Décidément notre pays fait face à une des périodes les plus sombres de son histoire. Les institutions en charge d’assurer la sécurité des populations peinent à assumer leur mission, les solidarités millénaires entre les communautés s’effritent au quotidien, des milices d’autodéfense se créent avec leur propre système de régulation, la vente de la drogue prospère, l’introduction massive et illégale d’armes de guerre, les massacres d’innocents, les vols de bétails et d’autres biens, des centaines d’écoles fermées, une population meurtrie, un État qui se meure progressivement et ne semble survivre que dans les grandes agglomérations, etc.
Voilà le tableau actuel d’un grand pays africain, berceau d’une très brillante civilisation, qui semble avoir commencé sa descente aux enfers par manque d’initiatives pour stopper l’hémorragie. En réalité qu’est-ce qui se passe pour le bateau Mali qui se fissure de toute part ?
De nombreux analystes en prospective avaient prédit le chaos pour notre pays en 2020. Une mauvaise estimation des enjeux géostratégiques mondiaux de ceux qui étaient aux affaires en 2005, d’associer certains opérateurs miniers à l’exploration voire à l’exploitation future de certaines ressources de notre pays. Cela ne convenait pas à certains de nos partenaires techniques et financiers surtout en raison de l’importance estimée de ces richesses situées dans les régions nord du Mali. Par conséquent, notre pays se retrouve au cœur d’un enjeu entre puissances étrangères, qui usent de tous les artifices pour garder la mainmise. Parmi elles, nous avons les États-Unis et la France d’un côté et la Chine, la Russie de l’autre.
Des mouvements armés indépendantistes, des forces pro-gouvernementales, des mouvements djihadistes et des bandits armés sont tous présents sur le terrain. En fonction de leur conviction et parfois en raison de l’appréciation des enjeux du moment, ils développent des alliances. Quelques-uns sont équipés et instrumentalisés par des intérêts beaucoup moins apparents. Toutes ces menaces génèrent au quotidien des larmes, du sang versé des populations innocentes, en définitive de la souffrance.
C’est justement en ce moment précis que le pays a besoin de toutes les vertus d’une gouvernance exemplaire, des fils d’une même nation qui savent se rassembler pour regarder dans la même direction. Des fils qui savent s’abreuver de leur riche patrimoine culturel afin de se doter d’outils leur permettant d’affronter les adversités, d’où qu’elles viennent.
Malheureusement à l’interne, la gestion des affaires publiques reste approximative en raison de nombreux cas enregistrés de corruption, de détournements de deniers publics, d’incivisme multiple et divers, qui demeurent pendants devant la justice du pays.
Les deux structures qui devraient fortifier notre capacité de résilience devant l’adversité sont encore beaucoup plus dans la tourmente. Il s’agit bien de l’éducation et la culture.
Notre école connait depuis de nombreuses années une crise récurrente, crise qui a motivé toutes les multiples reformes de notre système éducatif.
La première réforme est celle de 1962 qui a fait une rupture avec l’école coloniale. Elle a permis de créer une école suivant les valeurs sociétales de notre pays en ayant comme mission d’assurer une formation de masse et de qualité. Malgré la volonté politique clairement affichée des gouvernants de l’époque, leur grande ambition pour l’école n’a pas permis de combler toutes les attentes. L’insuffisance d’enseignants bien formés, le manque de matériel pédagogique approprié et l’absence d’encadrement administratif adéquat paralysent en partie le projet éducatif de l’époque. C’est ce qui a motivé les autorités de la première république à avoir recours à du tout-venant afin d’assurer l’encadrement pédagogique.
Avec l’avènement de la deuxième république à partir de novembre 1968, notre système éducatif connut sa deuxième reforme relative aux états généraux sur l’éducation de 1979. Il faudrait attendre une dizaine d’années pour organiser en 1989, un séminaire ou une table ronde sur l’éducation. C’est précisément en 1999 que nous aurons une réforme de refondation de notre système éducatif, qui prône pour une école en mode décentralisé. Cette réforme prendra le nom de loi d’orientation de l’éducation et fut promulguée en l’an 2000.
Le forum sur l’éducation d’octobre 2007 fut pour l’instant la dernière réforme et adopta 400 recommandations afin d’adapter notre système éducatif aux impératifs du 21e siècle.
Parmi ces recommandations, on note la suppression de l’examen du CEP en sixième année fondamentale, l’introduction de nouvelles matières au secondaire général comme l’informatique, les langues nationales, l’économie, le projet personnel, la philosophie en 11e année, etc.
L’enseignement est conçu par domaine afin de limiter les effets pervers du cloisonnement et d’encourager la transdisciplinarité. Le curriculum au fondamental et l’approche par compétences au secondaire sont retenus comme innovations pédagogiques désormais en vigueur dans les classes.
Encore en 2020, le département de l’éducation n’a pas fini de former les enseignants, surtout ceux du privé, à ces nouvelles approches pédagogiques. Mais en réalité, de quelles approches par les compétences s’agit-il ?
Le sens réel de ce concept ne semble pas du tout faire l’unanimité dans l’univers éducatif malien ?
La compétence est définie comme un savoir agir en situation. C’est la capacité de l’apprenant à mobiliser ses savoirs, savoir-faire et savoir-être afin de donner une réponse appropriée à une situation complexe.
Pour l’application de l’APC, quels établissements secondaires d’enseignement général (public, confessionnel ou privé) mettent les élèves en situation de mobiliser leurs savoirs afin de régler une difficulté concrète ?
Pourquoi les inspecteurs d’enseignement secondaire qui sont les premiers responsables de l’amélioration de la qualité de notre éducation ne dénoncent pas un processus qui ne conduit pas à la finalité recherchée (produire des élèves réellement compétents)
De nombreux pays du Nord ont réussi à résoudre ce défi de leur système éducatif. Par exemple aux d’Amérique, ils ont le concept du service Learning, qui consiste à mettre régulièrement en application (à la fin de chaque semaine) tous les concepts théoriques que les élèves apprennent en classe. Le baccalauréat théoriquEtatsUnise n’existe plus aux USA, les élèves sont évalués sur la base d’un projet qu’ils décident de monter sous la conduite d’un superviseur.
Le projet personnel introduit suite au forum de l’éducation devrait créer le même environnement dans nos écoles. Mais dommage !
Aucun inspecteur de l’enseignement ne s’offusque de n’avoir vu aucun projet d’élève depuis 2011, date de la signature du décret d’application des recommandations du forum.
Le projet personnel est la branche exécutive de l’approche par les compétences (APC). Il est ce dont chaque élève est porteur en termes de choix d’activités à court terme et d’orientation à long terme. Incontournable dans une pédagogie qui se veut centrée sur l’élève, le projet personnel est une anticipation de l’avenir à moyen terme.
En principe, les projets des élèves devraient être proposés par les enseignants chargés des disciplines. L’élève est tenu de choisir selon ses préférences une seule thématique dans la discipline de son choix.
Ainsi le professeur chargé du projet personnel, le professeur de la discipline et éventuellement des personnes ressources extérieures s’occupent ensemble de l’encadrement adéquat de l’apprenant dans le développement de son projet. Cette pédagogie de projet permet de mobiliser différents savoirs afin d’arriver à la production d’un chef d’œuvre.
Nos établissements devraient ressembler à des ateliers de productions diverses, bouillonnantes de créativité et d’innovations, pendant les heures réservées au projet personnel.
Le questionnement qui vient à l’esprit est de se demander : comment rendre compétents nos jeunes sans qu’ils ne mettent la main à la pâte ? Et comment évaluer leurs compétences avec des épreuves qui restent théoriques.
Nos pédagogues doivent revoir notre dispositif qui ne permet pas de former des apprenants productifs et créatifs comme le souhaitent les recommandations de l’UNESCO.
Malgré ces grosses lacunes pédagogiques, notre système d’éducation souffre également dans son pilotage ou globalement dans sa gouvernance.
Avec la décentralisation de l’éducation, les acteurs en charge du système se sont multipliés. Ainsi l’exigence d’une coopération saine et empreinte de confiance est devenue la condition d’un excellent pilotage.
Il se trouve que les relations entre les syndicats des enseignants signataires de l’accord du 15 octobre 2016 et les représentants de l’État ne sont plus saines ni empreintes de confiance.
Sans rentrer dans les méandres de ce bras de fer, on peut noter que les syndicats exigent l’application de l’article 39 d’une loi promulguée par l’Assemblée nationale que les représentants de l’État ne semblent pas être prêt à mettre en vigueur le texte dans son intégralité.
Par conséquent la synergie a opté pour des grèves alternées de marches sur toute l’étendue du territoire. Les représentants de l’État ont répondu par des retenues sur les salaires, les retards de décaissement et les gaz lacrymogènes.
De mon humble avis, les deux protagonistes ont manqué d’efficacité dans la gestion de cette crise.
Du côté des enseignants, leur stratégie de lutte a entrainé beaucoup de souffrances. D’abord au niveau des élèves concernés qui se retrouvent régulièrement dans la rue avec tous les risques qu’ils en courent et quelques fois de manière irréversible. Les parents d’élèves sont inquiets de l’enlisement de la situation et se pensent impuissants à apporter une réponse adaptée à la situation. Cette grève a généré aussi beaucoup de souffrances auprès des enseignants eux-mêmes par la précarité qu’elle a apportée dans leur condition d’existence. Nombreux sont ceux qui se retrouvent expulsés de leur logement pour non-paiement de location, de rupture de leur abonnement en eau et électricité, des difficultés réelles à tenir leur famille, etc.
Est-ce que la synergie avait forcément besoin de radicaliser la lutte pour être efficace ? Je pense sincèrement que NON.
Ma première remarque est que la synergie a voulu faire plier l’État, coute que coute, afin qu’il applique la loi (article 39) comme si c’était la toute première fois que l’État enfreignait à des dispositions législatives.
Quand l’État engage les finances publiques pour l’achat d’un avion qui est cloué au sol, les lois de la république ont été violées !
Quand des marchandises commandées (les blindés) ne sont pas conformes au cahier de charges du marché, les procédures des marchés publics n’ont pas été respectées.
Idem pour des procédures non respectées pour les engrais frelatés ;
Les enfants de la rue ne devraient pas exister en raison de tous les accords ratifiés par notre pays, etc.
Les manquements législatifs de notre État sont malheureusement assez constants dans son fonctionnement.
Ma deuxième remarque est de constater que le mouvement enseignant au Mali à travers la synergie est une grande force de pression et rien qu’avec la rétention des notes, les représentants de l’État se verraient dans l’obligation de s’entendre avec elle.
Il allait épargner aux camarades les retenues de salaire, les enfants seraient à l’abri de la rue, les parents seraient rassurés de la prise en charge de leur progéniture, seuls les examens seraient pris en otage.
Ma troisième et dernière remarque porte sur les fermetures d’écoles qui étaient en train de se faire un peu partout dans la sous-région en raison de la pandémie de la covid-19. Les représentants de la synergie devraient être proactifs en anticipant l’obtention d’une trêve dans leur revendication afin que leurs militants bénéficient de l’entièreté de leur salaire pendant ces moments de panique généralisée.
Du côté de l’État, il est important de se référer d’abord à des données chiffrées.
Les pays occidentaux ont pour la plupart des dépenses publiques pour l’éducation qui sont au-dessus de 5 % de leur PIB (Produit intérieur brut).
La Finlande qui a le meilleur système éducatif parmi les pays de l’OCDE, investit 6,7 % de son PIB pour l’éducation. La Chine est encore à 3,5 % de son PIB. Ce qui fait dire à certains observateurs que la Chine doit encore faire des efforts en matière éducative. Même si la Chine a entre 3 à 4 universités dans chacune de ses provinces.
Le Cuba est à 13,02 % de son PIB.
Le Burkina Faso investit 6,04 % de son PIB pour l’éducation et avec comme objectif d’atteindre 8,77 % d’ici l’an 2025.
Le Mali est à 3,8 % de son PIB (chiffres de 2018 de l’Atlas mondial des données). Notre PIB par habitant (en dollars) est de 900.
Ce qui voudrait dire que l’incidence des 50 milliards de francs CFA, correspondant aux dépenses occasionnées par l’article 39, est de 0,58 point.
Ainsi, notre pays avec cette dépense supplémentaire aurait investi 4,38 % de son PIB pour l’éducation. (3,8 + 0,58 = 4,38)
Ce qui reste largement inférieur à ce qui est attendu de la plupart des nations émergentes.
La gestion de l’éducation d’un pays exige des expertises à tous ses paliers importants afin que la planification soit une réalité de tous les jours.
Quelques fois ce sont les intentions des représentants même qui ne sont pas saines au départ et des engagements sont pris non pas pour apporter des solutions véritables aux difficultés des acteurs, mais plutôt pour gagner du temps par rapport à des échéances politiques.
Pour éviter de tomber régulièrement dans de pareils travers, certains pays comme la Chine ont fait le choix d’adopter une législation éducative précise et élargie aux différentes sollicitations qui se posent à leur système afin d’éviter une gestion axée sur la volonté des décideurs du moment, synonyme de dérapages constants.
Dans une conférence intitulée : « L’éducation au 21e siècle, quelle chance pour les jeunes du Mali », tenue par le professeur Diala KONATE, professeur d’enseignement supérieur à l’université de Virginia Tech (États Unis), le 19 mars 2012 au lycée Oumar BAH de Kalabancoura ACI, il dira que : « Pour aller à la performance, les partenaires de l’école doivent abandonner la méchanceté, accepter d’évoluer suivant des règles et payer le cout nécessaire pour un bon fonctionnement de l’école »
Ces règles se présentant sous de contrats de performance que chaque partenaire de l’école se doit de signer et de respecter.
Pour apaiser l’espace scolaire, les décideurs politiques doivent opter pour une gestion holistique des problèmes de l’école malienne. Cela consiste à une gestion harmonieuse et équitable de la situation de l’ensemble des ordres d’enseignement, afin d’éviter que les solutions apportées aux doléances des uns, n’entrainent pas un séisme au niveau des autres. (L’enseignement supérieur par exemple)
Mieux encore, les salaires doivent être moralisés sur l’échiquier national pour un besoin de justice et d’équité. Cette régulation doit aussi concerner les établissements privés.
Tout projet éducatif est avant tout un projet politique. La plupart des pays émergents ont valorisé substantiellement la fonction enseignante par la formation continue et la rémunération. En Chine, le métier d’enseignant est parmi les cinq métiers les plus convoités. (Idem pour la Corée du Sud, l’Allemagne, etc.) Si la synergie estime que ce gouvernement ne valorise pas assez leur fonction, cela devrait servir de motif pour un engagement en politique afin de barrer la route à cette formation politique qui a la charge de gérer présentement les affaires du pays.
Encore faudrait-il que les élections soient propres afin que la volonté du peuple sorte véritablement des urnes.
En définitive il faudrait retenir que notre pays est objet de convoitise à cause de ses immenses richesses et qu’il est indispensable qu’en ces instants singuliers que nous nous resserrons les coudes, les décideurs en premier, avec plus d’altruisme, de patriotisme, de justice et faire sienne la citation de Martin Luther King qui dit en substance : Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots .
Sadia KEITA Directeur du Groupe Scolaire Oumar BAH
Master2 en Gestion des Systèmes éducatifs.