Le danger d’un droit international de la transition militaire

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Le Professeur Topanou Prudent Victor, ancien ministre de la Justice du Bénin, expose une idée originale dans un article paru le 10 février 2022 sur le site du journal Banouto. Analysant les coups d’État militaires qui se sont succédés en Afrique de l’Ouest depuis deux ans et les réactions populaires généralement favorables qu’ils ont suscitées, il propose une « formalisation du droit international de la transition militaire », constatant que l’échec continu des civils à développer leurs pays respectifs entraînera encore des putschs. Dans le même sens, le Professeur Topanou Prudent Victor affirme ne pas encourager les militaires à prendre le pouvoir : « l’initiative d’un droit international de la transition militaire peut apparaître comme une apologie des coups d’État mais il n’en est rien. […] Elle intègre leur existence et tente au mieux de les décourager en les rendant difficilement réalisables comme une dissuasion, une épée de Damoclès sur la tête des gouvernants civils qui n’auront pas d’autre choix que de bien faire […] », car, dans le cas contraire, l’armée, selon un cadre précis, aurait toute légitimité pour prendre le pouvoir. Cependant, cette proposition de créer un contre-pouvoir fort à la gouvernance souvent calamiteuse – il est vrai ! – des civils est selon nous particulièrement dangereuse, étant donné qu’elle risque d’inciter des officiers à rester ou à s’installer pour longtemps à la tête d’États africains. En effet, elle repose sur le parti pris naïf de la vertu de l’armée (I), sur une analyse erronée des relations entre les civils et les militaires (II), et sous-estime l’importance du renforcement des garde-fous qui peuvent limiter l’instabilité des États d’Afrique de l’Ouest (III).

  1. Une armée corrompue et incapable

Un reportage édifiant diffusé début 2022 sur LCP Assemblée nationale met au jour la corruption d’une partie de l’armée. Il révèle que des officiers radient des sous-officiers afin de récupérer leur solde pour se faire construire de grandes maisons dans le camp de Kati. De faux bulletins de salaire, émis par le commissariat des armées, permettent l’enrichissement de gradés qui empochent la différence des sommes déclarées et celles réellement versées aux soldats. Interrogé par les journalistes réalisant le documentaire, Denis Tull, spécialiste du Sahel, rapporte que, d’après l’Union européenne, 40 % des salaires ne parviendraient jamais aux militaires. Sur le terrain, les hommes souffrent du manque de moyens causé par le détournement des fonds destinés pourtant à la sécurisation du pays. Un sergent-chef fait part de son expérience : « Pour un mois de patrouille, avec un effectif de vingt personnes, vous vous retrouvez avec sept armes que vous vous échangez […] et soixante balles ». Les djihadistes attaquent les soldats maliens, incapables de se défendre, et, par conséquent, de contrer l’avancée islamiste. Comment alors penser que l’armée peut résoudre les problèmes du pays ? Sur les neuf présidents qui ont dirigé le Mali, six étaient des soldats, et quelle évolution le pays a-t-il connue grâce à eux ? Ils n’ont pas mis fin à la mauvaise gouvernance, loin s’en faut ! L’armée n’a pas l’apanage de la vertu. Il est donc invraisemblable qu’elle cherche à respecter les règles d’un droit international de la transition et à rendre le pouvoir trois ans après l’avoir subtilisé – durée que le Professeur Topanou Prudent Victor estime « bonne », « pour une transition militaire réussie ». En voici la preuve : le 21 février 2022, une nouvelle charte est votée par le Conseil national de Transition, qui repousse à une date inconnue l’organisation des élections pourtant prévues en mars ! Dans cette entreprise de démolition de la démocratie, l’armée peut compter sur les civils.

  1. La collusion des civils et de l’armée

La responsabilité des problèmes du Mali est en effet partagée. Comme l’indique Marc-André Boisvert, en dépit de l’aide apportée par l’Union européenne dans le cadre de la Mission de formation de l’Union européenne au Mali pour réformer l’administration militaire, « on peut se demander s’il n’y a pas une réticence plus politique » à régler le problème de la corruption de l’armée. À l’évidence, l’accointance des civils et des militaires permet des arrangements qui nuisent à l’État. Pourtant, l’armée tout entière devrait respecter une éthique, c’est-à-dire la « neutralité politique et donc un refus catégorique d’être utilisée par les politiciens dans des situations purement politiques ou internes dont la résolution relève mieux de la compétence des forces de défense civiles, voire des cours de justice ». Il est manifeste, donc, que la viabilité de toute Constitution est notamment conditionnée au rôle des militaires et à leur respect des valeurs républicaines. Nicolas Normand, ancien ambassadeur de France au Mali, souligne ainsi que le Sénégal n’a jamais subi de coup d’État militaire, parce que l’armée et les gouvernements successifs se font confiance. C’est l’objectif principal que les gouvernants devraient chercher à atteindre une gouvernabilité acceptable par le peuple. De la sorte, l’État ne renoncerait plus à lui confier les missions régaliennes qui devraient lui être dévolues, telle la sécurité, et on ne verrait plus des Maliens en arriver à soutenir les islamistes pour assurer leur intégrité physique.

  • Le renforcement de garde-fous

Si le Professeur Topanou Prudent Victor a bien raison de dénoncer les « coups d’État civils » perpétrés par des dirigeants africains, qui, par exemple, « modifient à leur convenance les Constitutions » pour « s’éterniser au pouvoir », il ne doit pas oublier que c’est aussi valable pour les différentes juntes agissent de la même façon. Il est impératif de trouver des moyens pour que les citoyens accordent de nouveau leur confiance aux civils et pour que ces derniers, une fois au pouvoir, ne craignent plus l’armée. Il faut en finir avec le débat qui oppose deux solutions simplistes au problème de l’instabilité des États africains, à savoir l’élection démocratique à tout prix, sans confrontation de projets politiques, et l’établissement de la sécurité, même par le recours aux régimes militaires. Nous pensons en effet qu’un programme politique reposant sur la bonne gouvernance, visant la maîtrise de la natalité et l’accès à l’éducation notamment, offrirait à l’État l’autorité que ne lui reconnaissent pas aujourd’hui certains peuples, au Mali en particulier. En ce sens, l’armée ne peut être d’aucun secours, nous l’avons dit, mais des garde-fous sont nécessaires : les organisations régionales – qui pâtissent, certes, de leur manque de légitimité, mais dont les préconisations sont louables – et la communauté internationale, qui devrait aider les armées, la police, la justice et les États à se consolider, comme l’affirme Nicolas Normand.

 

Balla CISSÉ, docteur en droit public de l’Université Sorbonne-Paris-Nord ; avocat au Barreau de Paris ; et diplômé en Administration électorale de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne 

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