien de responsables politiques ont migré d’un parti à un autre ? Et pour quelles raisons ? Voilà toute la problématique qui entoure la question du fait partisan dans notre pays.

A l’analyse, il est aisé de constater que la plupart des formations politiques ont à peu près les mêmes orientations politiques allant du socialisme au libéralisme en passant par la sociale démocratie et l’écologie. Dans ce capharnaüm optionnel, on pourrait parler de chevauchement, d’ex croissance, de superposition, c’est selon dans la mesure où finalement la presque totalité des formations politiques se ressemblent même si elles ne s’assemblent pas, les responsables politiques pour des raisons d’égo ne pouvant pas se sentir. Comme si le philosophe ne nous avait pas enseigné que le moi est haïssable.

Quelle différence il y a-t-il entre l’ADEMA, l’URD, le RPM ? Quid du CNID, du PARENA, du BARA s’il existe toujours, du SADI ? Du CODEM, du PDES, du CENA, du PCR ? On peut continuer la comparaison avec d’autres combinaisons possibles, car les exemples, il n’en manque pas. Notre démocratie n’a pas besoin de plus de 130 partis politiques pour exister. Une dizaine peut suffire si tant il est vrai que le fait partisan induit l’idée de regroupements d’hommes qui jouent collectif : Une vision commune, des objectifs communs au service de l’intérêt général. Dans notre pays, il est clair qu’il ne s’agit pas d’un problème d’idéologie et d’orientation politique, certains hommes politiques préfèrent plutôt se la jouer solo en créant à tout va des partis politiques qui ne sont souvent que des coquilles vides.

Tel dans un jeu de rôle,  nous avons-nous autres l’impression que les hommes politiques jouent entre eux  une espèce d’histoire pour leur propre personne et leurs propres intérêts, le tout dans une bulle hermétique au grand nombre, spectateur muet qui n’a rien demandé et qui subit pour son malheur. Il est grand temps que les acteurs de la scène politique songent à se comporter dignement et à donner une image à hauteur de confiance.

Le nomadisme qui s’est installé dans l’espace politique de notre pays ne fait pas honneur à notre démocratie. Le phénomène fait des ravages dans pas mal de formations politiques, brouille les lignes, chamboule le jeu politique et  discrédite l’homme politique malien. Il est clair qu’on ne peut interdire à une personne de rester indéfiniment dans un regroupement contre son gré, mais si ce départ doit se faire de manière fourbe, malhonnête au détriment de la formation politique d’origine et à des fins politiciennes, égoïstes, il y a problème.  C’est à cela qu’on assiste malheureusement. Par exemple,  je suis du CNID, je ne suis pas content, ou mes intérêts sont menacés, je rejoins tel parti ou tel autre, ou je crée tout bonnement mon propre parti ! Il est temps de mettre le holà à cette pratique avilissante, honteuse et indigne.

Avec la nouvelle reforme initiée à travers le CARI, certaines carences ayant trait à l’inflation de partis politiques, aux comportements des hommes politiques doivent être corrigées. Si la limitation du nombre de partis politiques est inenvisageable, il serait judicieux de revoir la charte des partis, par exemple rendre plus rigoureux les conditions de création,  et de fonctionnement d’un parti politique, de prendre des mesures coercitives à l’endroit des partis voyous, l’inactivité devant être synonyme de retrait pur et simple du récépissé. L’Etat doit encourager la fusion des partis en grands ensembles politiques pour magnifier l’idée de regroupement des capacités et compétences. La récente fusion entre l’USRDA et le BDIA, deux partis qui ne faisaient qu’un est à saluer et à encourager. Il est à espérer que d’autres partis suivront le pas.

On remarque enfin que certains leaders politiques se confondent à leurs partis à cause peut être de leur forte personnalité, de leurs apports aussi bien financier qu’intellectuel. Ce qui est une mauvaise chose dans la mesure où l’idée même de collectif se trouve galvaudé : le 1er responsable exposé à toutes sortes de tentations, le parti  exposé à des convulsions internes, sources d’affaiblissement.

 On sait, par exemple, pour ne citer que les partis en vue : que le RPM a été crée par IBK  et qu’il en est le leader incontesté.  L’URD c’est Soumaila Cissé. Le CNID sans Mountaga Tall, une curiosité ! Qui parle du PARENA, parle de Tiebilé Dramé. L’UDD c’était Moussa Balla Coulibaly (d’ailleurs son fils est venu en succession). Le culte de la personnalité fait recette dans l’espace politique, ayons le courage de le dire et faisons en sorte que cette situation trouve une solution.

Voyons le phénomène sous un autre angle à savoir l’état du parti en l’absence du premier responsable : l’UFD, le PUDP, le RDT, le RDP, le MIRIA, le BDIA des regrettés Me Demba Diallo, Maribatrou Sylla, Ali Niangado, Almamy Sylla, Mohamed L. Traoré, Tiéoulé Mamadou Konaté ont-ils survécu à leurs promoteurs ? Quel est aujourd’hui le sort de ces différentes formations politiques?  Aux oubliettes, ou des formations politiques qui végètent tant bien que mal.

L’ADEMA qui n’est pas exempt de reproches, loin de là a au moins l’avantage d’être un parti où les responsables sont logés à la même enseigne. Difficile de coller le nom d’une seule personne au parti, même si des clans ont toujours existé. Donc le parti peut toujours survivre en l’absence d’un responsable quelconque. D’autres formations politiques de moindre envergure ont aussi ce trait de caractère, même si elles ne sont pas nombreuses. Il est temps que les états-majors des partis politiques mènent des réflexions dans le sens d’un partage équitable des responsabilités, et d’une saine émulation des compétences sans qu’il n’y ait véritablement un leadership osseux et stérile.

Faire de la politique est un choix, un choix responsable qui demande un don de soi. L’homme politique à la différence du politicien se consacre pour le bien-être de la cité, d’où la noblesse de la fonction. Nous voulons une politique qui s’exerce dans les règles de l’art, nous voulons des hommes politiques avec un comportement exemplaire, et incontestablement c’est notre démocratie qui s’en trouvera renforcée.

 

Makan  DIALLO, avocat

Docteur en Droit privé

Ancien ATER à l’Université d’Orléans

 

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